Costumes en quête de comédiens
« Il se fait beaucoup de grandes actions dans les petites luttes. » a dit Victor Hugo dans les Misérables, il y a deux cents ans. Le pitch de la nouvelle création de la Cie Lazzi, une co-écriture de Pascale Vander Zypen et d’ Évelyne Rambeaux est le suivant : « Cette histoire, c’est la nôtre. Au début de la pièce, tous nos costumes sont là, sur des portants, ils discutent entre eux, avant d’être vendus pour renflouer les caisses de la compagnie. Puis, les comédiens arrivent et les scènes vont se succéder un peu par accident. Au moment de ranger un costume, on se lance dans une réplique, on se laisse aller au plaisir du métier qui revient, même si c’est aussi douloureux parfois. C’est comme si, au moment de se séparer de nos costumes, le théâtre prenait le dessus. »
Cette dernière création fracassante de la Cie Lazzi est née dans le cadre prestigieux du château de Modave, un château qui n’a rien de celui du capitaine Fracasse sauf à abriter chaque été, des comédiens chevronnés, rivés dans le plaisir que leur donne leur métier. Un métier taillé pour eux ! Hélas, les voici cette année expulsés de la grande salle où ils avaient l’habitude de se produire, et pour des raisons d’économie du château, les voici relégués dans la salle Louis XIV, «sans possibilité de décor ni d’éclairages.» Qu’importe! «Taillés pour jouer» dégage une énergie folle, un amour de la vie et une liberté extraordinaire, celle qu’offre le théâtre par-dessus tout, comme instrument de résistance. Entre les interstices de cette galerie de textes choisis, s’exprime toute l’ambiguïté de la situation des intermittents du spectacle, à la fois puissants créateurs et diffuseurs de culture et impuissantes victimes d’un monde économique sans pitié qui vogue de crise en crise taillant à qui mieux mieux dans la Culture. Une réalité qui est décrite dans cette Revue d’un genre particulier avec humour, courage et grand bonheur. Marc De Roy, Christian Dalimier, Pascale Vander Zypen, Évelyne Rambeaux, ces artistes généreux sont nés sur les planches et sont bien décidés à y mourir, le verbe à la main, gavroches authentiques, rêveurs impénitents, nouveaux misérables rêvant leur vie et leur mort heureuses: « Il y a ceux qui veulent mourir sous la pluie, d’autres qui veulent mourir au soleil, moi, je veux mourir sur scène» chante le quatuor solidaire à la fin du spectacle. Ainsi fit Molière, sans le vouloir.
Marc De Roy, Christian Dalimier, Pascale Vander Zypen, Évelyne Rambeaux, artistes fragiles et forts jouent leur vraie vie, une dernière fois avant que l’huissier ne leur enlève leurs dernières malles, leurs derniers décors, et ne leur coupe leur dernière réplique. Torturés par la vie, ils renaissent au parfum des costumes, comme fleurs dans le désert sous une ondée providentielle et nous livrent alors un dernier feu d’artifice verbal éblouissant et émouvant. Ils ressuscitent leurs personnages favoris : la famille Jourdain du Bourgeois Gentilhomme, Alceste Oronte et Philinthe du Misanthrope, Ruy Blas de Victor Hugo, Les précieuses coquettes de Goldoni, les cocottes de Courteline, les chapeaux melons de Vladimir et Estragon, L’exquise Agnès de L’école des femmes, le mariage de Figaro.
On en a plein la vue, les oreilles et le cœur, ainsi plongés dans le brasier théâtral. Une merveilleuse ultime épreuve du feu, jouée avec violence émotionnelle volcanique. Ils sont bouleversants de vérité dans ces interprétations pathétiques du florilège dramatique qui a fait leur vie tandis que, ça et là, flottent des petites phrases assassines ou désabusées disant en filigrane tout le mal-être et les blessures de leur vie. C’est au tour du spectateur d’avoir le souffle coupé. Les artistes sont lâchés, les artistes se lâchent, la liberté de parole est reine, le flot verbal est capiteux, la galerie de texte est inoubliable et encore plus poignante est leur fureur de vivre, malgré le désastre signé Virginia Woolf.
Interprétation : Evelyne Rambeaux, Pascale Vander Zypen, Christian Dalimier et Marc de Roy
Regard extérieur : Cédric Juliens
Spectacle joué en décors naturels à l'intérieur du Château de Modave, rue du Parc, 4, 4577 Modave
Le château et ses jardins se visitent avant la représentation sur présentation du ticket d'entrée au spectacle.
Réservations : 085/41.13.69.
- Une représentation supplémentaire est prévue ce samedi 25 juillet à 16h. Réservations indispensables au 085/41.13.69.
Tous les détails sur le site du Château de Modave (Huy), accessible via le lien : http://www.modave-castle.be/agenda
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