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NORMAL, PARA-NORMAL (suite 4)

Vous rappelez-vous ?  Je travaillais comme cadre dans un Atelier protégé.

Armée de plusieurs diplômes, j’avais commencé ma carrière là-bas, après une période intérimaire dans une banque.  Nous étions en décembre 83, c’est-à-dire plus ou moins un an et demi après notre retour d’Allemagne.  Engagée comme troisième circuit de travail, donc en statut précaire, je m’occupais de diverses choses.

J’étais hôtesse d’accueil, je donnais les premiers soins, m’occupais des déclarations d’accidents de travail etc….. et surtout, j’écoutais les désidératas des personnes handicapées.  Une oreille fait parfois davantage de bien qu’un pansement.

Le personnel handicapé était engagé sous divers statut et gagnait peu, vraiment très peu : c’est-à-dire de quoi ne pas mourir de faim et de froid.

C’était légal. Le FNRSH définissait la grille des salaires, il n’y avait pas de convention collective de travail pour protéger les handicapés, pas de syndicat etc…. Rares étaient les handicapés ( plutôt  sociaux) qui bénéficiaient d’une pension qui aurait pu compléter ce qu’ils gagnaient.  Il fallait pour cela un pourcentage d’handicap que peu atteignait et ils n’avaient donc droit qu’à leur salaire de misère.

Mon fils m’a toujours appelée l’extraterrestre, parce qu’il semble que j’aie l’oreille fine : je la faisais donc fonctionner et quoique myope, sous mes verres épais, j’avais de bons yeux pour voir.

Toutes les organisations officielles étaient au courant de ce qui se passait là-bas. Les handicapés « sociaux » se plaignaient auprès des organisations syndicales et autres, lorsqu’ils devaient s’y rendre pour tel ou tel autre document, selon leur statut.  Ils étaient entendus, mais les rapports sociaux n’intéressaient pas ces organisations, ne sachant rien faire avec ça !  Il ne leur fallait pas du social, ils avaient besoin de comptabilité !

Les mois et années passaient et si ma mémoire est bonne, en 87, le scandale éclata.  Un notable de la région X, directeur d’un Atelier protégé fut arrêté sur suspicion de détournement et autres choses répréhensibles, condamné et emprisonné.

Je pris contact avec un groupe réunissant tous les directeurs d’AP de la région. Un nouveau directeur fut nommé, les syndicats firent leur apparition, des élections sociales eurent lieu, un comité de sécurité et d’hygiène vit le jour, suivit, après des transactions avec le politique, d’une commission paritaire pour tous les handicapés.  Je ne suis pas peu fière d’avoir participé à la naissance de cette protection sociale.

Entretemps, j’avais repris des études en horaire décalé : d’abord comme assistante sociale, ensuite plus tard,  pour obtenir une licence universitaire en sciences du travail, toujours en horaire décalé etc… et les responsabilités qui accompagnent les diplômes.

Honnêtement, je sacrifiais ma vie de famille, pour la vie d’une centaine de personnes qui ignoraient tout de mes oreilles et de mes yeux….. et de leurs droits d’origine ou conquis.

En 92, je pris une pause carrière.

Mon mari et moi aimions beaucoup nous rendre sur les brocantes, pour chiner.  C’est ainsi que je rencontrais une ancienne employée à mon service qui m’apprit le décès du notable.

Rien de particulier ne se passa.  C’était triste, autant pour lui que pour d’autres.

Quelques temps plus tard, je dormais paisiblement lorsque je fus éveillée par une présence auprès de mon lit.

Cette présence me dit « n’aie pas peur, je ne suis qu’un fantôme ».

Sa forme était courante, au sens où on les dessine souvent, c’est-à-dire, comme si ils étaient recouverts d’un drap (pas net pour moi, je dors sans mes lunettes).  La voix était rassurante, je me retournais dans le confort de mon lit et je poursuivis ma nuit.  J’ai lu depuis lors, qu’on a rarement peur en présence d’un fantôme : c’était donc le cas.

Quelques nuits plus tard, une vague de froid intense  me submergea dans mon lit, alors que nous étions en plein été. Je sais maintenant ce que signifie avoir « les cheveux qui se dressent sur la tête » ce fut physiquement le cas !  La nuit était « claire ».  J’ouvris les yeux. De part et d’autre de mon chevet se tenait l’époux et sa femme qui m’accusaient des malheurs qui les avaient frappés depuis l’arrestation et l’emprisonnement de l’ancien directeur.

Le fantôme qui les avait précédés m’avait bien dit «  n’aie pas peur » et étrangement je n’eus pas peur, juste une sensation très désagréable causée par cette double présence indésirable.

Je plaignis sincèrement leur chagrin.  Ils avaient très froid.  Je les invitais à prendre place auprès de moi dans mon lit, afin de se réchauffer et  je priais pour eux, avec eux.

Au bout d’un certain temps, je me rendormis.  Lorsque je m’éveillais le lendemain matin, je sentais encore leur présence apaisée : c’était fini, ils étaient partis en paix.

Je n’ai plus entendu parler d’eux, si ce n’est par l’employée dont question plus haut que je rencontrai à nouveau : l’épouse de l’ancien directeur était décédée !

Je crois qu’au travers de regrets sincères, et de ma propre sincérité, ils ont trouvé leur chemin.

Fiction ou réalité : à vous de décider.  Aujourd’hui, j’ai juste un frisson dans la nuque de ma mémoire.

Claudine QUERTINMONT D’ANDERLUES.

 

 

 

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Commentaires

  • Bonsoir Fabienne.

    Merci pour ton passage et d'avoir apprécié.  Bonne soirée

    Bisous, Claudine.

  • Bonjour Adyne.

    Quand la réalité dépasse la fiction, elle peut-être plus effrayante.  N'empêche, ici, il s'agit seulement d'un texte et rien ne peut t'arriver..... quoique, je raconterai un de ces jours une chose incroyable qui est arrivée à un groupe de personnes.... dont le curé et moi.

    Quant à mon calme, je crois que le cauchemar que j'avais fait concernant cette femme qui "hantait" l'hôtel que ma sœur gérait, m'a rassurée.  Souviens-toi, lorsque cette entité spirituelle négative veut s'approcher du lit de mes enfants, je me sens impuissante.  Mon parrain et mon oncle (décédés) surgissent alors et s'interposent.

    Je crois que les entités qui nous aiment dans l'au-delà "nous tiennent à l'œil" et interviennent quand elles le peuvent.

    A bientôt, pour une autre lecture et bientôt un poème.

    Bisous, Claudine

  • Bonsoir Claudine, j'ai d'abord lu les commentaires et j'ai hésité avant de lire!!

    Après lecture,j'admire ton calme face à ces situations!!

    Bisous.

    Adyne

  • Je sens que tu connais une histoire et que tu as envie de nous en parler : à quand le billet ?

    Bisous, Claudine.

  • je ne pense pas que le circuit économique aie besoin d'une main d'oeuvre non rentable. Il est en effet d'actualité de rendre les ETA performants. Hélas,le but premier d'un atelier n'est pas ca. je ne parlerai que de celui que je connais le mieux. Il a été fondé par des parents d'enfants handicapés qui, au bout d'un certain temps, étaient virés des maisons d'accueil. Ces personnes ont investis toute leur vie dans ce projet qui a été ensuite récupèré par des structures comme l'AWPIH qui aide beaucoup et réglemente bien ce genre d'établissement.

    En effet, ton propos n'est pas mon discours et il m'a été agréable de te lire et de vivre avec toi ce récit.

    J'espère que tu me pardonneras d'avoir outre passé mes propos.

    Bonne journée

    Josette 

  • Bonjour Josette.

    Il est clair que le circuit économique a besoin de cette main d'œuvre bon marché qui permet la sous-traitance et le maintien des prix, tout comme il est clair  que ces personnes handicapées ont droit au travail..... et au respect.

    Le propos de mon billet n'est évidemment pas là, mais je te remercie pour ton témoignage qui rappelle, en effet, que les personnes diminuées, tant physiquement que mentalement (parfois les deux à la fois) ont le droit et nous le devoir de les intégrer dans notre société, non pas à notre profit, comme ce fut le cas là-bas (des millions détournés en francs belges), mais parce que ce sont tout simplement des êtres humains qui souhaitent être regardés et considérés comme tels.

    Bisous Josette et bonne journée.  Claudine.

  • Travaillant moi-même dans un atelier protégé appelé ETA de nos jours, j'ai pu vivre avec les handicapés de toutes les cathégories et si une seule chose m'est permise, c'est de dire que ces personnes sont souvent la bonté même. Que les encadrements sont parfois faits de gens non motivés mais la plupart des accompagnants sont entrés dans ces ateliers comme on rentre en religion et que leur dévouement est complet. La politique d'un atelier peut être très différent d'un autre et les déceptions sont parfois fortement ressenties et malheureusement parfois nécessaires.  J'ai vécu des licenciements qui m'ont brisé le coeur et que  je ne comprend toujours pas. Mais je rends hommage à tous ceux qui travaillent dans ces établissements aujourd'hui où la production est mise en avant et plus l'occupationnel et je le regrette beaucoup. Néanmoins, ces ateliers sont nécessaire à notre société pour bien montrer à tous que ces personnes handicapées ont leur place dans notre monde.

    Amicalement
    josette

  • Bonsoir Robert.

    Tout à fait d'accord ! N'oublions pas qu'un jour, nous serons de l'autre côté, dans le désarroi d'une gare de départ vers un lieu inconnu ?

    Bonne soirée Robert et merci d'être passé me lire.

    Amicalement, Claudine.

  • Que voila un beau billet. Et je le dis avec vous n'ayez jamais peur "de l'humain" qui ne peut partir. Aidez le .

  • Excuse-moi Marie-Josèphe, une petite correction. 

    Ma marraine est décédée le 14/11 et les funérailles ont eu lieu le 18.

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