MON PERE
Mon père était pour moi l'abri si merveilleux
J'écoutais avec lui les accords fracassants
Et les lamentations des amants malheureux
Jaillies des pages d'or des opéras d'antan.
Hissée sur ses épaules, j'atteignais tout le ciel
Là où l'air cristallin s'évapore en nuées.
Je respirais l'odeur des matins au réveil
Et chevauchais, hardie, des coursiers de fumées.
Il est parti un jour, emportant mon enfance,
J'ai lu dans son regard une immense tristesse :
La guerre me l'a pris, blême d'indifférence,
Chaque nuit me semblait tordue par la détresse.
Il m'écrivit alors des lettres tissées d'or,
M'enseignant la patience, la foi, l'Espérance
Mais je me débattais dans l'horreur et la mort
Car la révolte en moi me jetait dans l'errance.
Puis il est revenu, comme il l'avait promis.
Ses yeux bleus délavés gardant encore l'empreinte
Des longs jours d'une attente enchaînée de soucis
A jamais obscurcis de trop dures contraintes.
Pour lui je devenais une grande inconnue,
Une étrange amazone aux yeux de rêveries
Oui, j'étreignais le monde entre mes mains menues
Et, pour le retrouver, j'ai dû mordre à la VIE.
Rolande Quivron-Delmeira
Ce poème a paru dans le bulletin des anciens prisonniers du Stalag XIIIB
Commentaires
Merci Chris,
Il y en a peu qui aiment ces choses qui nous ramènent à un passé que l'on préfère oublier. Plus facile d'occulter.
Et pourtant, ce qui se passe partout dans le monde actuellement n'en est qu'une réédition.
Les témoins eux disparaissent petit à petit .... perdus dans les brumes, balayés par les vagues du temps qui nous emporte cependant tous vers le même horizon.
Permets-moi de t'envoyer mille bisous. Bonne fin de journée Rolande
Bonjour Chris,
Ravie que tu aies fait la connaissance de mon père adoré à travers ce poème. Ma vie aurait certainement été très différente s'il n'y avait eu cette longue séparation emplie de bruits et de fureurs.
Tu as eu la chance immense d'avoir eu une enfance heureuse. Puis-je prétendre que la mienne ne l'a pas été ? Ce serait mentir. Car, malgré la guerre, j'ai été entourée de beaucoup d'amour, surtout de la part de ma grand-mère maternelle (dont j'ai repris le nom pour signer mes "oeuvres" (sic) une personnalité et, surtout, une femme pleine d'amour, de tendresse, de bonté, de générosité, d'une vitalité hors norme, d'un bon sens inoui ... bref de toutes ces qualités propres "aux petites gens".
Bref, j'étais chaleureusement entourée et, malgré des offres pour m'envoyer en Suisse, personne n'a jamais accepté de se séparer de cette fille là. Et pourtant, en moi, déjà aventureuse, cela ne m'aurait pas du tout déplu. Bien du contraire.
Comme quoi, la position des adultes ne rejoint pas toujours celle des désirs profonds des enfants qui, finalement, ont un don d'adaptation étonnant.
J"ai écrit plusieurs poèmes dont mon père est l'inspirateur. Je rêve souvent d'en faire un livret, uniquement pour lui.
Evidemment, ils ont paru à droite et à gauche (France, Belgique essentiellement) sans beaucoup d'impact finalement. Tu sais, il y a des sujets (guerres, révolutions ...etc.) que beaucoup de gens n'aiment pas trop évoquer....sauf les guerres lointaines.Nous touchent-elles véritablement ??? au plus profond, profond de soi ?
Allez, un bon exercice d'introspection à portée de main.
Amitiés. Rolande
Nadine, ton commentaire m'a beaucoup touchée tant il est vrai que les guerres familiales sont, non seulement cruelles, mais horribles et les premières victimes sont, hélas, les enfants. Elles sont aussi mortifères : un gosse de chez nous vient de se suicider à 12 ans, tant il souffrait du divorce de ses parents remontant à sa huitième année !!
J'en ai été bouleversée. Tous ces enfants qui souffrent de la bêtise des adultes, de leur égoïsme et de leur incapacité à aimer vraiment.
A Gil, de ces déportés au travail obligatoire, j'en ai aussi connus. Bien souvent leurs souffrances sont ignorées, minimisées et, pourtant, ils ont aussi tout vécu de la guerre : bombardements, faim, travail dans des conditions inhumaines bien souvent.
J'ai beaucoup aimé ce que tu dis de ton père. Comme il a dû souffrir lui aussi. Et quel courage a été le sien.
Mon Père lui est mort d'un diabète mal soigné : nous souffrons tous de cette maladie insidieuse dans la famille.
Un martyr qui a duré trois années ! Trois infactus, amputation d'une jambe (celle qui avait été en partie gelée en Allemagne où il était prisonnier de guerre : seul belge parmi des français !), aveugle .... A son décès, il était paraphlégique, amputé et aveugle !! Et nous étions là, impuissants. Des tuyaux partout pour le maintenir en vie. Bref, l'acharnement thérapeutique : nous avons demandé à le débrancher de cette maintenance dans une vie artificielle pour qu'il puisse s'en aller en paix. Une bataille gagnée.
Un déclic pour moi : plutôt que de me consacrer à l'écriture et aux arts plastiques lors de ma pension, j'ai choisi le bénévolat parmi les mourants. C'était le début des soins palliatifs. Jamais je n'ai regretté ce choix. J'ai reçu beaucoup plus que je n'ai donné.
J'ai adoré ce passage de ton commentaire : "Dans son exemple ....me suis arrêtée à ne pas "jalouser personne" : ah, ce poison de la jalousie dont j'ai eu, souvent à subir les retombées !! On n'en parle pas beaucoup, mais c'est destructeur, une véritable bombe morale.... et aimer ... tout est là. Celui qui aime ne songe pas à faire de mal.
Sans confondre amour et possession-domination. Tu diras que je suis une affreuse bigote, mais il n'y a rien de plus beau que le texte de Saint Paul à propos de l'amour. Il est dailleurs lu à la plupart des mariages ..... mais, hélas, si peu appliqué vraiment. Et, à propos des enfants, le texte Khalil Gibran.
Ce sont deux textes forts qui nourrissent l'âme.
Merci Gil pour ces échanges super fructueux. Bonne soirée. Rolande
Ah le père ....
Nous avons souvent une relation forte envers lui, en amour ou en douleur...
Séparée du mien pendant 27 ans par une guerre familiale sans doute aussi cruelle que toutes les guerres, je l'ai retrouvé il y a quelques années comme si nous nous étions quittés la veille.
Bonjour Rolande
Ton poème dédié à ton père ne pouvait que me toucher et me ramener au mien, qui me fait si souvent écrire … Ouvrier agricole, puis ouvrier d’usine, il a connu aussi la déportation du travail voulue par les collaborateurs du régime nazi. Il en est revenu contrairement à son frère, mort dans des circonstances obscures. Après avoir été forcé au chômage par trois fois, par trois plans de liquidation industrielle, il est parti il y a 26 ans, d’un cancer des poumons dont la cause est évidente pour un ouvrier des papeteries respirant chaque jour des vapeurs acides. Il nous a manqué du temps pour se parler, et ceci explique cela.
Dans son exemple, j’ai plus appris que dans nombre de livres. La première chose, c’est que la paix doit être notre bien le plus précieux, et à chérir. Et cela commence par soi-même et par des choses simples : les portes ouvertes de sa maison et de son cœur, le sens de l’accueil et de la solidarité, partout, envers qui en a besoin. La seconde est qu’il faut être à la fois humble et fier de ce qu’on fait dans la mesure où on le fait bien, et ne jalouser quiconque. La troisième est de donner du sens au verbe aimer qui passe par la fidélité à ses amours, à ses amitiés, et aussi par la plus large ouverture des sens et le jardinage des beautés qui nous entourent.
Etant né après guerre, je n’ai pas connu ce que tu dis fortement dans ton texte. La guerre t’a volé longtemps une grande partie de ton père et qu’il te fut difficile de retrouver. Mais la fin de ton texte dit bien que la meilleure réponse à ça était cet énorme remerciement pour lui dans ton amour charnel de la vie… Cet amour de la vie m’habite aussi pour des raisons qui se ressemblent.
Bonne journée. Amitiés. Gil