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MON COMBAT LIBRE

http://www.courrierinternational.com/article/2009/04/30/ici-tous-les-coups-sont-permis

Extrait :

« Il s’agit, nous dit-on, d’une rencontre de “combat libre”, ce que les amateurs préfèrent appeler “arts martiaux mélangés” … Pratiquement inconnu il y a dix ans, ce sport de combat particulièrement spectaculaire a pris les Philippines d’assaut. Son succès est tel que certains passionnés sont prêts à payer jusqu’à 200 dollars pour assister à un combat opposant des lutteurs connus...

Le combat libre, c’est … Tout ce qui est autorisé en jiu-jitsu brésilien, boxe, lutte, kick-boxing, taekwondo et judo est permis. On peut donner des coups de poing et des coups de pied, effectuer saisies et étranglements. Les pugilistes entament généralement leur combat debout en boxant, mais un coup de pied ou de poing – sinon une projection – les mène tôt ou tard à poursuivre l’affrontement au sol. Chacun tente alors de paralyser l’autre par un étranglement ou une clé. Le combat s’achève quand l’un des deux est mis KO ou abandonne… »

 

Mon combat libre…

 

Qu’on s’y attende ou pas, un jour ou l’autre, le verdict tombe : cancer. Personnellement, je ne m’y attendais pas : avant l’opération, aucun marqueur dans la prise de sang, aucun symptôme qui aurait pu faire croire à quelque chose d’aussi soudain, d’aussi désespéré…

Une simple douleur un jour, le corps qui prévient. Mais pas écouté, il continue de mener sa vie. Et puis, une petite alerte un peu déstabilisante et tout s’enchaîne à grande vitesse. Pas le choix : un truc à enlever très vite. Mais toujours pas d’inquiétude à avoir puisque la prise de sang est bonne et que la batterie d’examens ne révèle rien d’exceptionnel.

Au vu de l’énormité de la chose et ne connaissant pas son évolution, il est nécessaire de l’extraire sans attendre. On ne peut prendre le risque d’une « explosion » interne. Et c’est ici que le tourbillon vous entraîne… embrigadé dans un système qui annihile toute volonté de rébellion : une prise en charge clinique totale dans un domaine aseptisé de la réalité du dehors. A partir de cet instant, plus le choix, on est obligé de faire confiance.

Et pourtant, la mienne avait été sérieusement ébranlée au cours des dix-huit années de galère vécues la main dans la main avec mon double qui était parti quatre ans plus tôt fatigué d’un trop lourd combat. Nous en avions connu des charlatans depuis que s’était déclarée sa maladie d’Hodgkin, mais aussi et surtout des gens formidables qui lui avaient permis de vivre une vie potable. J’avais fini par repérer les incompétents à distance et pendant les dernières années de sa vie, il était entouré d’une équipe médicale formidable sélectionnée par mes soins.

En effet, j’étais devenue très dure, impitoyable mais c’est la sphère dans laquelle nous avons évolué qui m’avait transformée. La vie à tout prix mais pas à n’importe quel prix : dans les meilleures conditions possibles sinon rien.

Nous avions déambulé pendant de nombreuses années dans ce monde particulier du cancer qu’on ne retrouve dans aucun service, une planète à part dans les hôpitaux où tout semble permis au malade dès qu’il en franchit la porte. Le personnel est formé pour répondre à vos moindres désirs toujours avec le sourire et donnant l’impression que tout est toujours parfaitement normal. De vrais bisounours de la ponction, de la perfusion, de la prise de sang, des selles et des urines… Je continue à me demander comment, avec une telle pression journalière, ils peuvent rester intacts. On ne dira jamais assez combien le personnel soignant est admirable. Même les techniciens de surface sont plus délicats, plus attentifs à ne commettre aucune erreur. Vous êtes le patient qui est susceptible de vivre vos derniers instants. Il faut qu’ils soient les meilleurs possibles.

Quand le verdict est tombé en ce qui me concerne, j’allais parfaitement bien. L’opération s’était déroulée avec succès. Ma cicatrice s’était un peu défilée, mais l’important est que je me remettais à grande vitesse et que j’avais repris ma vie de façon quasi normale. Je ne m’attendais pas du tout à ce que j’allais entendre : GIST… rarissime… inguérissable il y a encore cinq ou six ans… mais j’avais de la chance : un seul remède existait qui avait fait ses preuves…

Et c’est là que je me suis étonnée moi-même, il ne m’a pas fallu cinq minutes pour reprendre mes esprits et dire à l’oncologue :

« Cartes sur table, madame. Quand on a un adversaire, pour le battre, il faut le regarder en face. Je veux tout savoir, ne me cachez jamais rien. Sinon, j’irai voir ailleurs. »

Quand je suis sortie de son cabinet, tout était dit, parfaitement expliqué et j’étais tout à fait sereine. J’allais bien quelques minutes plus tôt. Il n’y avait aucune raison pour que cela soit différent maintenant que je savais. J’avais pris ma décision de ne vivre mon cancer que dans le « pavillon des cancéreux », je ferais ce qu’il faudrait et plus encore pour que ma vie reste des plus normales.

J’avais constaté que la plupart, sinon tous les cancéreux que j’avais côtoyés, passaient par les mêmes stades une fois l’annonce de leur maladie : un moment plus ou moins long d’incompréhension et d’abattement, des instants de découragement et ensuite beaucoup de hargne, un sentiment d’injustice (pourquoi moi alors que tel ou telle a fait bien pire que moi ?)… bien que je comprenne cette faiblesse, je n’y adhérais pas. Je n’avais pas le choix. Plus vite je me lancerais dans le combat, plus vite j’en sortirais vainqueur. Je n’en doutais pas. Je n’en ai jamais douté. Il ne pouvait en être autrement.

J’ai donc délimité mes zones de combat :

A l’hôpital, bien sûr pour tous les examens préconisés par l’équipe en qui j’avais mis toute ma confiance. Je n’ai jamais été aussi bien révisée. De haut en bas, chaque petit bout de moi est imprimé quelque part dans un dossier… Aucun risque de prolifération illégale d’une maladie quelconque.

A la maison, à l’heure du petit déjeuner que je me suis obligée à prendre en même temps que l’unique médicament à ingurgiter chaque jour pendant un minimum de trois ans. Et seulement durant ces instants quasi religieux où je ne fais qu’un avec cette bienfaisante chimio. J’ai dû m’y accoutumer… un premier combat mais tellement bienveillant de part et d’autre. Il fallait seulement que Glivec et moi fassions connaissance. Nous sommes devenus très amis. Il ne m’occasionne que, de temps en temps de petits œdèmes sous les yeux ou la bouche, histoire, sans doute que je sache qu’il continue à prendre soin de moi. Finalement, ces petits effets secondaires me rassurent.

Tout ce qui n’était pas zone de combat devait être le plus normal possible. J’allais bien, inutile qu’on me chouchoute, qu’on me dorlote, qu’on me parle comme à une malade… Pour combattre, il faut être dure, solide, pas de sentimentalisme… l’adversaire, le cancer, ne fait pas de concession : c’est lui ou vous. Dans tous les cas, il vaut mieux que ce ne soit pas lui.

Je n’ai pas l’habitude d’attaquer en premier. Mais face à un adversaire qui ne prévient pas et pour qui tous les coups sont permis,  j’ai dérobé à ma règle habituelle et j’ai cogné de plein fouet. Il a tout pris dans la face. Au tapis, mon cancer. Mais je continue de veiller. Je ne lui tourne pas le dos. On ne sait jamais, il est tellement vicieux qu’il pourrait simuler le KO.

Au dixième mois, je suis toujours debout sur le ring, GIST inconscient à mes pieds. Je suis tellement radieuse que ma cancérologue a passé la main à son assistante chargée de mes visites de contrôle. Je ne fais plus que de brèves incursions dans l’atmosphère feutrée de cette aile de la clinique. J’y revois des visages connus, certains reflètent l’espérance, d’autres ont perdu le combat et d’autres encore sont comme le mien… cela nous rapproche d’autant plus que nous savons que plus rien ne sera jamais plus comme avant, que la vie est une guerre perdue mais que chaque combat que nous menons en recule l’échéance fatale. Cette vie qui a pris plus de valeur, qui mérite qu’on la vive pleinement, naturellement et débarrassée de toutes les choses mesquines et inutiles qui la pourrissent.

Cette année 2012 a été révélatrice et enrichissante pour moi. Passant du rien au tout et du tout à rien… Une année charnière ouvrant la porte sur la vraie vie. Je ne l’ai jamais rêvée parce que son existence m’était inconnue. J’ai maintenant appris à prendre soin de moi. Adepte des plaisirs simples et naturels, du bio et de la sophrologie, me voilà bien armée pour entrer sereinement dans l’année 2013.

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Commentaires

  • Merci Jo. A bientôt j'espère, un gros bisou à tous les deux

  • Bravo, Yvette ! Un texte plein de punch et de volonté, de clairvoyance et de franchise.
    Merci pour le partage.

    Jo

  • En effet, Béatrice. Merci pour vos bons voeux. Je vous souhaite le meilleur pour l'année qui vient. Très amicalement, Yvette

  • Merci Claudine,

    Je souhaitais avant tout que ce texte soit un témoignage: mon vécu en tant qu'accompagnante (on n'en parle jamais des compagnons de vie qui doivent subir les humeurs, les douleurs sans pouvoir rien y faire au quotidien et qui finissent par s'oublier) et en tant que, plongée à mon tour dans le bain. 

    Je pense que, tant qu'on regarde l'adversaire en face, on est toujours gagnant: un jour à la fois, rien que le fait de pouvoir se lever, respirer l'air du dehors, faire des petites choses à son aise et sans trop se poser de questions est un bienfait de la vie. On finit d'ailleurs par voir les choses autrement.

    Je crois en effet à fond à ma guérison. Merci de ton témoignage. Je suis de tout coeur avec toi. Bisous!!!

  • Bonsoir Yvette.

    Tu as raison : bats-toi !  Mon mari a perdu le combat, après 8 mois de lutte à n'en plus pouvoir.  Il a alors baissé les bras : c'était le trop du trop tard.  Je te comprends vraiment : je l'ai accompagné durant cette affreuse période.  C'était un chêne.... il n'en restait plus rien que la douleur, mais je sais qu'il se serait encore battu si il y avait encore eu un peu d'espoir.  Ton magnifique texte m'a replongée dans cette terrible bataille, qui s'est terminée en novembre, et j'en suis toute ébranlée, là, devant mon ordinateur.   Crois en toi, en la force de ton corps et à sa jeunesse.  Tu n'as pas le trop du trop tard ..... tu vas gagner, c'est sûr !

    Je t'embrasse, Claudine.

  • Merci Olivier

    Cela me fait chaud au coeur que certains comprennent vraiment ma vision des choses.

    Je vous souhaite à tous les sept beaucoup beaucoup de bonheur.

    De gros bisous à tous!!!

  • Bien vu Yvette, quelle belle attitude : Patience et courage font plus que force et que rage..

    L'amour de la Vie , de ta Vie et des ces petits hérissons qui ont tant besoin de toi...tout un petit monde qui te montre à quel point tu es leur soleil indispensable à l'éclosion d'une fleur....le Bonhuer

    De tout cœur avec toi..beaucoup d'amour et chapeau haut .

    Bisous de nous 7

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