A l’âge relativement tardif de trente-trois ans, Michaël Borremans se met à peindre, et ce n’est qu’en 2000, à trente-sept ans, qu’il présente sa première exposition individuelle réunissant des tableaux et des dessins au S.M.A.K., à Gand. Suivent ensuite des expositions significatives à la galerie Zeno X à Anvers et l’année suivante, à la galerie David Zwirner à New York. Borremans semble émerger immédiatement en tant qu’artiste pleinement abouti sans aucune gaucherie expérimentale ou débuts maladroits. Dès le début, ses séries d’œuvres évocatrices — tableaux, dessins, films — fascinent le spectateur qu’elles immergent dans des situations à la fois curieusement familière mais subtilement illogique procurant un certain vertige. Caractérisée par un sens ineffable de la dislocation son œuvre disparate inclut différents médias et est unifiée par une syntaxe visuelle qui saisit les sujets de l’artiste dans des états interpelant le spectateur. L’œuvre parait explorer des conditions psychologiques complexes qui perturbent la simple logique. L’artiste déploie des signifiants qui se heurtent dans des espaces ambigus et crée une atmosphère troublante hors du temps, un espace où le temps semble avoir été annulé. L’angoisse envahit ces œuvres énigmatiques comme par exemple cette piscine où des êtres lilliputiens s’ébattent tranquillement tandis qu’une image menaçante surplombe l’ensemble. C’est l'image d'un homme sur le torse duquel est écrit "People must be punished" et on voit quatre trous noirs autour des deux mamelons. De nombreuses personnalités du Dallas Museum of Art ont contribué à la réalisation de l’exposition « As sweet as it gets » , une coproduction qui vient d’ouvrir au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.
« As sweet as it gets » est un titre humoristique et ouvert, mais recèle aussi des intentions potentiellement sombres. L’expression « as sweet as it gets » véhicule certes un sentiment de contentement absolu, de satiété, une sensation que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Parallèlement, cette phrase simple, familière et intentionnellement vague, soulève des interrogations. Souvent tout est dans la connotation et le sens provient de l’inflexion utilisée. Comme le prouve la façon de dire par exemple « good for you » qui peut exprimer, selon la tonalité employée, l’enthousiasme sincère ou un profond mépris. « As sweet as it gets » peut suggérer à la fois la vision d’un présent rayonnant ou l’acceptation résignée lorsque les choses ont touché le fond. Cette ambiguïté crispée constitue une métaphore éclairante de l’œuvre de Michaël Borremans. Il effectue des symétries frappantes entre beauté stupéfiante et abjection dérangeante, humour et désespoir, force et fragilité, vie et mort. Tapie dans l’ombre de son acception ensoleillée, l’expression « as sweet as it gets » comporte un sous-entendu évident d’amertume qui vient jeter le doute sur l’apparente beauté plastique et le rendu très habile des textures et reliefs.
La question que Borremans pourrait alors poser est la suivante : Quant au monde où nous évoluons, est-il aussi innocent qu’il y paraît et quelles perspectives nous offre-t-il ? La représentation du conflit entre deux réalités est bien le propos de cet artiste déroutant qui chérit les effets contradictoires en stimulant notre imaginaire de façon provocante. L’humour malicieux fait vite place à la critique cinglante.
Formé initialement à l’art de la gravure et au dessin, Borremans les a longtemps enseignés. A la fin des années 1990, il se mit à pratiquer une production artistique indépendante. Des œuvres réalisées méticuleusement à l’encre, vernis et gouache, ou crayon noir. Elles foisonnent de signes mystérieux et de symboles hallucinatoires, qu’il faudrait pouvoir scruter à la loupe, tantôt éclairants tantôt mystificateurs. On ressent derrière ces productions un besoin très net de subversion. Les commentaires sociopolitiques humoristiques qui s’adressent à l’indifférence collective de notre société contemporaine rappellent parfois l’esprit roboratif d’un James Ensor. Borremans fait usage de différents niveaux de réalité en mélangeant à dessein les échelles, pour créer des assemblages impossibles ou des relations illogiques comme dans The Good Ingredients et Le Sculpteur de Beurre.
Ses protagonistes sont représentés en gros plan ou à distance, isolés sur fond d’architectures ambiguës, éclairés par une lumière pâle ou estompés par des ombres menaçantes. Cela fait aussi penser aux personnages solitaires et pensifs, plongés dans des états de semi-conscience de Thomas Beckett. Des figures solitaires ou en groupe semblent émerger de surfaces improbables ou être posées sur elles à la manière de figurines sur un échiquier flottant. The Apron, Terror Watch, et Four Fairies. Toute une symbolique du mal-être, du malaise et de la difficulté de la communication, comme dans le théâtre surréaliste. Les regards sont tournés vers l’intérieur, absents ou fuyants.
Un thème récurrent dans l’œuvre de Borremans est la mélancolie et la tristesse insondable qui peuvent se dégager des états physiques blessés ou délabrés ou de lieux abjects dans lesquels se retrouvent ses sujets. Ceux-ci sont souvent croqués dans des situations de soumission, d’altération, de manipulation, de complaisance forcée, victimes d’un pouvoir invisible et implicite. Ces sujets sont ou victimes de l’oppression institutionnelle ou de leur propre aveuglement. Le tout souvent accompagné de titres ou commentaires caustiques et absurdes. Le 1984 de George Orwell a laissé des traces certaines dans notre appréhension du monde et sûrement dans celle de cet artiste flamand que d’aucuns comparent à Luc Tuymans.
Samedi 22.02 > Dimanche 03.08.2014
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