Les témoins
J'ai revu les témoins de ma vie de naguère
Lorsque je me heurtais aux parois du savoir,
Des témoins qui jugeaient, sans rien apercevoir,
Des remous de mon âme où cognait la colère.
Ma mère était papillonneuse
Elle trimait sans un refrain
Pour gagner le pain quotidien
Je n'étais pas vraiment heureuse.
J'étais une bonne écolière
Première en classe le matin,
Aussi première aux examens
Et ma mère en était si fière!
Mais les ragots dans le village
Déjà, se frayaient un chemin
Et les pipettes à venin
Se préparaient aux commérages.
A quatorze ans, finie l'école.
C'était l'usine ou l'atelier
Où meurent les fleurs en papier
De l'écriture sans parole.
Je me suis trouvée prisonnière
D'une mansarde sans maison
Où s'éteignaient toutes chansons :
J'étais là, seule, pensionnaire.
Il me fallait bien ce bagage
D'études sans rimes raisons,
De solitude sans pardon
Où glissaient de mornes visages.
J'étais aussi bien trop jolie
Pour ce métier qu'on destinait
Aux dragons vertueux, parfaits,
Mais sans aucune fantaisie.
J'aimais trop bien les ritournelles,
Les rires fous et sans façon :
Je me faufilais l'hameçon
Préparé par des haridelles.
Un beau jour j'ai largué la voile
Aux quatre coins de l'horizon,
Avec au bras un beau garçon,
Le ciel d'Afrique pour étoile.
Le soleil battait la mesure :
Adieu la pluie, adieu le gris !
Je me noyais dans l'Infini
Et sentais vibrer la Nature.
Mais le bonheur est éphémère
Il a duré quatre saisons.
Avant de partir à la guerre,
Il s'est pendu dans l'illusion.
Pendant ce temps les haridelles
Préparaient le vin du retour
C'était un vinaigre d'amour
Pour dissoudre les coeurs rebelles.
Et les machines infernales
Ont pris mon corps dans un étau,
Traîné ma vie dans le ruisseau
Pour un enfer de bacchanales.
J'implorais dans ma solitude
Un peu de rêve et de beauté :
on me servait l'iniquité
Sur un plateau de servitudes.
Alors j'ai hurlé ma colère
A ces paragons de vertu
Qui écrasaient comme un fêtu
Ma vérité de roturière.
C'est ici la fin de l'histoire
D'une fillette qui aimait
De la tendresse le portrait
Mais cherche encore un auditoire.
J'ai revu les témoins de ma vie de naguère
Lorsque je me heurtais aux parois du devoir,
Des témoins quiriaient, sans rien apercevoir,
Des tourments de mon âme où cognait la colère !
Papillonneuse : ouvrière chargée de préparer les "papillons" destinés aux métiers à filer la laine.
Rolande Quivron (E.L. Quivron-Delmeira) 26-10-1974
Etrait du recueil "Intégrales" (La Pensée Universelle-Poètes du Temps Présent) 1983
Commentaires
Merci Chère Adyne dont j'admire le talent de portraitiste où se révèle l'âme des modèles.
A travers la tienne ? Je le crois.
Bonne soirée. Rolande avec toutes ses pensées amicales.
Merci Rolande pour ce partage émouvant et écrit avec talent.
Affectueuses pensées.
Adyne
Impossible de ne pas se rencontrer dans l'une de ces synchronicités surprenantes qui ont émaillé nos vies.
Pour vous (mais ne pourrions-nous pas nous tutoyer ?) aucune surprise en ce qui concerne votre NDE : toute ma sensibilité le chantait. J'ai, à ce propos d'extraordinaires témoignages assez surprenants. Comme si des liens invisibles nous unissaient : certaines ont abouti sur des amitiés en acier trempé. Surtout en France.
J'ai vite décelé le secret qui pesait également dans notre famille. Lorsque ma mère, avec beaucoup de prudence m'en a parlé, je lui ai dit comment je le savais. Rester muette pendant tant d'années lui paraissait impossible. Mais si, la guerre m'avait appris à entendre, voir parfois et me taire.
Lorsque le visage du neveu de ma grand-mère, sa marraine, m'est apparu dans l'encadrement de la porte d'entrée alors que nous le croyions en Angleterre, les réflexes ont été rapides. Agir vite, reprendre le chemin de l'école le visage serein, et .... rester muette.
En fait, il était agent dans un réseau de résistance anglais et parachuté régulièrement en France ou ailleurs pour y effectuer des missions.
Après la guerre nous avons tout appris. Il avait été arrêté dans un tram bruxellois, emmené en Allemagne au camp de Wolffebuttel et décapité. Pour l'exemple, n'ayant pas voulu révéler les noms des membres de son réseau.
L'ennemi avait une certaine admiration pour ce type d'homme en acier. Il avait été inhumé dans un carré spécial. Après avoir rejoint sa ville de naissance, il y repose en paix pour l'Eternité.
J'ose espérer pouvoir un jour lire le livre que tu prépares comme j'ai lu celui de la "Petiteriendutout" , une ermite dans la Ville, qui a témoigné de sa NDE. Passionnant.
Je n'ai pu résister à revenir sur le site .... . Demain, vous recevrez les indications pour retrouver les témoignages. Pas vraiment compliqué.
Bonne soirée. Cette fois-ci je ferme .....Amitiés Rolande.
merci de ce partage ROLANDE je suis heureuse de cet échange dans lequel transparaissent toute votre sensibilité votre rage et votre passion pour la vie ! Quelle chance pour les enfants, je suis certaine que vous aurez semé en quelques uns la bonne graine, celle qui ne demande qu'à germer et à lever !
j'ai par bonheur rencontré une véritable enseignante (Cours moyen 2ème année) qui portait le nom de M elle MEA, elle m'avait dit au moment où je quittais l'école pour un autre ailleurs "Pour te souvenir de moi, puisque tu vas sur ROUEN, tu penseras aux méandres de la SEINE et Tu couperas le mot juste le mot en deux et il te restera MEA" depuis outre son nom c'est l'univers du théâtre (qu'elle m'a fait découvrir) et JEAN BAPTISTE POQUELIN qui sont demeurés inscrits en moi. La puissance des mots a retenti en moi, une petite tirade qui n'avait l'air de rien m'a foudroyé en plein vol,
J' ai longtemps ignoré le sens majeur de cette résonance soudaine en moi mais des années plus tard, j'ai compris pourquoi elle avait si intensément fait écho dans mon être et ma chair.
"Là ou est attachée la chèvre, il faut bien qu'elle broute !" m'a depuis révélé tout son sens, étonnamment cette citation touchait droit à la cible. Celle d'un secret bien enfoui dans la famille. J''en ai décortiqué tous les méandres, j'ai saisi depuis le sens des cauchemars, des visions, des flashs et des impressions étranges qui m'habitaient depuis toujours,. C''est l'histoire que je raconte dans le livre dont je finis d'accoucher, c'est l'enfantement le plus doux qu'il m'ait été donné de vivre ....Là encore des dizaines de coïncidences fort surprenantes comme si l'univers en union avec mon âme me renvoyait en écho ce que je croyais écrire par LE simple fait du hasard ? La vie ne serait elle qu'un continuum ? j'aime à le penser et mon expérience m'interroge encore plus
La mort de mon cousin et une NDE à l'âge de 29 ans auront préfacé l'aube d'un jour nouveau jour , ma vie a été doublement bouleversée à la fois parce que le présent parlait mais parce que résonnait aussi en moi un passé douloureux ...........j'ai désormais transcendé le tout, et j'espère avoir la joie de pouvoir partager ce témoignage en partie romancé avec le plus grand nombre ! à la grâce de DIEU
Merci Nadine pour ce commentaire .... Comment certains finissent par s'extirper ? C'est le mystère de la vie, des rencontres, d'une faculté de résilience jusqu'au fatal instant où tout se dilue à nouveau.
Atteinte du fond, retour vers la Lumière en un éternel recommencement.
Grande est alors la peur de se retrouver petit poisson à la merci des requins rodeurs. Cadeaux reçus: Lumière et Amour en certitude.
Nous ne sommes plus seuls. Après avoir connus la peur du témoignage. De passer pour "fous" ... d'être colloqués (si si il y en a eus) les langues se sont déliées vers les années 80. A présent, de grands chercheurs s'y intéressent. Même Penrose .... après toute une histoire concernant les deux Infinis ....lors d'une formation en "mathématiques dites modernes" j'avais osé enseigner à des enfants de deuxième primaire l'Infini Négatif. Grand scandale, culpabilisation : "L'infini négatif n'existe pas!" Mais si justement, il existe : Grâce au livre de Penrose,"les deux Infinis et l'Esprit Humain" j'ai été délivrée d'une culpabilisation traînée pendant des années !!
Je suis heureuse de l'avoir retrouvé grâce à Internet .... s'intéressant justement aux témoignages des "Etats proches de la mort" ....
A 83 ans ! .... je dis merci pour ces retournements bénéfiques.
Je me souviens très bien d'une nouvelle de je ne sais plus quel auteur à propos de "Mozart assassiné" : un petit garçon adorable rencontré dans un train. Dont les parents suintaient la misère.
Combien des ces "Mozart" sur notre vieille terre ?
Merci Nadine et bonne route pour les romans en gestation.
Amicalement. Rolande.
elle est grande la colère qui nous place face à notre impuissance, face à l'ignominie d'un monde qui nous condamne dès le plus jeune âge à servir l'enfer, elle est saine cette colère, elle est puissante et nous tire vers la lumière, elle est la manifestation de ce non magistral que notre être profère quand il sait quand il sent que la vie est ailleurs , bravo pour ce plaidoyer contre le massacre des jeunes âmes
Bonjour Martine,
Eh oui, il faudrait parfois se parler de coeur à coeur pour éliminer bien des malentendus.
Comme le dit Valériane, si la misère a changé de lieu géographique et de camp, elle demeure stagnante et rampante et cachée, même au coeur de nos soi-disants richesses qui reposent sur des pieds d'argile. Comme le Colosse ! Et c'est çà qui donne peur aux gens justement : cette fragilité ! Pour certains, les cocotiers sont mieux que virtuels !!
Merci de m'avoir fait un petit coucou. Bonne journée à toi. Amitiés.
Comme nous sommes proches! Et ne le savions pas...
Le sort pathétique de ceux nommés autrefois les "humbles" et dépeint par vos soins, n'est pas sans m'évoquer , outre l'auteur de la Comédie Humaine et de celui d'un Cœur simple, le Père de Germinal, qui s'adonna à brosser des portraits de personnalités au destin tragique, décuplé par le fait que subissant leur destinée, sans y pouvoir rien changer.
"Mon cœur crève de pitié" comme l'énonçait Francis Jammes à propos des déshérités à deux et quatre pattes, ou plutôt, il se gonfle de compassion envers ces anonymes qui n'ont pas eu le privilège de résister, de rentrer en rébellion contre un chemin tout tracé, dépourvu de sens et de saveur !
Si encore la Misère, sœur de la Désespérance, s'était estompée... Elle a seulement changé de lieux géographique et de formes !!!
Merci de ce bel écrit, témoin de tout un pan de générations.
Bonjour Sandra,
C'est très gentil d'avoir bien voulu consacrer du temps à me répondre.
On cachait ma mère (et sans doute d'autres enfants) dans des balles de laine lors des inspections car, déjà, la loi d'interdiction de travail aux enfants de moins de 14 ans venait d'être promulguée. Avec la complicité des contremaîtres et consorts. Le film "Deans" - flamand - est très révélateur de cet état de fait.
Je vous quitte tous pour une longue période d'un mois sans aucun doute.
J'espère vous retrouver dans de nouvelles compositions et oeuvres à mon retour.
Actuellement, en Belgique, il y a aussi des enfants malmenés qui traînent, mendient, se prostituent. Inutile de se voiler la face.
Ton témoignage concernant ton arrière grand-mère m'a beaucoup touchée : évidemment, je connaissais très bien les dures conditions de travail des mineurs de fond.
Bonne fin de journée. Rolande.