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Le temps immobile de Claude Mauriac

12273203478?profile=originalIl s'agit du journal de Claude Mauriac (1914-1996), publié à Paris chez Grasset de 1974 à 1991.

Onze ouvrages constituent à ce jour le vaste ensemble du Temps immobile. Entre 1974 et 1978, chaque saison littéraire a vu paraître un tome: le Temps immobile, I (1974); les Espaces imaginaires (1975); Et comme l'espérance est violente (1976); la Terrasse de Malagar (1977); Aimer de Gaulle (1978). Les titres indiquent clairement qu'il s'agit à la fois d'un témoignage autobiographique, d'une rêverie qui embrasse les lieux privilégiés de l'enfance autant que la simple chronologie événementielle, et d'une réflexion, à travers le destin des grands hommes, sur les faits les plus importants de notre siècle. Alors que François Mauriac est mort en 1970, le Rire des pères dans les yeux des enfants est publié en 1981; Signes, Rencontres et Rendez-vous, en 1983; Bergère ô tour Eiffel, en 1985; Mauriac et Fils, en 1986; l'Oncle Marcel, en 1988. Ces Mémoires couvrent plus d'un demi-siècle et établissent, par-delà les années, un rapprochement émouvant entre l'adolescent qui traçait les premières lignes de son journal en 1927 et le septuagénaire qui les relit. Enfin le Temps accompli, paru en 1991, clôt le paradigme du «temps immobile» et couronne un brillant édifice auquel il apporte sérénité et sagesse.

Bien plus qu'une simple collection de souvenirs, le Temps immobile se présente comme une méditation sur le matériau brut de la vie affective dont il tente de reproduire le lent cheminement, les associations imprévisibles ou les brusques revirements. Parler d'immobilité peut paraître paradoxal face à un flux, par définition impossible à arrêter. C'est souligner, du même coup, les limites de l'écriture, incapable de rendre compte de l'inépuisable foisonnement du monde intérieur. Claude Mauriac semble profiter alors des techniques du Nouveau Roman, plus particulièrement celles de la polyphonie ou de la composition en canon de Michel Butor: «Je me demande si, dans l'impossibilité où je suis de composer le Temps immobile pour en donner, de mon vivant, quelques parties au moins orchestrées, la solution ne serait pas d'insérer ainsi, à leur place dans le temps _ le temps passé, le temps immobile _ les contrepoints dont je sentirais dans la symphonie l'utilité, là et pas ailleurs, à cette, à ces dates précises et pas à d'autres.» Les notes, lettres ou fragments de chapitres rédigés longtemps auparavant sont découpés et montés par l'auteur, éliminés ou réorganisés en fonction de sa vie présente. Ainsi le point de vue actuel a-t-il une importance décisive dans le choix et le traitement du passé. Mais celui-ci, à son tour, influe sur la façon dont l'homme adulte regarde le monde au moment où il retrouve les violentes émotions de sa jeunesse. Une partie, par exemple, de Bergère ô tour Eiffel (dont le titre, emprunté à Apollinaire, souligne le rôle de la poésie dans l'inspiration du mémorialiste) s'arrête plus longuement à la période de la guerre: «le Lac noir». A sa femme qui lui reproche, le 2 août 1983, sa mauvaise humeur, Claude Mauriac croit pouvoir répondre que ce n'est pas à son moi d'aujourd'hui qu'elle s'adresse, mais à ce moi errant jadis, dans Paris occupé, sous les bombardements et les tirs de DCA: «"Ce n'est pas sain", m'avait dit, la veille, une fois de plus Marie-Claude de mes descentes dans le temps. Ce qui n'est pas sain, c'est de laisser ces plaies suppurer. Mais il est vrai que cette spéléologie met mon équilibre en danger. [...] D'autres Français sont-ils encore comme moi, quarante ans après, à ce point malades de l'Occupation?»

Le rapprochement des dates, plus particulièrement rythmées par le retour des fêtes chrétiennes ou des saisons, permet d'établir des superpositions thématiques. Les événements disparates de la vie individuelle, s'inscrivant dans la longue durée des cycles cosmiques ou des mythes fondateurs de notre civilisation, prennent alors une dimension spirituelle. Une rencontre (Gilles Deleuze ou Borges), une lecture (Stendhal), un film (Godard), l'engagement politique (telle manifestation en faveur de prisonniers, un soir de Noël), épousent le mouvement de l'Histoire. Une confession ou le rappel d'une scène intimiste («4 janvier 1932. Pour ne pas empêcher Jacques, qui s'est couché, de dormir, je vais faire une version grecque au salon, à côté de papa qui corrige les épreuves du Noeud de vipères»), échappent à la simple anecdote et deviennent une tendre confidence qui semble appeler la réponse, au moins implicite, d'un chaleureux humanisme ou d'une foi religieuse. Transformée par l'écriture, l'existence acquiert un sens, se soumet à un ordre supérieur et trouve la paix - cette immobilité de l'âme - dans l'acceptation du destin.

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