WAM! Magnifique sujet ! Brassens* ou Brel en aurait fait une chanson bien sympathique, Raymond Devos, en aurait fait un délire scénique, Raymond Queneau un exercice de style facétieux, Thomas Günzig un café serré palpitant.
L’idée est excellente : saisir sur le vif cinq quidam en proie au désir foudroyant d’être ou de devenir premier.
Premier en math ? Premier né? Premier de cordée ? (Personne ne connait plus…) Jeune premier ? (Cela se fait encore?) Premier baiser? … On verra beaucoup plus torride, et pas toujours du meilleur goût!
“Be the first to post on this Page”, lit-on souvent! On écrira donc!
Premier oui! Etre le Premier dans le rang, comme à l’école, en première primaire, ils se bousculent pour être devant la ligne tracée au sol. On n’est nulle part, il n’y a pas de décor. Laura Noel, Maud Bauwens, Robin Van Dyck, Camille Pistons, Abel Tesch et Gabriel Aimaer interprètent des quidams stéréotypés à outrance qui enragent ferme devant cette ligne blanche marquant la tête d’une queue devant Rien. Le nom de la troupe c'est d’ailleurs « le théâtre Jean Rage ». (Rires). Il ne se passera rien d’autre. Cela crie, se renverse, se pousse, gesticule, copule à qui mieux mieux. Les artistes très dynamiques endossent avec férocité la tricherie, la manipulation, la séduction mais le choix de la mise en scène ne nous semble pas très convaincante, car l’exagération délibérée finit par nuire ou agacer.
Le maillon faible, ce n’est donc pas tant les jeunes comédiens à qui on a demandé de surjouer, mais le metteur en scène qui a trop donné dans la caricature et pas assez dans la justesse de ton.
Au contraire, s’il avait choisi l’ironique « understatement », à la manière de Beckett, ou les silences de Pinter, le texte d’Israël Horovitz n’aurait pas été si dilapidé! Et les folles stratégies des « gagnants » auraient été mieux mises en évidence. Victime du chaos et de la sauvagerie ambiante, Benoît Pauwels a sans doute perdu son cordeau, fasciné par la ligne blanche qu’il a installée pour conduire le spectateur du bar à la salle du troisième et qu’il doit finir par faire avaler à l’un des quidams! Sacré défi! L’oiseau rare qu’est cette pièce culte d’Israël Horowitz... est bien ébouriffé et en avale presque sa cravate!
Dans la salle pleine à craquer, nous sommes arrivés les derniers sur la liste d’attente et, installés au tout premier rang, en définitive nous étions bienheureux de jouir d’une telle perspective sur le plateau. Ah qu’il est bon d’être premier! Et le public derrière nous ? Très réactif, féroce lui aussi, sans doute bien calibré sur le spectacle : une jeune assemblée friande de deuxième degré, du décalé, comme on dit! Mais nous étions souvent les derniers à rire, trop préoccupés à analyser les réactions autour de nous. Pour nous, la férocité, le parfois vulgaire, et le désarticulé ne font pas le bonheur. A propos, c’est de Guy Béart « le premier qui dit la vérité ! », non ?
*https://www.youtube.com/watch?v=_srFL6xXsQ0
13 représentations en Mai au :
Centre Culturel des Riches-Claires
Les Riches-Claires, situées au cœur de Bruxelles, à deux pas de la Place Saint-Géry et de la Bourse sont un centre culturel ouvert à toutes les disciplines des arts de la scène. Par leur programmation, originale et accessible, les Riches-Claires cherchent à perpétuer leur tradition de scène théâtrale privilégiant l'humour, tout en offrant un espace d’expression à la danse contemporaine, la musique et le cinéma. La grande nouveauté depuis septembre 2013, c’est l’inauguration de la deuxième salle de représentation! Cet espace fraîchement rénové permet désormais de proposer deux spectacles par soir et ainsi de considérablement augmenter le nombre de pièces présentées. Un atout majeur pour le centre culturel qui se définit comme une rampe de lancement pour les jeunes artistes tout en permettant aux compagnies confirmées de tenter de nouvelles expériences.
r. des Riches Claires, 24
1000 Bruxelles
Tél. : 02-548.25.80
Commentaires
"Les inconnus se connaissent à fond, et parce qu'ils se connaissent, ils se haissent, se méprisent, se battent pour la première place (bien entendu) qu'ils perdent et regagnent et reperdent tour à tour.On est prêt à tuer. On veut même mourir le premier si c'est le seul moyen d'arriver premier.Israël Horovitz est à la fois réaliste et sentimental.On imagine donc à quel point il peut être féroce." (Eugène Ionesco) .
Prems !
Au théâtre de l’absurde, « Le Premier » ne finira pas dernier ! La pièce maîtresse de l’oeuvre foisonnante d’Horovitz, mise en scène par Benoît Pauwels, s’intéresse au problème récurrent des files d’attente. « Si vous voulez être le premier, vous n’avez qu’à être le premier ! » ou alors… argumenter, se faufiler, marchander, manipuler, agresser, tricher, négocier, voire coucher ? Une heure d’échanges intenses et variés, bien loin de la morosité d’une file d’attente.
Rivalisant d’inventivité pour grappiller une place, cinq individus formant une queue n’ont progressivement plus qu’une idée : être le premier. Pour faire quoi ? Pour voir qui ? Pour aller où ? On ne le sait pas, l’important ne semble plus être là. Une file de cinq personnes, une seule place à l’avant, sauf si on inverse l’ordre de la queue, si on fait disparaître la file ou si on se hisse, discrètement, à la première place, stratégie choisie par l’aîné des protagoniste, le dénommé Dollan.
L’originalité de cette fable contemporaine repose aussi sur le caractère jovial des disputes qui ne disparaît jamais même au plus fort des échanges. Ainsi lorsque Arnall voit sa femme enlacer le jeune Flemming, il ne s’énerve pas. Habitué aux infidélités de Molly, il ne s’en émeut pas, il est prévenu « pas de surprises, pas de bobos ». Une « saloperie de soirée », comme dirait Dollan, qui pourtant passionne, car dans cette file, chacun se préoccupe de l’autre, une certaine justice règne le long de la ligne blanche, l’idée est d’être le premier mais par forcément au détriment des suivants.
Et puis, il y a les distractions apportées par Molly, la femme de Flemming, qui se donne à tout le monde, même si finalement, lucide, elle s’interroge : dans cette file, oui, bien sûr, on s’intéresse à elle, mais ailleurs, aurait-elle le même succès ?
Chaque comédien apporte sa petite touche à cette fable absurde et drôle, qui repose sur le jeu des acteurs, les dialogues, mais aussi, sur le langage corporel. Une scène de tango, magnifique (mais un peu courte), des scènes de lutte au ralenti, un requiem de Mozart, la pièce est riche, subtile et chaleureuse. On en vient à penser qu’il vaut mieux se battre pour la première place que s’ignorer. Un conseil, hâtez-vous, la ligne blanche débute déjà dans l’escalier !
Catherine Sokolowski