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Le petit bal perdu JGobert

Arrivée enfin à destination après bien des péripéties, c’est épuisée que Fanny débarque un soir d’été sur cette place au milieu de nulle part. Elle arrive de la ville avec sa valise et cherche l’adresse écrite sur son bout de papier. Elle vient prendre un emploi qui lui a été recommandé par son pharmacien, ami de la famille.  Le médecin du village cherche une gouvernante pour ces chérubins et désire une personne de la ville.

Je la vois, debout dans son imperméable avec son foulard de soie, attendre que le ciel lui vienne en aide. Je n’ai jamais vu une si jolie fille, distinguée, un léger sourire sur les lèvres et tenant sa valise avec beaucoup de détermination.

Au bout de quelques minutes, la voyant toujours perdue, j’avance et lui demande ce qu’elle cherche. Son regard se pose sur moi et je réussis péniblement à prononcer quelques mots en bafouillant comme un gamin timoré. Fanny, de suite, me sourit me rendant ainsi  mon hardiesse. 

L’adresse écrite sur ce papier est juste à deux pas de cette place que le soleil couchant assombri doucement. En quelques secondes, Fanny est à demeure et me fait un petit geste de la tête en signe d’au revoir.

Ensoleillé, je repars vers mon domicile le cœur léger et joyeux. J’ai  envie de courir, de chanter, de rire. En une seconde, j’entrevois une autre existence, une nouvelle vie.  L’amour m’a transpercé le cœur et l’âme. Je me réjouis d’une telle rencontre et j’en suis heureux. Je la trouve belle, merveilleuse, elle me plait.

Le lendemain, levé de bonne heure, j’émerge heureux dehors, satisfait de mes nouveaux rêves. J’attends de la revoir, de la rencontrer, de la conquérir sur cette place qui est si chère à mon cœur. Mon attente est récompensée.  Fanny sort les enfants. Quelques pas curieux dans ce village étranger et accompagnée  de ce joli petit monde encore décoiffé de la nuit. Fanny est ravissante, une robe légère flotte autour d’elle et son  étrange parfum m’arrive comme un envoutement. Je suis sous le charme, et de nouveau bouleversé de la voir partir.

Le facteur a déposé le courrier et une lettre m’attend. Papier gris, austère qui annonce de mauvaises nouvelles. Ma mère me la donne à contre cœur et tourne les talons pour que je ne vois pas sa mine déconfite.

Sur la place, un bal s’organise pour fêter l’arrivée de l’été qui sera chaud, un petit bal pour les habitants des alentours. Des tables et des chaises sont disposées autour d’un carré illuminé de lanternes, de lampions multicolores. Le fond de l’air est doux et rempli de promesses, de nouveaux bonheurs et d’espoir. Les villageois aiment ces soirées dehors au soleil couchant.

Sur le meuble, la lettre grise me regarde, me fixe et attend que je l’ouvre. Je sais que c’est une mauvaise nouvelle qui vient à moi. Elle insiste.

La nuit est tombée, de ma chambre, j’entr’aperçois la place,  j’entends la musique qui réjouit les participants et qui m’accable à cette heure. Dieu donne-t-il toujours pour reprendre ?

Fanny apparaît vêtue d’un ensemble blanc et d’un chapeau qui la rend magique. Elle n’est pas seule. Le médecin l’accompagne. Déçu de la voir en si belle compagnie, je tourne tristement la tête vers cette enveloppe qui me poursuit, me traque.

Mon ordre de mobilisation est là, devant moi, à peine ouvert et il me plonge dans un désarroi infini. D’un seul regard, je comprends que mon avenir est compromis et mes jours ne m’appartiennent plus.  Les rêves s’effacent un à un et jettent Fanny hors de ma vie et de mon cœur.

Quelques jours plus tard, mon sac sur le dos, la fleur au fusil, revêtu de mon uniforme, je croise quelques secondes Fanny qui me sourit. Un petit geste cruel du destin hélas trop court.  Sur le quai  j’attends comme mes compagnons d’infortune que le train nous emmène vers cette guerre qui ne doit pas durer longtemps. Je pars avec les prières de ma mère, les yeux rougis de chagrin et le souvenir de cette belle Fanny qui ne saura jamais mes sentiments.

Le temps a passé, de défaites en trahisons, en désillusions, la guerre impitoyable a laissé des traces indélébiles sur les hommes. Blessé, je rentre au village après ces mois d’absence d’un autre monde où  je ne suis plus le même. La guerre a fait de moi un étranger, un déraciné. Il ne reste que les souvenirs douloureux et les tristes compagnons blessés, accablés, éreintés.

Les nouvelles vont vite et Fanny a entendu parler de mon retour.  Un héros, un brave, un valeureux soldat qui revient de guerre, de l’enfer et estropié dans son corps et dans son âme, et qui attend un peu de compassion de ses semblables.  Le village entier est là et me montre sa sympathie, mais je ne veux pas de sa pitié. Ma mère est là, elle pleure.

Fanny s’approche comme dans un rêve et me sourit. Mais non je ne veux pas la regarder, la reconnaitre. Ce rêve familier fait mille fois au milieu de ce champ d’horreur m’est insupportable et  me ramène dans cet endroit, dans ma torpeur, dans ma folie. Mon cœur glacé, distant ne s’emballe plus pour elle et m’indiffère.  Cet amour que j’avais transporté avec moi est souillé, démantelé, banni de tant de souffrances. Cette vie rêvée est morte avant d’avoir commencé. La guerre me l’a arraché avec son inhumanité, sa malveillance lacérée, sa miséricorde écartelée.

Ce soir, sur la place, les villageois, heureux, organisent un petit bal en mon honneur. Une banderole de bienvenue me regarde fixement, elle ne me délivre pas, ne me libère pas et m’insulte de tant de gratitude.

Non,  je ne me souviens plus du nom de ce petit bal perdu.

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Commentaires

  • Bonjour Rolande,

    Bourvil et son petit bal perdu. Merci pour la belle analyse et le beau commentaire.

    Excellente soirée Rolande

    Amitiés

    Josette

  • Cet air de "Petit bal perdu" me trotte dans la tête .... "Non, non .... je ne me souviens plus du petit bal perdu ...."

    Ni de.l'interprète de cette chanson ....dont cette nouvelle résonne comme un écho.

    Les guerres sont dévastatrices, elles tuent l'âme et le corps. Dommage de n'avoir pas cédé au sourire de Fanny.

    Il semble qu'elle soit restée fidèle. J'imagine une fin d'histoire heureuse quand le temps aura fait son oeuvre de

    bienveillance en lui faisant croire qu'il arrive parfois que les Ténèbres se transforment en Lumière.

    C'est tout le bien que je lui souhaite..... Et bravo une fois de plus à toi Chère Josette.

    Bisous. Rolande

  • merci pour ce beau commentaire.

    Amiicalement

    Josette

  • Parfois, la mémoire gomme pour supporter la vie et toute sa cruauté..

    Texte poignant et beau

    Et puis n'oublions pas que sur les ruines parfois on peut reconstruire! l'espérance est une fleur tenace....

  • Merci Adyne pour le temps consacré à ce site.

    Excellente journée

    Amitiés Josette

  • Bonjour Marie-Josèphe et merci pour ton commentaire.

    Amicalment

    Josette

  • Merci Jacqueline pour ta lecture et ton commentaire

    Amicalement

    Josette

  • Merci Michel pour ton commentaire. Excellente journée

    Amicalement

    Josette

  • Histoire bien écrite, mais bien triste, la guerre fait des dégâts.

    Amicalement.

    Adyne

  • très bien écrit, mais que c'est triste Josette ! ! ça me fend le coeur .....

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