Le film de Joe Wright, "Anna Karénine"
Fort de ses quatre millions de dollars de recettes depuis sa sortie le 16 novembre aux États-Unis, le film de Joe Wright, "Anna Karénine", est arrivé dans les salles de l’hexagone mercredi 5 décembre. Une adaptation osée du roman éponyme de Léon Tolstoï qui ne plaît pas à tout le monde… (LE PLUS, Nouvel Obs’)
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N’attendez donc pas une reconstitution historique fidèle et l’illusion cinématographique, vous serez déçus ! Voici tout son contraire. Une mise en abyme théâtrale intelligente et moderne appliquant au pied de la lettre le principe de Shakespeare :
“All the world's a stage,
And all the men and women merely players:
They have their exits and their entrances…”
Le gigantesque théâtre délabré de la première séquence est bien le symbole de la Russie impériale de 1874. Il accueille des personnages virevoltants ou soudainement figés dans une chorégraphie méticuleuse (Sidi Larbi Cherkaoui). Les personnages se gèlent pendant qu’un autre prend vie. Une course de chevaux surréaliste ébranle le théâtre bourré de spectateurs. La locomotive est tour à tour, jouet et réalité. Les cloisons basculent, les lumières cascadent, le plateau se transforme en vrai paysage l’espace de quelques instants de rêve, puis les personnages se retrouvent coincés en coulisses parmi les rouages et autres machines du destin. La femme impure est voilée. Les scènes se superposent derrière la rampe lumineuse comme dans un kaléidoscope. Où est passée la réalité ? Le metteur en scène Joe Wright et le scénariste Tom Stoppard semblent attendre intensément les réactions du public du 21e siècle, la caméra est omniprésente. On retient l’étonnante musique, toujours prémonitoire, de Dario Marianelli, qui n’est pas sans rappeler l’opéra de quat’ sous de Kurt Weil ou la Valse de Ravel. « Dance with me » est entêtant et obsessionnel à souhait.
« Vanity fair » à la russe: la haute société impériale russe est décrite à l’emporte-pièce sur un mode fortement satyrique, on l’aura compris. Les costumes sont éblouissants, la vaisselle somptueuse, les sourires exquis comme des cadavres. Et tout est faux et irrespirable. Joe Wright nous fait penser à notre James Ensor et sa galerie de portraits dans sa présentation squelettique de l’œuvre de Tolstoï dont le roman foisonnant de près de 900 pages est réduit à l’ossature d’une romance cruelle.
Anna, (la voluptueuse Keira Knightley), plutôt que de chercher de nouvelles façons de faire revivre son mariage imposé avec Alexeï Karénine (Jude Law) désespérément blême et dénué de vie, joue la madame Bovary russe et ne résiste pas longtemps aux assauts du comte Wronski (Aaron Taylor-Johnson). On l’aurait souhaité plus romantique et fougueux cet amant, il est un peu pâle et fade à notre goût, bien qu’excellent si l’on veut en faire un pur pastiche. Pour Anna, bonheurs et malheurs s’accumulent dans la balance de l’amour mais les leurres de la société feront s’écrouler tous les rêves des amoureux qui semblent s’être trouvés. Et la mort est le prix que doit payer l’héroïne pour s’être livrée avec convoitise aux jeux interdits. Comme de bien entendu, la morale du 19e siècle sera sauve, surtout dans un monde fait par et pour les hommes et les pères. Ce monde clos du théâtre est devenu fou. Le seul moyen d’échapper, pour Emma Bovary comme pour Anna, devient l’arsenic ou la morphine. Où est la différence ? Toutes deux se dissolvent dans l’amour chimérique. Mais pour Joe Wright : "Tout le monde essaie d’une manière ou d’une autre d’apprendre à aimer". C'est son propos. Et Aimer passe immanquablement par le pardon. Plusieurs situations dans le film en sont la preuve et en particulier le cri d'Anna privée de son enfant: « Mon fils me pardonnera quand il saura ce que c’est qu’aimer.» La machinerie bureaucratique impériale est sans pardon et sans merci.
Par contre, le couple d’idéalistes Kitty-Levine (Domhnall Gleeson, très convainquant et la délicieuse Alicia Vikander) qui a su reconnaître ses erreurs et pardonner s’est échappé du décor et vit au grand air. Leur amour réciproque et l'amour des autres est leur nourriture quotidienne. Des scènes champêtres réelles rappellent la prairie où le couple Anna-Wronski a connu l’éphémère extase.
La verte prairie du « Golden Country » de George Orwell dans 1984?
Une image de ce que pourrait être un monde de rêve et de solidarité…
Un monde qui se mettrait à vivre enfin, comme ces deux jeunes enfants élevés par Alexeï Karénine, devenu enfin un peu moins absolu?
Commentaires
Les critiques sur le film que j'aie lues sont assez mitigées... mais cela me donne souvent envie de me faire ma propre opinion, ton regard m'y incite encore d'avantage... c'est décidé, je vais y aller! à bientôt don et merci encore pour la richesse de tes billets
Amitiés
Jacqueline
Ca donne envie de le voir...