Le don
J’ai lancé une bouteille à la mer
Je ne la dédie à personne en particulier
Au préalable je l’avais soigneusement nettoyé
J’ai coupé une mèche de mes cheveux blonds
Sur laquelle j’ai posé quelque gouttes de sang
Rituel de l’enfance amélioré pour le prestige
J’ai glissé le tout par son orifice étroit avec la précaution d’un laborantin
Ravivé le secret jusque là bien gardé
Qui n’est certes pas capital de connaître
Sur une eau limpide flotte toute voile devant
Ma longue missive enrubannée d’un tissu de soie beige
Cette impression de tout donner
Ce sentiment d’offrir dans l’immensité
Trois fois moins que rien sans aucun état d’âme est déconcertant
Pourtant la scène en live se tourne
Je ressemble à la « folle aux rituels »
Tous nous en connaissons au moins une
Si vous niez, c’est réparé je suis là
L’ambassadrice de la réminiscence qui dérange
Je me voue tête et corps
J’éveille votre imaginaire par une verve d’exaltée
Embourbés par nos bourdes de première
Je vous dis « tous »
Nous sommes possédés
Par nos possessions par celles des autres
Puisque je suis envoyée de mission
Puisque le rôle m’a été accordé
Je veux mon César coiffé de sa couronne de laurier
Je m’applique donc avec une grande conviction
Pour servir le vide de rien de l’inutile
Bien sûr que l’inutile a sa place en ce monde
Bien sûr que beaucoup vivent inutilement
Bien sûr que nous crèveront inéluctablement
Parfois il est utile d’y passer afin de laisser place pour un autre
Il serait bien de révéler enfin la place réelle de l’inutile
Cette bouteille lancée cherche le don
Qu’est le don, le véritable
Une démarche une offrande utile envers l’autre envers l’humanité
Je le suppose sans prendre la pose pour Rodin ou Migom
Je l’observe sans prendre le parti de l’une d’entre nous
Je suis prédatrice du mouvement
J’aurais pu m’y glisser voguer entière vers un ailleurs
Elle me revient la fiole, joue au voilier débutant
Elle prend le faciès de celle qu’on abandonne
Je l’ai jeté d’un geste brusque bien contrôlé
Adieu mon rôle adieu ma vie de papier
Il est des jardins secrets des enfers ternis
Toute une moitié de nuit j’ai créé des mots sur un cahier présidentiel
Sans arrière pensée sans espérance cachée
L’ébauche d’une délivrance inexplicable marquait mon univers
Un embranchement de joyeux miracle m’envahissait
Il sera mon « quelconque »
Pour l’équité pour la beauté du geste
L’improbable accouplement de l’ombre et la lumière se façonne
La fusion parfaite du passé révolu et d’une belle galaxie
Aucune autre bouteille n’aura été un exutoire à ce point puissant
Aucune entrailles n’aura porté le fruit si doux d’une réponse salvatrice
À la question de l’inutile
Chantyne
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