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Le dit du comédien

 

 

Je m’appelle Damien.

Ne riez pas : tout le monde ne peut pas s’appeler  Corneille Cocu. C’était le nom du chef de gare de Tournai, il y a quelques années. L’administration des chemins de fer l’a obligé de prendre sa préretraite.

Non, je ne suis pas fonctionnaire, ni aux chemins de fer ni ailleurs. Je suis comédien.

J’aurais pu être Papou. J’espère que cela ne vexe pas les Papous, s’il y en a dans la salle.

Vous ne me connaissez pas. Et alors ? Moi, est-ce que je vous connais ? Il y a des millions de personnes qui ne se connaissent pas. Sur toutes les parties de la planète.

Pourquoi m’adresser à vous en direct ? Je fais l’économie d’une troupe, d’un directeur de salle, et de la course aux subsides. D’ailleurs, je ne risque pas d’en recevoir, je ne fais pas de politique. Ni les écoles, ni les syndicats, ne m’ont procuré mon public.

Si vous êtes-là, c’est simple. C’est que le bouche à oreille a fonctionné. Je dois être bon.

Pour la première, c’est vrai, vous n’étiez que dix qui s’étaient trompé de théâtre.

Mais, il arrive qu’on se trompe d’épouse, ou que des révélations inattendues transforment votre vie. En bien, ce doit être la même chose pour ce qui est du théâtre.

 On me l’a conseillé :

- Fais au plus con quand tu es sur scène, tu es sûr de faire rire plus de la moitié de la salle. Si tu veux passer pour un intello, tu ne feras sourire que les spectateurs du dernier rang.

Par exemple je pourrais vous parler de la planète, tout le monde parle de la planète. La planète, vous voulez savoir ? Je m’en fous.

La démographie ? Non, ça n’a rien d’érotique. Quoique…

La croissance citoyenne ? Je ne sais pas ce que c’est.

La décroissance ? Là, j’ai des idées, c’est un auteur allemand qui me les a inspirées. Qu’est-ce qu’on peut répondre à cela ? Ecoutez :

Quand on n’a rien, la décroissance, comment on fait ?

Une existence durable ? Vous en connaissez des existences qui durent davantage que le temps que le bon dieu ou le grand architecte leur a octroyé. On peut toujours rêver.

Vous voyez, moi aussi je peux vous parler de la planète.

Le plus important pour un comédien, c’est sa voix.

La voix d’un comédien est d’une tessiture particulière. Ce n’est pas le texte qui émeut. Certains d’entre eux sont usés d’avoir servi durant des siècles. Pensez aux tragédies grecques. Ou aux odes latines. C’est la voix du comédien qui fait frissonner le spectateur. D’ailleurs, pour moi, le grec c’est du latin. Je vous demande pardon, ça m’a repris.

Vous avez apporté l’annuaire téléphonique ? Gardez le vôtre, moi aussi j’ai apporté le mien. Ce n’est pas la dernière édition, soit, mais les changements ne doivent pas être nombreux. On meurt tous les jours mais pas en même temps. Et puis, je ne m’en sers pas pour téléphoner.

Je commence.

Bienvenue dans les pages blanches de Truvo.

Abay. Abatan. Abati ?;soit A-ba-to. Vous qui riez, vous voulez essayer ?

Moi, j’ai été au ciel. Oui, ce ciel-là. Avec un vieillard aux cheveux blancs derrière son bureau et deux assistants qui lui disent des choses à l’oreille. Lorsque je me suis réveillé, ils avaient disparu. Tous les trois.

Qui donc, hormis le comédien, pourrait exprimer vos sentiments ? Vos sentiments inavoués.

Par exemple :

Comment, parmi tant d’hommes, es-tu le seul dont j’ai envie des caresses. Même quand tu me bats. Même quand tu ne devines pas mes envies secrètes.

Qui donc pourrait le dire mieux qu’un comédien ?

 

Je trouve que cette réplique tombe comme un cheveu dans la soupe, non ? Mais parfois, à lire ce qui se dit sur le samizdat occidental facebook, je me dis que nombreuses sont celles de vos existences ou des nôtres qui tombent dans la soupe. La question est : quelle est la nature de cette soupe. Assis derrière son ordinateur, un auteur  aime se poser des questions auxquelles il ne peut pas répondre. Auxquelles, il n’y a pas lieu de répondre. Cela lui donne l’image d’un philosophe préoccupé par des questions essentielles, ou existentielles, comment dit-on ? Alors, qu’à chaque fois qu’il discute avec sa compagne, il ne parle que de droits d’auteur.

Parfois, je me dis que s’il s’écarte pour péter, ce n’est pas par pudeur mais parce qu’il craint qu’on ne vole son image. Parce qu’il y a aussi le droit à l’image.

Trop souvent, le comédien joue deux rôles à la fois. Celui que lui dicte le texte écrit par un autre et le sien qui le pousse, il croit que c’est nécessaire, à grimacer tant par les gestes que par la voix. Quand il s’agit d’une tragédie, on croit à chaque fois qu’il est prêt à se suicider comme Socrate l’a fait en ingurgitant de la cigüe alors qu’il ne s’agit que de boire un verre de limonade inoffensive. Lorsqu’il s’agit d’une comédie, il s’efforce de faire rire les spectateurs avec le même ton qu’il utilise pour tenir des propos graveleux.

Décidément, je le reconnais, je n’aime pas les comédiens. 

 

Est-il vraiment nécessaire de tendre le bras, et de hausser la voix pour dire : prends un siège, Cinna.

De nombreuses fois, il arrive qu’on me dise : assied-toi, Damien, sans amphigouri. Tenez : Rodrigue, as-tu du cœur. C’est tragique ? Et dans Marius, le Marius de Pagnol, quand il interroge Escartefigue : as-tu du cœur ? C’est tragique peut-être ?  Maudit soit celui qui a inventé « l’Art Dramatique ». Il n’y a que le théâtre. Et le théâtre, c’est la comédie. Drame ou rire, ce n’est que de la comédie. Mais de la comédie vraie. Pas celle que vous jouez tous les jours.

Tenez, si je demande à l’un de vous de prendre ma place sur cette estrade destinée aux comédiens, vous serez trop nombreux. Elle a été conçue pour des comédiens véritables. Regardez bien, je suis transparent. Ce personnage que vous voyez, il vous semble le reconnaitre. C’est vrai, c’est vous.

D’accord, fini la philosophie de bazar.

C’est vrai, un auteur aime citer de grands noms de théâtre. Il ajoute : etc parce que qu’il considère que son propre nom y figure tout naturellement.

Nietzsche, Brecht, Becket, Shakespeare, etc. Bien sûr sans qu’il lui vienne à l’esprit les noms de ceux qui, par leur seul organe vocal, ont porté leurs œuvres jusqu’à aujourd’hui. A chaque fois, c’est comme un coup de poignard qu’il plonge dans le cœur du comédien.

 

Le jugement ( dernier ?)

 

Dans une cuisine ordinaire, pas de salle à manger ou de bureau pour ceux qui attendent plus de respect pour leur personne. Un fonctionnaire les interroge.

Sont-ils conformes à leurs horoscopes ?

Puis.. Théâtre

Le purgatoire est destiné à attendre que l’une ou l’autre place se libère. C’est une erreur de croire qu’il se situe au ciel. Il se situe dans les sous-sols de la terre. Il est plus aisé d’y rencontrer les défunts au fur et à mesure qu’ils doivent être interrogés. Certains le seront à plusieurs reprises. Il est enfantin de penser qu’ils franchiront à chaque fois un bond de milliers, sinon de millions, de kilomètres. Soyons sérieux, il ne s’agit pas d’un conte pour enfants.

La mort d’un comédien

Il achève une tirade shakespearienne. Il ne l’achève pas. Il est seul. Ou quelqu’un est dans un coin de la scène. Il mime ou non 

- Pourquoi, m’engueules-tu ? C’est toi qui dis mal. Tu cries. Tu cries.

- depuis combien de temps es-tu avec moi ?

- Je ne comprends pas ta question ?

- tu es con ou quoi. Il s’agit de temps. Un an, cinq ans, dix ? Plus, moins.

- Je ne sais pas ? Parfois je pense : depuis hier. Je n’y pense jamais. Peut-être depuis toujours.

- Ca veut dire quoi : toujours ?

- Tais-toi, tu m’embrouilles.

- Je me tais.

- Tu sais combien de femmes j’ai connues ?

- C’est des femmes que tu as eues dont tu te souviens ?

Il compte sur les doigts à chaque fois qu’il prononce un prénom. Parfois, il hésite.

-Et le théâtre ? Les textes qui n’ont existé que parce que tu les disais

- Chaque comédien prétend la même chose. Ce n’est pas des textes dont il s’agit, ce n’est pas des comédiens, non plus. C’est de moi.

 

Le dit du comédien.

 

 

Je m’appelle Damien.

Ne riez pas : tout le monde ne peut pas s’appeler  Corneille Cocu. C’était le nom du chef de gare de Tournai, il y a quelques années. L’administration des chemins de fer l’a obligé de prendre sa préretraite.

Non, je ne suis pas fonctionnaire, ni aux chemins de fer ni ailleurs. Je suis comédien.

J’aurais pu être Papou. J’espère que cela ne vexe pas les Papous, s’il y en a dans la salle.

Vous ne me connaissez pas. Et alors ? Moi, est-ce que je vous connais ? Il y a des millions de personnes qui ne se connaissent pas. Sur toutes les parties de la planète.

Pourquoi m’adresser à vous en direct ? Je fais l’économie d’une troupe, d’un directeur de salle, et de la course aux subsides. D’ailleurs, je ne risque pas d’en recevoir, je ne fais pas de politique. Ni les écoles, ni les syndicats, ne m’ont procuré mon public.

Si vous êtes-là, c’est simple. C’est que le bouche à oreille a fonctionné. Je dois être bon.

Pour la première, c’est vrai, vous n’étiez que dix qui s’étaient trompé de théâtre.

Mais, il arrive qu’on se trompe d’épouse, ou que des révélations inattendues transforment votre vie. En bien, ce doit être la même chose pour ce qui est du théâtre.

 On me l’a conseillé :

- Fais au plus con quand tu es sur scène, tu es sûr de faire rire plus de la moitié de la salle. Si tu veux passer pour un intello, tu ne feras sourire que les spectateurs du dernier rang.

Par exemple je pourrais vous parler de la planète, tout le monde parle de la planète. La planète, vous voulez savoir ? Je m’en fous.

La démographie ? Non, ça n’a rien d’érotique. Quoique…

La croissance citoyenne ? Je ne sais pas ce que c’est.

La décroissance ? Là, j’ai des idées, c’est un auteur allemand qui me les a inspirées. Qu’est-ce qu’on peut répondre à cela ? Ecoutez :

Quand on n’a rien, la décroissance, comment on fait ?

Une existence durable ? Vous en connaissez des existences qui durent davantage que le temps que le bon dieu ou le grand architecte leur a octroyé. On peut toujours rêver.

Vous voyez, moi aussi je peux vous parler de la planète.

Le plus important pour un comédien, c’est sa voix.

La voix d’un comédien est d’une tessiture particulière. Ce n’est pas le texte qui émeut. Certains d’entre eux sont usés d’avoir servi durant des siècles. Pensez aux tragédies grecques. Ou aux odes latines. C’est la voix du comédien qui fait frissonner le spectateur. D’ailleurs, pour moi, le grec c’est du latin. Je vous demande pardon, ça m’a repris.

Vous avez apporté l’annuaire téléphonique ? Gardez le vôtre, moi aussi j’ai apporté le mien. Ce n’est pas la dernière édition, soit, mais les changements ne doivent pas être nombreux. On meurt tous les jours mais pas en même temps. Et puis, je ne m’en sers pas pour téléphoner.

Je commence.

Bienvenue dans les pages blanches de Truvo.

Abay. Abatan. Abati ?;soit A-ba-to. Vous qui riez, vous voulez essayer ?

Moi, j’ai été au ciel. Oui, ce ciel-là. Avec un vieillard aux cheveux blancs derrière son bureau et deux assistants qui lui disent des choses à l’oreille. Lorsque je me suis réveillé, ils avaient disparu. Tous les trois.

Qui donc, hormis le comédien, pourrait exprimer vos sentiments ? Vos sentiments inavoués.

Par exemple :

Comment, parmi tant d’hommes, es-tu le seul dont j’ai envie des caresses. Même quand tu me bats. Même quand tu ne devines pas mes envies secrètes.

Qui donc pourrait le dire mieux qu’un comédien ?

 

Je trouve que cette réplique tombe comme un cheveu dans la soupe, non ? Mais parfois, à lire ce qui se dit sur le samizdat occidental facebook, je me dis que nombreuses sont celles de vos existences ou des nôtres qui tombent dans la soupe. La question est : quelle est la nature de cette soupe. Assis derrière son ordinateur, un auteur  aime se poser des questions auxquelles il ne peut pas répondre. Auxquelles, il n’y a pas lieu de répondre. Cela lui donne l’image d’un philosophe préoccupé par des questions essentielles, ou existentielles, comment dit-on ? Alors, qu’à chaque fois qu’il discute avec sa compagne, il ne parle que de droits d’auteur.

Parfois, je me dis que s’il s’écarte pour péter, ce n’est pas par pudeur mais parce qu’il craint qu’on ne vole son image. Parce qu’il y a aussi le droit à l’image.

Trop souvent, le comédien joue deux rôles à la fois. Celui que lui dicte le texte écrit par un autre et le sien qui le pousse, il croit que c’est nécessaire, à grimacer tant par les gestes que par la voix. Quand il s’agit d’une tragédie, on croit à chaque fois qu’il est prêt à se suicider comme Socrate l’a fait en ingurgitant de la cigüe alors qu’il ne s’agit que de boire un verre de limonade inoffensive. Lorsqu’il s’agit d’une comédie, il s’efforce de faire rire les spectateurs avec le même ton qu’il utilise pour tenir des propos graveleux.

Décidément, je le reconnais, je n’aime pas les comédiens. 

 

Est-il vraiment nécessaire de tendre le bras, et de hausser la voix pour dire : prends un siège, Cinna.

De nombreuses fois, il arrive qu’on me dise : assied-toi, Damien, sans amphigouri. Tenez : Rodrigue, as-tu du cœur. C’est tragique ? Et dans Marius, le Marius de Pagnol, quand il interroge Escartefigue : as-tu du cœur ? C’est tragique peut-être ?  Maudit soit celui qui a inventé « l’Art Dramatique ». Il n’y a que le théâtre. Et le théâtre, c’est la comédie. Drame ou rire, ce n’est que de la comédie. Mais de la comédie vraie. Pas celle que vous jouez tous les jours.

Tenez, si je demande à l’un de vous de prendre ma place sur cette estrade destinée aux comédiens, vous serez trop nombreux. Elle a été conçue pour des comédiens véritables. Regardez bien, je suis transparent. Ce personnage que vous voyez, il vous semble le reconnaitre. C’est vrai, c’est vous.

D’accord, fini la philosophie de bazar.

C’est vrai, un auteur aime citer de grands noms de théâtre. Il ajoute : etc parce que qu’il considère que son propre nom y figure tout naturellement.

Nietzsche, Brecht, Becket, Shakespeare, etc. Bien sûr sans qu’il lui vienne à l’esprit les noms de ceux qui, par leur seul organe vocal, ont porté leurs œuvres jusqu’à aujourd’hui. A chaque fois, c’est comme un coup de poignard qu’il plonge dans le cœur du comédien.

 

Le jugement ( dernier ?)

 

Dans une cuisine ordinaire, pas de salle à manger ou de bureau pour ceux qui attendent plus de respect pour leur personne. Un fonctionnaire les interroge.

Sont-ils conformes à leurs horoscopes ?

Puis.. Théâtre

Le purgatoire est destiné à attendre que l’une ou l’autre place se libère. C’est une erreur de croire qu’il se situe au ciel. Il se situe dans les sous-sols de la terre. Il est plus aisé d’y rencontrer les défunts au fur et à mesure qu’ils doivent être interrogés. Certains le seront à plusieurs reprises. Il est enfantin de penser qu’ils franchiront à chaque fois un bond de milliers, sinon de millions, de kilomètres. Soyons sérieux, il ne s’agit pas d’un conte pour enfants.

La mort d’un comédien

Il achève une tirade shakespearienne. Il ne l’achève pas. Il est seul. Ou quelqu’un est dans un coin de la scène. Il mime ou non 

- Pourquoi, m’engueules-tu ? C’est toi qui dis mal. Tu cries. Tu cries.

- depuis combien de temps es-tu avec moi ?

- Je ne comprends pas ta question ?

- tu es con ou quoi. Il s’agit de temps. Un an, cinq ans, dix ? Plus, moins.

- Je ne sais pas ? Parfois je pense : depuis hier. Je n’y pense jamais. Peut-être depuis toujours.

- Ca veut dire quoi : toujours ?

- Tais-toi, tu m’embrouilles.

- Je me tais.

- Tu sais combien de femmes j’ai connues ?

- C’est des femmes que tu as eues dont tu te souviens ?

Il compte sur les doigts à chaque fois qu’il prononce un prénom. Parfois, il hésite.

-Et le théâtre ? Les textes qui n’ont existé que parce que tu les disais

- Chaque comédien prétend la même chose. Ce n’est pas des textes dont il s’agit, ce n’est pas des comédiens, non plus. C’est de moi.

 

Le dit du comédien.

 

 

Je m’appelle Damien.

Ne riez pas : tout le monde ne peut pas s’appeler  Corneille Cocu. C’était le nom du chef de gare de Tournai, il y a quelques années. L’administration des chemins de fer l’a obligé de prendre sa préretraite.

Non, je ne suis pas fonctionnaire, ni aux chemins de fer ni ailleurs. Je suis comédien.

J’aurais pu être Papou. J’espère que cela ne vexe pas les Papous, s’il y en a dans la salle.

Vous ne me connaissez pas. Et alors ? Moi, est-ce que je vous connais ? Il y a des millions de personnes qui ne se connaissent pas. Sur toutes les parties de la planète.

Pourquoi m’adresser à vous en direct ? Je fais l’économie d’une troupe, d’un directeur de salle, et de la course aux subsides. D’ailleurs, je ne risque pas d’en recevoir, je ne fais pas de politique. Ni les écoles, ni les syndicats, ne m’ont procuré mon public.

Si vous êtes-là, c’est simple. C’est que le bouche à oreille a fonctionné. Je dois être bon.

Pour la première, c’est vrai, vous n’étiez que dix qui s’étaient trompé de théâtre.

Mais, il arrive qu’on se trompe d’épouse, ou que des révélations inattendues transforment votre vie. En bien, ce doit être la même chose pour ce qui est du théâtre.

 On me l’a conseillé :

- Fais au plus con quand tu es sur scène, tu es sûr de faire rire plus de la moitié de la salle. Si tu veux passer pour un intello, tu ne feras sourire que les spectateurs du dernier rang.

Par exemple je pourrais vous parler de la planète, tout le monde parle de la planète. La planète, vous voulez savoir ? Je m’en fous.

La démographie ? Non, ça n’a rien d’érotique. Quoique…

La croissance citoyenne ? Je ne sais pas ce que c’est.

La décroissance ? Là, j’ai des idées, c’est un auteur allemand qui me les a inspirées. Qu’est-ce qu’on peut répondre à cela ? Ecoutez :

Quand on n’a rien, la décroissance, comment on fait ?

Une existence durable ? Vous en connaissez des existences qui durent davantage que le temps que le bon dieu ou le grand architecte leur a octroyé. On peut toujours rêver.

Vous voyez, moi aussi je peux vous parler de la planète.

Le plus important pour un comédien, c’est sa voix.

La voix d’un comédien est d’une tessiture particulière. Ce n’est pas le texte qui émeut. Certains d’entre eux sont usés d’avoir servi durant des siècles. Pensez aux tragédies grecques. Ou aux odes latines. C’est la voix du comédien qui fait frissonner le spectateur. D’ailleurs, pour moi, le grec c’est du latin. Je vous demande pardon, ça m’a repris.

Vous avez apporté l’annuaire téléphonique ? Gardez le vôtre, moi aussi j’ai apporté le mien. Ce n’est pas la dernière édition, soit, mais les changements ne doivent pas être nombreux. On meurt tous les jours mais pas en même temps. Et puis, je ne m’en sers pas pour téléphoner.

Je commence.

Bienvenue dans les pages blanches de Truvo.

Abay. Abatan. Abati ?;soit A-ba-to. Vous qui riez, vous voulez essayer ?

Moi, j’ai été au ciel. Oui, ce ciel-là. Avec un vieillard aux cheveux blancs derrière son bureau et deux assistants qui lui disent des choses à l’oreille. Lorsque je me suis réveillé, ils avaient disparu. Tous les trois.

Qui donc, hormis le comédien, pourrait exprimer vos sentiments ? Vos sentiments inavoués.

Par exemple :

Comment, parmi tant d’hommes, es-tu le seul dont j’ai envie des caresses. Même quand tu me bats. Même quand tu ne devines pas mes envies secrètes.

Qui donc pourrait le dire mieux qu’un comédien ?

 

Je trouve que cette réplique tombe comme un cheveu dans la soupe, non ? Mais parfois, à lire ce qui se dit sur le samizdat occidental facebook, je me dis que nombreuses sont celles de vos existences ou des nôtres qui tombent dans la soupe. La question est : quelle est la nature de cette soupe. Assis derrière son ordinateur, un auteur  aime se poser des questions auxquelles il ne peut pas répondre. Auxquelles, il n’y a pas lieu de répondre. Cela lui donne l’image d’un philosophe préoccupé par des questions essentielles, ou existentielles, comment dit-on ? Alors, qu’à chaque fois qu’il discute avec sa compagne, il ne parle que de droits d’auteur.

Parfois, je me dis que s’il s’écarte pour péter, ce n’est pas par pudeur mais parce qu’il craint qu’on ne vole son image. Parce qu’il y a aussi le droit à l’image.

Trop souvent, le comédien joue deux rôles à la fois. Celui que lui dicte le texte écrit par un autre et le sien qui le pousse, il croit que c’est nécessaire, à grimacer tant par les gestes que par la voix. Quand il s’agit d’une tragédie, on croit à chaque fois qu’il est prêt à se suicider comme Socrate l’a fait en ingurgitant de la cigüe alors qu’il ne s’agit que de boire un verre de limonade inoffensive. Lorsqu’il s’agit d’une comédie, il s’efforce de faire rire les spectateurs avec le même ton qu’il utilise pour tenir des propos graveleux.

Décidément, je le reconnais, je n’aime pas les comédiens. 

 

Est-il vraiment nécessaire de tendre le bras, et de hausser la voix pour dire : prends un siège, Cinna.

De nombreuses fois, il arrive qu’on me dise : assied-toi, Damien, sans amphigouri. Tenez : Rodrigue, as-tu du cœur. C’est tragique ? Et dans Marius, le Marius de Pagnol, quand il interroge Escartefigue : as-tu du cœur ? C’est tragique peut-être ?  Maudit soit celui qui a inventé « l’Art Dramatique ». Il n’y a que le théâtre. Et le théâtre, c’est la comédie. Drame ou rire, ce n’est que de la comédie. Mais de la comédie vraie. Pas celle que vous jouez tous les jours.

Tenez, si je demande à l’un de vous de prendre ma place sur cette estrade destinée aux comédiens, vous serez trop nombreux. Elle a été conçue pour des comédiens véritables. Regardez bien, je suis transparent. Ce personnage que vous voyez, il vous semble le reconnaitre. C’est vrai, c’est vous.

D’accord, fini la philosophie de bazar.

C’est vrai, un auteur aime citer de grands noms de théâtre. Il ajoute : etc parce que qu’il considère que son propre nom y figure tout naturellement.

Nietzsche, Brecht, Becket, Shakespeare, etc. Bien sûr sans qu’il lui vienne à l’esprit les noms de ceux qui, par leur seul organe vocal, ont porté leurs œuvres jusqu’à aujourd’hui. A chaque fois, c’est comme un coup de poignard qu’il plonge dans le cœur du comédien.

 

Le jugement ( dernier ?)

 

Dans une cuisine ordinaire, pas de salle à manger ou de bureau pour ceux qui attendent plus de respect pour leur personne. Un fonctionnaire les interroge.

Sont-ils conformes à leurs horoscopes ?

Puis.. Théâtre

Le purgatoire est destiné à attendre que l’une ou l’autre place se libère. C’est une erreur de croire qu’il se situe au ciel. Il se situe dans les sous-sols de la terre. Il est plus aisé d’y rencontrer les défunts au fur et à mesure qu’ils doivent être interrogés. Certains le seront à plusieurs reprises. Il est enfantin de penser qu’ils franchiront à chaque fois un bond de milliers, sinon de millions, de kilomètres. Soyons sérieux, il ne s’agit pas d’un conte pour enfants.

La mort d’un comédien

Il achève une tirade shakespearienne. Il ne l’achève pas. Il est seul. Ou quelqu’un est dans un coin de la scène. Il mime ou non 

- Pourquoi, m’engueules-tu ? C’est toi qui dis mal. Tu cries. Tu cries.

- depuis combien de temps es-tu avec moi ?

- Je ne comprends pas ta question ?

- tu es con ou quoi. Il s’agit de temps. Un an, cinq ans, dix ? Plus, moins.

- Je ne sais pas ? Parfois je pense : depuis hier. Je n’y pense jamais. Peut-être depuis toujours.

- Ca veut dire quoi : toujours ?

- Tais-toi, tu m’embrouilles.

- Je me tais.

- Tu sais combien de femmes j’ai connues ?

- C’est des femmes que tu as eues dont tu te souviens ?

Il compte sur les doigts à chaque fois qu’il prononce un prénom. Parfois, il hésite.

-Et le théâtre ? Les textes qui n’ont existé que parce que tu les disais

- Chaque comédien prétend la même chose. Ce n’est pas des textes dont il s’agit, ce n’est pas des comédiens, non plus. C’est de moi.

 

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Commentaires

  • Là, c'est une première pour moi. Quel honneur !! Je ne connaissais pas et, vraiment, elle mérite d'entrer en scène.

    Si, si, aucune flatterie de ma part. C'est sincère.

    Un rappel d'une séance de théâtre lors des Jeunesses théâtrales à Bruxelles.Je pense qu'il s'agissait du Cid.

    Une salle pleine d'adolescents et d'adolescentes prêts à en découdre avec un acteur que tout le monde détestait : nous le trouvions spécialement arrogant, imbu de lui-même.

    Déjà des rires avaient fusé deci-delà .... Et voilà qu'il arrive en habits d'officier romain avec jupette de circonstance. Majestueusement, le voilà qui descend un escalier d'honneur en criant : "J'aime Junie" . Nous ne voyions que la petite jupette voguant sur ses gambettes : c'était d'un cocasse ! Et toute la salle de s'esclaffer, de hurler, de trépigner. ....

    Sidéré, il nous regardait l'air furieux. Petit à petit nous nous sommes calmés. Il s'est mis à hurler :

    "Je ne jouerai plus devant une bande de cancres !" et il a quitté la scène.

    Et nous de rire et de rire encore.

    Le lendemain, au cours ce français la prof qui nous accompagnait lors de cette mémorable séance nous a fait toute une leçon sur le comique et le tragique au théâtre. En nous faisant bien comprendre que la ligne de démarcation était mince, très mince et qu'il suffisait d'un rien (là c'était quand même plus qu'un rien) pour basculer dans le contraire.

    Je suis certaine que vous, vous pourriez décrire cette séance à merveille. Pas moi, hélas.

    La jupette romaine est devenue la minijupe par la suite ...Preuve que l'on n'invente jamais rien.

    Bonne soirée. Dans le rire.

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