Belleville. Momo, 10/14 ans, a été recueilli par Madame Rosa, une très vieille dame juive. C’est la seule personne au monde qu’il aime. Il fera tout pour l'aider afin qu'elle puisse rester chez elle, lui évitant ainsi d’atterrir à l'hôpital, sa plus grande crainte après la rafle du Vel d’hiv.
Extraits :
" Je m'appelle Mohammed mais tout le monde m'appelle Momo pour faire plus petit. Pendant longtemps je n'ai pas su que j'étais arabe parce que personne ne m'insultait. On me l'a seulement appris à l'école.
La première chose que je peux vous dire c'est qu'on habitait au sixième à pied et que pour Madame Rosa, avec tous ces kilos qu'elle portait sur elle et seulement deux jambes, c'était une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines. Elle nous le rappelait chaque fois qu'elle ne se plaignait pas d'autre part, car elle était également juive. Sa santé n'était pas bonne non plus et je peux vous dire aussi dès le début que c'était une femme qui aurait mérité un ascenseur.
Madame Rosa était née en Pologne comme Juive mais elle s'était défendue au Maroc et en Algérie pendant plusieurs années et elle savait l'arabe comme vous et moi. Je devais avoir trois ans quand j'ai vu Madame Rosa pour la première fois. Au début je ne savais pas que Madame Rosa s'occupait de moi seulement pour toucher un mandat à la fin du mois. Quand je l'ai appris, ça m'a fait un coup de savoir que j'étais payé. Je croyais que Madame Rosa m'aimait pour rien et qu'on était quelqu'un l'un pour l'autre. J'en ai pleuré toute une nuit et c'était mon premier grand chagrin.
Au début je ne savais pas que je n'avais pas de mère et je ne savais même pas qu'il en fallait une. Madame Rosa évitait de m'en parler pour ne pas me donner des idées. On était tantôt six ou sept tantôt même plus là-dedans. Il y avait chez nous pas mal de mères qui venaient une ou deux fois par semaine mais c'était toujours pour les autres.
Nous étions presque tous des enfants de putes chez madame Rosa, et quand elles partaient plusieurs mois en province pour se défendre là-bas, elles venaient voir leur môme avant et après. Il me semblait que tout le monde avait une mère sauf moi. J'ai commencé à avoir des crampes d'estomac et des convulsions pour la faire venir.
On était tout ce qu'on avait au monde et c'était toujours ça de sauvé. Plus tard elle m'a avoué qu'elle voulait me garder le plus longtemps possible alors elle m'avait fait croire que j'avais quatre ans de moins.
Maintenant le docteur Katz essayait de convaincre Madame Rosa pour qu'elle aille à l'hôpital. Moi, j'avais froid aux fesses en écoutant le docteur Katz. Tout le monde savait dans le quartier qu'il n'était pas possible de se faire avorter à l'hôpital même quand on était à la torture et qu'ils étaient capables de vous faire vivre de force, tant que vous étiez encore de la barbaque et qu'on pouvait planter une aiguille dedans. La médecine doit avoir le dernier mot et lutter jusqu'au bout pour empêcher que la volonté de Dieu soit faite. Madame Rosa est la seule chose au monde que j'aie aimée ici et je ne vais pas la laisser devenir champion du monde des légumes pour faire plaisir à la médecine.
Alors j'ai inventé que sa famille venait la chercher pour l'emmener en Israël. Le soir j'ai aidé Madame Rosa à descendre à la cave pour aller mourir dans son trou juif. J'avais jamais compris pourquoi elle l'avait aménagé et pourquoi elle y descendait de temps en temps, s'asseyait, regardait autour d'elle et respirait. Maintenant je comprenais. »
Rien ne sonne faux. Tout est dit et non dit.
Par le texte et par l’interprétation poignante des deux protagonistes. Janine Godinas, actrice belge sublime, que l’on a vu jouer l’année dernière dans « Les Grecs », est époustouflante de rigueur, de justesse et d’humanité. Quel métier ! Itsik Elbaz (« L’échange » de Claudel) est criant de vérité dans son hymne à l’amour.
L’attachement mutuel de ces deux épaves de la vie est d’une force tellurique, charnelle, viscérale. Le tableau, symbolisé par un tumulus d’objets disparates jamais ne sombre dans le misérabilisme, tant l’humour est une constante et l’ironie un mode d’emploi de la vie. A notre tour on se prend à aimer personnages et acteurs. Le spectateur moderne porte certes en lui les héros de Dickens, Zola, Daudet et Jules Renard, mais ici on est soufflé par le puissant désir de vivre de Rosa et de Momo. Quelles que soient les religions et les races en présence, tous deux choisissent LA VIE.
Et pourtant c’est une longue agonie qui se fait jour peu à peu sur la scène aux lumières tamisées du Public. C’est un optimisme forcené qui a imposé le titre du roman sans doute, car il n’y a que la tragédie de la mort qui attend ces deux rescapés, comme nous tous d’ailleurs. Tous deux la souhaitent, la plus digne possible. C’est donc toute la tragédie humaine qui est mise en scène, celle de l’inévitable. Avec lucidité, et un humour très juif en guise de lance-pierre contre La Dame à la Grande Faux.
LA VIE DEVANT SOI
de ROMAIN GARY (Emile Ajar)
Mise en scène: Michel Kacenelenbogen / avec Janine Godinas, Itsik Elbaz, Nabil Missoumi et Benoît Van Dorslaer DU 03/09/11 AU 22/10/11
http://www.theatrelepublic.be/play_details.php?play_id=282&type=1
Commentaires
LA PROMESSE DE L'AUBE
De Romain Gary
Mise en scène Itsik Elbaz. Avec Michel Kacenelenbogen
DU 16/05/17 AU 24/06/17
Création - Grande Salle
Représentations du mardi au samedi à 20h30
Quelle vie ! Ça commence avec une enfance en Russie, en Pologne puis à Nice, le luxe et la pauvreté connus tour à tour, puis un dur apprentissage d’aviateur, des aventures en France, en Angleterre, en Afrique. Et à chaque instant, il y a l’amour merveilleux et fou de Nina, actrice russe extravagante, à la fois généreuse et ambitieuse, passionnée et idéaliste, courageuse et étourdie, indomptable et légère. Cet amour que Nina porte à son fils, le futur héros de guerre, Consul de France, écrivain énigmatique aux identités multiples, double récipiendaire du Prix Goncourt … le fameux Romain Gary.
Souvenez-vous de « La vie devant soi » … et retrouvez la plume romanesque de son auteur, truffée d’humour et de tendresse. Sous la direction d’Itsik Elbaz, Michel Kacenelenbogen reprend son costume de conteur et fait vibrer jusqu’au cœur ce chef-d’œuvre, cette magnifique histoire d’amour et de promesses.
UNE COPRODUCTION DU THÉÂTRE LE PUBLIC DU THÉÂTRE DU CHÊNE NOIR ET DE KI M'AIME ME SUIVE. Photo © D.R.
D'après La Promesse de l’aube de Romain Gary, © Editions Gallimard.
Assistanat à la mise en scène Anne Sylvain
Scénographie et costumes Renata Gorka
Lumière Laurent Kaye
Musique Pascal Charpentier
Vidéo Sébastien Fernandez
Régie Matthias Polart
Stagiaire régie Martin Celis
Romain GARY est mort le 2 décembre 1980. Il est l'un des plus grands écrivains français de l'après-Guerre. Sous son nom, ou sous celui d'Emile AJAR, il écrivit des romans étincelants qui connurent un grand succès auprès du public. Aujourd'hui encore, son oeuvre est très lue dans le monde.
"Bon moi j'ai rien vu dans ma vie et j'ai pas tellement le droit de dire ce qui est effrayant et ce qui ne l'est pas plus qu'autre chose, mais je vous jure que Madame Rosa à poil, avec des bottes de cuir et des culottes noires en dentelles autour du cou, parce qu'elle s'était trompée de côté, et des niches comme ça, dépasse l'imagination, qui étaient couchées sur le ventre, je vous jure que c'est quelque chose qu'on peut pas voir ailleurs, même si ça existe. Par-dessus le marché, Madame Rosa essayait de remuer le cul comme dans un sex-shop, mais comme chez elle, le cul dépassait les possibilités humaines ..."
La Vie devant soi. Emile Ajar (1975)
Nous aimions tant cet artiste sensible qui, à travers ses écrits, partageait nos peines existentielles et les rendaient absurdement risibles et donc humaines.
Retrouvez aussi le commentaire de Suzanne VANINA, Bruxelles : http://www.ruedutheatre.eu/article/1491/la-vie-devant-soi/