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"La vie d'un simple" sont les mémoires du métayer Tiennon Bertin. Roman d'Émile Guillaumin (1877-1951), publié à Paris chez Stock en 1905. L'auteur retouchera son texte pour l'édition Nelson en 1922. Dans «l'Autodidacte devant l'expérience», introduction à la réédition chez Stock en 1932 (Préface de Daniel Halévy), Guillaumin signale le retour au texte original sur les conseils de l'éditeur, mais il rétablit la plupart des corrections en 1943.

Dédié à la mémoire des paysans d'hier, le chef-d'oeuvre d'Émile Guillaumin tranche sur la production française de romans de la campagne, dont il bouleverse la tradition. Loin des idylles sandiennes, de l'apologétique d'un René Bazin, de la noirceur zolienne ou des fictions paysannes en faux style rustique, la Vie d'un simple vaut comme document véridique sur la vie paysanne au XIXe siècle, et plus particulièrement sur celle des métayers, ces exploités soumis à leur maître et à la dure loi des locatures. Trame des travaux et des jours, récit d'une expérience personnelle, justesse du ton, poésie du quotidien, tout milite pour sublimer ce texte en véritables «Géorgiques françaises» (J.-L. Curtis).

 

L'Avant-propos donne la teneur de l'ouvrage: il s'agit des récits à peine romancés d'Étienne Bertin, dit le père Tiennon, métayer du Bourbonnais. En 48 courts chapitres, il relate sa vie, de sa naissance en 1823 aux alentours de 1900. Enfant sous la Restauration, bercé par les souvenirs de l'épopée impériale et de la retraite de Russie qu'aime à lui conter son oncle Toinot, jeune homme sous la monarchie de Juillet, Tiennon ne perçoit que les échos assourdis des événements politiques. Ses parents, métayers de M. Fauconnet, se séparent de leur maître après une discussion violente portant sur les baux. Ils s'installent à Saint-Menoux et travaillent pour M. Boutry, pharmacien à Moulins. Dans leur vie de labeur, rythmée par les saisons, comptent parfois quelques rares plaisirs: l'auberge, la bourrée un soir de dépiquage, les noces... Tiennon tire un bon numéro et échappe au service militaire. Malgré quelques pauvres aventures, il arrive vierge au mariage, quand il épouse Victoire Giraud. Ils louent à Bourbon la ferme de la Creuserie, et ont affaire au régisseur Parent qui représente M. Frédéric, le patron. Aléas du travail, naissances, et même «tentation du diable» (pendant dix-huit mois Tiennon voit sa maîtresse Marianne): Tiennon est un métayer comme les autres, chez qui s'éveille lentement une conscience sociale; ne veut-il pas envoyer ses enfants à l'école? Catastrophes personnelles (une jambe cassée et la grêle en 1861) et nationales (guerre de 1870) assombrissent ces années. Il perd ses économies en les confiant à un escroc. A la mort de leur père, les filles de M. Fauconnet lui donnent congé. Une nouvelle locature le conduit à Clermoux chez M. Noris, qui meurt, puis à Saint-Aubin chez le fils Fauconnet. Après la mort de Victoire en 1891, Tiennon se retire chez ses fils, métayers comme lui, et y attend tranquillement la mort: «Je ne demande qu'une chose, c'est de rester jusqu'au bout à peu près valide.»

 

Une vie fruste, les incertitudes des récoltes, la dépendance totale à l'égard des maîtres, fussent-ils bons: l'on ne peut que survivre. Si, vers la fin, Tiennon s'affiche «quasi socialiste», il retranscrit fidèlement l'aliénation du petit peuple des métayers, également soumis au curé prêchant la résignation, la morale et l'ordre (la défaite en 1871 ne punit-elle pas «l'orgueil»?). S'en tenant toujours à l'essentiel, Guillaumin choisit le détail révélateur, l'anecdote significative, le trait de langage éclairant et évocateur, reproduisant à bon escient le patois vivant de cette terre de traditions. Sans monotonie aucune, il privilégie une certaine égalité de ton qui ordonne la sobre succession des événements. Mais, fidèle au cours même du siècle, il confère à l'Histoire de plus en plus de poids, surtout avec l'arrivée du chemin de fer, où Tiennon, mi-craintif, mi-sceptique, voit lucidement le signe de la modernité. Si, à en croire Daniel Halévy, ce roman rendit Mirbeau optimiste, le «sage d'Ygrande», cette grande figure de la paysannerie française, en exploitera la veine dans ses six autres romans, dont Rose et sa Parisienne (1908).

 

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Commentaires

  • Oui, c'est vraiment un très beau livre. C'est toujours une chance pour tous quand quelqu'un qui a vécu des expériences personnelles fortes est capables de les traduire en un style littéraire attrayant.

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