La technique du Piqué
Canne en jonc de malacca, bague en argent et pommeau en ivoire (décor en piqué d'argent)
Angleterre fin XVIIème siècle
Le monde des cannes est comme une encyclopédie qui nous offre la possibilité de découvrir non seulement, une variété infinie de matières mais aussi presque toutes les techniques existantes ... Parfois, pour le passionné, c’est une découverte.
Parmi les nombreux procédés classiques d'ornementation, certains sont inattendus, méconnus ou tout simplement oubliés.
L'art d'associer les matières est source d'innovations et de créations. Intarsia, champlevés, cloisonnés, marqueterie ... sont des techniques très anciennes et relativement connues.
Cette canne nous fait découvrir un procédé d'incrustation peu connu ... le piqué.
Sous l’appellation « piqué », les spécialistes et amateurs regroupent plusieurs types d’incrustation : le piqué lui-même, mais aussi le brodé, le coulé et l’Incrusté. Je reviendrai sur ces différents termes pour différencier chacun de ces procédés.
Pour ce pommeau, il s’agit du piqué en tant que tel.
Ce savoir-faire italien, très pratiqué en Angleterre, en France et en Allemagne, a été développé particulièrement par Laurenti, un napolitain.
Nous sommes au 17ème siècle et le mariage des matières est de plus en plus apprécié en ébénisterie. (Laurenti, A. C. Boulle, Hache, P. Gole, ...)
Très vite, les tabletiers, spécialistes en « menus ouvrages », pratiqueront cet art. (Ecrins, coffrets, petites boîtes, étuis, tabatières, éventails, ... et « pommes de cannes ») (*)
Cette canne est décorée d’incrustations en piqué uniquement. En pratique, il s'agit de percer la matière de petits trous cylindriques juxtaposés formant un motif décoratif. Après avoir chauffé l'ivoire, la corne, l'écaille, ... on y pique un fil de laiton, d'or ou d'argent que l'on coupe à ras. En refroidissant, la matière maintient l'incrustation ... on arase correctement et on polit l'ensemble.
Piqué à fils creux - détail
Des caractéristiques précises différencient les piqués. Il existe le piqué simple en fil plein, le piqué en fil creux et le piqué en fil « préformé ». Pour ce dernier, l’artisan donne au préalable une forme particulière au fil comme une étoile par exemple.
Il est intéressant de constater que les anglais ont préférés employer le fil creux (sorte de petit tube). Le fil creux donne un effet de cercles minuscules.
Pour la production continentale, le piqué est mixte et plus souvent en fil simple et en plein. Plus tard en France, fin XVIIIème et au XIXème, on observe régulièrement des décor à semés d'étoiles. (Fil préformé)
Piqué d’étoiles XIXème (Fil d’or préformé)
Piqué à fils pleins
Voici un rare et très bel exemple de piqué de type français. Dans ce cas, le fil est plein et ne donne pas l'effet de petits cercles observé sur le pommeau précédent. Ici, le décor est composé de fils d'or, d'argent et de corne noire.
Canne haute en malacca et à pommeau d'ivoire - Décor en piqué simple et composite de fils d'or, d'argent et de corne noire. (XVIIIème siècle)
Le piqué de fils d'or est simple et beaucoup plus petit que le piqué anglais (ses dimensions correspondent au centre du cercle anglais). Le décor sombre est un piqué, en plein, de corne noire. L'artisan, pour donner plus de finesse à son travail, a piqué la corne noire avec un fil d'argent plein de la même épaisseur que le fil d'or.
Le dessus du pommeau est décoré d'une étoile formée uniquement de piqué composite de corne noire et de fils d'argent. Une bague en corne noire, fixée à joints vifs, fait la jonction avec le fût.
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Détail de piqué simple – les insertions juxtaposées suivent les traits du décor.
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Nécessaire de couture en ivoire – décor en piqué de fil d’or large.
Début XIXème siècle.
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Quelques exemples illustrant ces procédés.
Pommeau d'ivoire travaillé avec la technique du brodé conjuguant "piqué", "coulé" et "incrusté" - Début XVIIIème siècle.
Le piqué est en cercles (la canne est anglaise)
Rare pommeau XVIIIè en écaille illustrant la technique du "brodé" conjuguant les trois techniques : "piqué", "coulé" et "incrusté" (or et nacre).
Hambourg - Kunst und Gewerbemuseum
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Travail italien fin XVIIème/début XVIIIème.
Le piqué complète le décor (Treillis de losanges)
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Travail italien – XVIIIème siècle (Le piqué est complémentaire au décor)
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Petite boîte italienne XVIIIème siècle.
Treillis de losanges quadrillés semés de perles – tout le décor fin est en piqué.
* Monsieur le baron Gustave de Rothschild possédait une collection, des plus complètes et des plus riches, d'œuvres napolitaines de ce genre.
Commentaires
Merci Michel ... comme il est agréable d'être aussi fous que nous ... non, je n'avais pas vu votre billet sur Neuber et je viens de le découvrir ... magnifique ! Lorsque vous l'avez édité, contraint et forcé, je n'avais pas la possibilité de suivre l'activité d'Arts & Lettres ... je suis de retour et ferai de mon mieux pour être plus régulier.
Merci encore et à bientôt.
Bien amicalement
Un billet très intéressant, instructif et clair, remarquablement illustré, pas piqué des vers ! (j'ai osé ! Pourtant quand j'ai vu "technique" j'ai tiqué, vite rassuré par les explications à la fois précises et intelligibles, puis "du Piqué", là j'ai pensé il est aussi fou que je le suis de minéralogie -à ce propos aviez vu mon article sur Neuber, minéralogiste à la Cour de Saxe, les sujets sont assez concomitants-, d'ailleurs ma canne a ri, mais c'est par empathie).
Merci pour cet article, j'attends la suite avec impatience.
Bien amicalement.
Passionnant !! Merci du partage de ces informations !
Cordialement, Nicole V.Duvivier