(Sur un plateau de théâtre vide, une femme dort, à même le sol. Elle semble avoir une cinquantaine d'années, vêtue d'un tablier plutôt marron avec des lignes grises, qui entrouvert laisse voir une blouse bleue semée de petits pois roses et une jupe mi-longue vaguement plissée. Elle porte des bas rayés et des chaussures en plastique jaune. Elle utilise un petit seau également en plastique comme oreiller et quelques pas plus loin un balai traîne à terre encore habillé de sa serpillère.
Soudain, la lumière s'éteint. Noir complet.
Elle se réveille brutalement, on l"entend qui tâtonne dans l'obscurité)
Oups... Hé ! Ils ont coupé à nouveau. C’est la troisième fois cette semaine. J’en ai marre de ces coupures EDF, Manu ! tu peux voir où est la lampe torche ? Manu ! Manu ! ... Merde, je suis coconne ou quoi : il peut rien voir, il est mort il y a 3 ans... T’es toute seule, ma vieille, dans ton théâtre vide. Vide !!! Vide, vacuum, vacuité : la vacuité est le luxe des pauvres. C’est mon luxe ! Mais moi, j’ai peur du vide et mon lux, lucis, c’est la lumière, les projos, les sunlights, Fiat Lux !!!
(La lumière revient)
Ça va mieux. Je déteste le noir. Ça m’empêche de dormir... (elle crie à la cantonade) je déteste la nuit et son cortège de cauchemars et de monstres. La nuit? je ne peux pas dormir, je broie du noir...
(elle ferme les yeux)
Bon, reprenons : c’était le milieu de mon rêve, et je déteste rester au milieu : quand ça n’a pas de fin, on ne sait pas si ça a vraiment commencé... Le milieu d’un rêve c’est comme un centre qui aurait pas de périmètre, de limites, de cadre... c’est l’angoisse!
(elle rouvre les yeux)
Au théâtre, y a toujours un cadre, le cadre de scène, c’est rassurant, on s’assied, on regarde à jardin et à cour, on voit le bord du cadre, et l’acteur au milieu, lui il peut nous apostropher, Ho!, nous amuser, Hou-hou?, nous émouvoir, Hmmm (soupir), nous effrayer, Haaaa!!!, c’est son rôle, mais comme il est encadré, on est rassuré, on sait que tant qu’il est au milieu, il va pas sortir de son rôle et que nous on va jouir assis, tranquillement, à notre place de spectateur… Enfin on allait jouir. Parce qu’entretemps, ils ont supprimé les théâtres, ça coûtait trop cher…
Moi aussi, on m’a oublié. Avant, y avait plein de fantômes qui attendaient que le rideau se lève. Il est tombé maintenant, le rideau, tout pourri par les mythes. Avec th. Comme théâtre. Le t de tempête et le h de héros.
(elle fait des gestes, des bruits de tonnerre, court, s'agite)
T, H, T H, T, H, TT, H, H, Théâtre !!! Moi, quand tout le monde était prêt, les acteurs au milieu du cadre et les spectateurs à leur place, le régisseur me laissait frapper les trois coups,
(elle frappe et respire profondément)
Ha... et le rideau se levait. C’est si beau un rideau qui s’envole. A l’italienne, ce sont deux ailes qui s’ouvrent sur le rêve, comme ça
(elle tire de sa poche un grand mouchoir, qu’elle utilise pour sa démonstration).
Vous entendez, ça bruisse, on sent le frémissement de l’air caressé par le velours, on sait déjà que le voyage sera sensuel et gorgé de soleil, la comédie bavarde et la tragédie pleine de cris et de fureurs. A l’allemande, changement de programme : c’est du sérieux : ça monte tout droit, ça descend tout sec, carrément, on sait où on va et la chute du drame tombe comme le couperet d’une guillotine. A la grecque, c’est plus mystérieux, le rideau est monté sur une patience et les deux parties coulissent latéralement du centre vers les côtés, on sort doucement de son quotidien de spectateur pour entrer dans le monde des déesses et des dieux...
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