Le Tout Bruxelles, façon United Colours Benetton, ne peut s’empêcher d’accomplir un pèlerinage annuel au théâtre des Galeries pour sa Revue légendaire. Toute la famille est de la partie, même de très jeunes qui ne comprendront rien à certaines envolées humoristiques ou égrillardes. Y aller est une institution… Le spectacle tient d’ailleurs l’affiche pendant deux mois, c’est dire ! Nous avons toujours reculé, par ce que, les blagues à six sous, le zinzin, le mélange vie parisienne et vie politique belge…. Bof !
Et si c’était le dernier Noël de la Belgique ? Si cette année, le traîneau des Sublimes Rennes avait fissuré le bloc germano-latin tout le long de sa frontière, en remontant vers le Grand Nord, laissant derrière lui, l’irréparable fracture?
On s’est donc laissé convaincre et on s’est posé joyeusement sur un océan de glamour, de bon goût, de textes dits avec vivacité, de clin d’œil acéré tous azimuts. Bref du chansonnier débridé d’antan, mêlé à de savantes chorégraphies, des jeux de lumières très étudiés et envoûtants, des voix étonnantes, des imitations délirantes. La salle, conquise d’avance, il est vrai laisse fuser ses rires sans retenue, se pâme de plaisir, les visages ont déposé toute sinistrose. On regarde même son voisin avec connivence entendue! Un modèle de fraternité ! Rien que pour ce sentiment, cela vaut la peine! On devrait séquestrer ces spectateurs bienveillants et les sommer de former un gouvernement… la formule, originale, nous sortirait peut-être – de l’enlisement où nous sommes…
La phrase d’ouverture est bien : « Viens, le rêve t’emmène… ! » Chantée, dansée, envolée par des professionnels du spectacle, tous plus éblouissants les uns que les autres.
On retrouve vite notre roi, tout habillé, au lit avec « sa lasagne chérie », au garde –à-vous, prêt à recevoir un nouveau négociateur. Ses insomnies lui soufflent de nouveaux noms : sécateur, extincteur, … congélateur, le bonheur est dans le pré - servateur. La rime est riche et le temps est long ! La salle trépigne!
Au cœur de ces amplifications humoristiques on retrouve évidemment les sombres histoires de prêtrise pédophile, jetées en pleine lumière. « Vie biblique, vie lubrique », une parodie du Vie privée, Vie publique de Mireille Dumas, dépèce le cardinal Danneels par le menu et Hadja Lahbib lacère Monseigneur Léonard et son illustre Patron Romain. Les allusions à propos de Sarkosy et ses amours « romaines » avec ou sans papiers jettent les spectateurs dans l’hilarité. C’est inévitablement le tour de Bart de Wever de se faire retourner par un présentateur de la RTBF, Pierre Pigeolet. Le moins bon numéro est celui qui met en scène Elio, Laurette et Michel Daerden, largement imbibé, dans un show télévisé - trop bête pour être vrai? L’émission de « Nom de Dieu ! » est tombée bien bas! Il faut que le présentateur appelle son invité « Papa ! »
Mais à part cela, on reçoit en plein cœur la voix profonde d’une charmante Cendrine Ketels dans des chansons, trop courtes, qui sont un vrai délice. La musique et la chorégraphie brillantes de « The Phantom of the Opera » séduisent immanquablement, malgré l’amertume des attrape-voix fantômes qui sapent la démocratie. Richard Ruben, qui passe vite pour maître de cérémonies est irrésistible. Sa «Gisèle» de Marcinelle est savoureuse, les accents se suivent et ne se ressemblent pas! Gonzague ou loosers de la périphérie, experts de Bruxelles Ville Propreté, tout déclenche le rire et la bonne humeur. Un spectacle de qualité, peaufiné et enlevé!
Commentaires
Sur l'air du poiçonneur des Lilas:
Je suis navetteur d’mon état
A longueur de journée j’roulais aux pas,
Sur l’autoroute, les artères, dans les cratères !
Pour tuer l’ennui, je lis du reste,
Rien qu’des trous, des p’tits trous, encore plein de trous !
Des p’tits trous, des grands trous, enfin des nids de poules,
Des nids de seconde classe, des nids de première classe…
CRITIQUE
La Revue, c’est un peu comme
la messe de Noël. Il y a
les inconditionnels, ceux
qui y vont parce que c’est la tradition,
sans trop se poser de questions,
et ceux dont ce n’est pas la
confession. Si on fait partie de
cette dernière catégorie de mécréants,
on avoue que, cette année,
les officiants ne manquaient
pas de talent et que le
service se laissait agréablement
regarder, surtout dans la première
partie, la seconde souffrant de
quelques lourdeurs.
C’est sur un drapeau belge déchiqueté
que s’ouvre ce spectacle
destiné, comme chaque année, à
passer en revue l’année écoulée
et toutes les absurdités de notre
petit pays bien malmené. La Revue
n’aurait pu rêver situation
plus surréaliste que ces six mois sans gouvernement. Pourtant,
ce n’est pas tant la politique que
la crise dans l’Eglise qui a nourri
les auteurs de cette nouvelle édition.
Messeigneurs Danneels et
Léonard sont largement sollicités,
l’un dans une parodie du Vie
privée, Vie publique de Mireille
Dumas, devenu Vie biblique, Vie lubrique, l’autre devant le micro
de Hadja Lahbib.
Les scandales pédophiles
émaillent aussi les autres
sketchs avec un humour forcément
en dessous de la ceinture.
On re trouve les clients habituels,
avec en tête un Michel Daerden
en permanence aviné, ce qui ne l’empêche pas de gérer les affaires
« coulantes ». Le Roi en
pyjama, Anne-Marie Lizin en
poulpe : les têtes n’ont pas beaucoup
changé pour cette nouvelle
Revue.
Devenu un habitué de ce rendez-
vous de fin d’année, Richard
Ruben amuse la galerie, ou plutôt
les Galeries. On adore son interprétation
de JCVD, et sa vision
mathématiquement absurde
de la situation belge. On rit
aussi de son duo avec Pierre
Pigeolet pour convoquer les frères
Bogdanov et leur démonstration
intergalactique sur l’état de
notre planète belge au bord du
big bang et vouée à finir en popcorn.
L’humoriste est très fort pour
jongler avec les stars de la chanson,
mixant les tubes, ce qui
nous donne Arno revisitant Adamo.
Pour la partie politique, l’humour
reste très en surface, baptisant
la Belgique, « république démocratique
du complot », faisant
des ponts entre Kabila et
Serge Kubla, invitant un Bart De
Wever obèse et maladivement
têtu, et n’évitant pas des parenthèses
douteuses sur la vie privée
d’un certain Philippe Moureaux.
Pour finir avec un interminable
show télévisé entre Elio, Laurette
et Michel, les saouleries de
ce dernier finissant par lasser.
L’état des routes, le tri sélectif ou
la bourde du fils De Croo sont encore
au menu de cette Revue, emballée
de chorégraphies et chansons
sirupeuses, mais aussi indissociables
de cet exercice que le
« Divin Enfant » de la messe de
minuit. ■ CATHERINE MAKEREEL