Une superbe vidéo aquatique nous plonge dans l’Histoire du Titanic, vieille de 99 ans. En ce jour fatidique du 14 avril 1912, le puissant monde occidental se brisait comme une poupée de porcelaine et s’engouffrait au fond de l’Atlantique Nord pour toujours. On le sait, c’est le péché d’Hubris, tant dénoncé par les tragédiens grecs, qui fit disparaître pour toujours ce bâtiment réputé insubmersible, dans "le crissement d'un patin sur la glace." Ce navire, aussi haut que le plus grand des gratte-ciel américains, sombra en quelques heures par une nuit sans lune, en frôlant l’iceberg meurtrier. Symbole tragique des limites de l’homme et de la dislocation du Vieux monde.
La pièce de THIERRY DEBROUX fut écrite quelques mois avant la sortie du film de Cameron en 1996, lui aussi une description d’une catastrophe qui ne cesse d’interroger notre mémoire collective. Ainsi furent fracassés brutalement, le luxe extrême, le délire du progrès technique et les classes sociales…. Coup de semonce divine? En tout cas, une catastrophe internationale et ici dans la pièce, une catastrophe intime d’une petite fille séparée de sa mère dans des circonstances étranges. De l’immensément grand à l’immensément petit.
Le décor est un vaste plan incliné blanc, le souvenir de l’iceberg, sur lequel apparaissent - elle, dans toute sa vivacité, et lui, dans son immense bonhommie - la grande actrice Jacqueline Bir et son merveilleux compagnon, Marc Olinger jouant Edward, le mari flegmatique. Ils ont tout du beau couple de noces d’argent, s’intéressant, l’un aux étoiles et aux questionnements de Einstein, et l’autre à l’infiniment petit : les pucerons dévorants le robinier du jardin.
Maggy est mystérieusement protégée de ses souvenirs de petite fille par une amnésie infantile qui a recouvert les événements du 14 avril 1912. La surface polie du couple sera fracassée par la visite soudaine d’un jeune compositeur d’opéra, tout comme le destin fracassa subitement le bateau mythique. Edward, le mari astronome ne veut pas réveiller les vieux souvenirs. Il traine derrière lui un fardeau aussi lourd que le Titanic. Par amour pour sa femme, Maggy, il n’a jamais voulu dévoiler les secrets qu’il détient.
Un douloureux travail de mémoire pour Maggy s’engage dans un duel avec le jeune compositeur, figure très dramatique. Celui-ci s’est passionné pour un travail de mémoire palpitant et c’est ainsi que les deux destins se croisent. Il est en effet fasciné par la photo d’une femme, trouvée dans un livre ayant appartenu à son grand-père. Pourquoi ressemble-t-elle tant à cette mère fermant les bras sur son enfant, qu’il a retrouvée dans des documents d’archive du Titanic? Une énigme familiale qu’il ne peut s’empêcher de vouloir résoudre. Maggy, devenue la proie de réminiscences troublantes, qu’elle croyait enfouies à jamais, finit par se prêter au jeu … qu’elle porte élégamment, avec une justesse de ton, une vigueur et une émotion magnifiques.
A la fin, c’est la catharsis salutaire et l’émergence de la sérénité et de la paix. La petite fille souriante de la vidéo mélangeant subconscient et fonds marins, apparaît sur la scène en sautillant. Applaudissements vifs et chaleureux.
THÉÂTRE ROYAL DU PARC 28 Avril 2011 >> 28 Mai 2011
MISE EN SCÈNE Thierry Debroux , COMPOSITION MUSICALE de PASCAL CHARPENTIER, SCÉNOGRAPHIE ET COSTUMES Catherine Cosme
AVEC Jacqueline Bir, Anouchka Vingtier, Marc Olinger, Hervé Sogne Le texte est paru aux éditions Lansman.
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http://www.theatreduparc.be/spectacle/spectacle_2010_2011_005
Commentaires
vendredi 13 mai 2011
Une pièce réussie au Théâtre du Parc. Jacqueline Bir parvient encore à nous étonner. Mais laisse les autres acteurs respirer et s'imposer aussi.
CRITIQUE
Epurée, La poupée Titanic remonte à la surface et cette pièce de 1996 n'a pas pris une ride (lire le Mad du 20 avril). C'est que Thierry Debroux sait trousser une histoire qui tient à la fois du thriller et du drame psychanalytique tout en la tramant de questions graves que chacun peut creuser à sa manière sur les traumatismes du passé et ses secrets occultés.
Et dans cette traversée de la mémoire qui blesse entre doutes et fantasmes, en parallèle avec l'acte créateur d'un musicien, Debroux injecte des pépites d'humour, des larmes de silence, alterne les morceaux de bravoure et laisse le temps et l'espace aux récits solitaires. Et si le style est brillant, il évite le piège du bon mot tiré à la ligne. Peut-être l'ultime scène est-elle un peu superflue dans une structure par ailleurs bien maîtrisée.
Auteur habile (et ici metteur en scène), Debroux sait comment faire vibrer un comédien. Une fois de plus, on est subjugué par la justesse de Jacqueline Bir, dans le rôle de la vieille dame rescapée amnésique du naufrage. Sans le moindre surjeu, elle oscille entre le présent, sa carapace altière, et les vagues du passé qui la rongent. Un de ces rôles de tragédie humaine qui lui colle à la peau. Aussi impressionnante soit-elle, la comédienne ne phagocyte pas ses partenaires et Marc Olinger en mari protecteur et qui, bien que physicien astronome, a les pieds sur terre, cultive lui aussi sa part de secrets.
En contrepoint, un couple jeune cherche à exister : la douce et subtile Anouchka Vingtier, compagne d'un compositeur tourmenté (Hervé Sogne). C'est lui qui par sa musique, par ses recherches, creuse la brèche dans la fragilité de la vieille dame. Et il ne sera pas épargné par les révélations en cascade.
Comme sur le vrai Titanic
Cette Poupée Titanic respire sur un plan monochrome, incliné de biais (évocateur de déséquilibre, celui du navire qui coule, de la pensée de la vieille dame…), mangé dans un angle par une énorme tête de poupée. A cette abstraction (Catherine Cosme), s'ajoute un film projeté sur la paroi du fond : une petite fille (Zoé Ergo) et sa poupée, presque immatérielles dans l'eau bleue, qui livre des bribes de l'histoire. Belle et troublante réalisation signée Eve Martin et Nicolas Bueno.
Indispensable, la musique de Pascal Charpentier est bien davantage qu'un décor sonore. Elle reprend l'effectif du quatuor à cordes (qui jouait sur le vrai Titanic), et acteur à part entière, elle s'insinue dans les replis de la mémoire, entêtante comme l'ombre du passé… et consolatrice tout à la fois.
Théâtre Royal du Parc, jusqu'au 28 mai.
En coproduction avec le Théâtre des Capucins à Luxembourg où la pièce fut créée.
Thierry Debroux est édité chez Emile Lansman.
MICHELE FRICHEand more: par Suzanne Vanina:
http://www.ruedutheatre.eu/article/1337/la-poupee-titanic/?symfony=...
Thierry Debroux, le spectacle s'intitule «La poupée Titanic». Un titre mystérieux mais qui en dit beaucoup sur la pièce...En effet, ce titre établit un contraste entre d'une part la fragilité d'une poupée les gens qui ont découvert l'épave ont brusquement aperçu à 4 000 mètres de fond un visage de poupée et c'est en voyant ce reportage que l'envie d'écrire cette histoire m'est venue et d'autre part le Titanic qui, au XXe siècle, symbolisait la vitesse, les progrès scientifiques et techniques.
Le personnage principal, Maggy, qui est incarné par la magnifique Jacqueline Bir, se trouvait à 5 ans sur le paquebot. Devenue adulte, elle ne se souvient de rien. Elle est en plein déni. Sa maman qui avait un billet de première classe n'a pas été sauvée. Et on sait qu'il y a un secret lié au fait qu'elle soit restée à bord. La pièce est construite comme une sorte de thriller. Et débute lorsque Maggy va rencontrer un compositeur qui va lui permettre de craqueler cette chape de plomb qu'elle s'est construite.
En plus d'être musical, le spectacle est également composé de vidéos?Le souvenir est symbolisé par une petite fille que Maggy a rencontrée sur le paquebot. C'est une sorte de fantôme de la mémoire. On a donc fait appel à deux réalisateurs qui ont filmé une fillette dans l'eau. Lors du tournage des séquences, on se serait cru à Hollywood avec le scaphandre, la caméra professionnelle...! Mais ce dispositif vidéo se justifie du fait de cette présence fantomatique. La poupée Titanic avait déjà été jouée avec une petite fille en chair et en os sur scène. Nous avons donc créé ici une tout autre version.
Cette pièce, c'est aussi l'idée qu'on ne peut être soi qu'en acceptant son passé?Oui, il y a pas mal de bouquins qui sont d'ailleurs parus sur le sujet. Il n'est jamais bon de cacher quelque chose. Les secrets de famille finissent toujours par rejaillir un jour ou l'autre. Il vaut donc mieux affronter la réalité même si elle est douloureuse pour pouvoir s'en défaire. L'un des messages de la pièce, c'est qu'il faut pouvoir affronter ses secrets, ses traumatismes.
À cette époque, le naufrage du Titanic est devenu fort symbolique car il annonçait l'entrée dans une nouvelle ère marquée par des guerres. Ce symbole est aussi important dans la pièce?En ce moment même, nous nous trouvons sur le Titanic. Nous savons que nous allons droit dans le mur au niveau de l'écologie par exemple. En Occident, nous sommes un peu comme les passagers de première classe du Titanic. Nous continuons à consommer de plus en plus, à détériorer la planète. Nous fonçons vers une sorte d'iceberg. Nous le savons mais nous continuons à danser dans nos salons de première classe.
On avait foi jusqu'en 1912, année du naufrage, dans le progrès. Progrès qui allait forcément nous apporter le bonheur. Mais on a vu les dangers que la vitesse, que le progrès et la science pouvaient représenter. L'homme joue à l'apprenti sorcier. À l'heure actuelle, c'est la même chose; il faut aller de plus en plus vite. C'est une métaphore du monde dans lequel nous vivons. On est complètement vampirisé par la vitesse par exemple. Ce qui peut devenir extrêmement néfaste. Pour notre santé et dans nos rapports avec les autres.
«La poupée Titanic» de Thierry Debroux au Théâtre royal du Parc à Bruxelles du 28 avril au 28 mai. Une coproduction avec le Théâtre des Capucins (Luxembourg). Mise en scène : Thierry Debroux. Réservations au 02 505 30 30 de 11 h à 18 h ou www.theatreduparc.be