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Claude Lévi-Strauss: La pensée sauvage

12273144895?profile=original"La pensée sauvage" est un essai de l' ethnologue français Claude Lévi-Strauss (1908-2009), publié en 1962. Cet essai a pour intention centrale de mettre en valeur l'aspect logique et conceptuel de la pensée des peuples sans écriture, en opposition avec les auteurs qui ont surtout insisté sur son aspect émotionnel et affectif. Cette démarche conduit Lévi-Strauss à mettre en corrélation la "pensée sauvage" avec certaines formes de pensée et d'expression de notre société, et enfin, à s'interroger sur le problème de l' histoire, dont la valorisation inconditionnelle est un des traits essentiels par lesquels la pensée "civilisée" s'oppose à la pensée sauvage. Au début de son ouvrage, Lévi-Strauss souligne que celui-ci ne peut être séparé des problèmes étudiés dans un ouvrage de dimensions plus restreintes, "Le totémisme aujourd'hui", paru également en 1962. En effet, "Le totémisme aujourd'hui", comme "La pensée sauvage", étudie la pensée sauvage à l'oeuvre dans le totémisme, pour instituer un système de classification, à travers la correspondance entre une série d'espèces naturelles, animales ou végétales et une série de groupes ou d'individus, dont la différenciation est d'origine culturelle: membres d'une famille, moitiés exogamiques, classes matrimoniales, clans. Ce qui caractérise le totémisme n'est donc pas d'abord la correspondance terme à terme de chaque individu ou groupe avec l' animal ou la plante qui lui sert de totem, mais la mise en rapport d'un système de différences dans une série naturelle avec un système de différences dans une série culturelle. La pensée sauvage se sert de sa connaissance précise de la nature pour penser le système culturel à travers un principe de classification. C'est la portée de cette pensée classificatoire que Lévi-Strauss met en valeur dans "La pensée sauvage". Il souligne la précision et l'ampleur des connaissances botaniques et zoologiques des primitifs, qui aboutissent parfois à une classification faisant songer à celle de Linné. Un tel approfondissement dans l'effort classificatoire ne peut relever seulement des préoccupations utilitaires et révèle dans la pensée sauvage une véritable autonomie du domaine spéculatif, autonomie qu'exprime d'autre part, sur le plan culturel, l' admiration de certaines populations australiennes pour les subtilités et la complexité des systèmes matrimoniaux, et la curiosité pour les organisations matrimoniales des populations voisines. Lévi-Strauss va jusqu'à voir chez ces populations un certain "dandysme intellectuel". Ce n'est donc pas par son caractère utilitaire et affectif que la pensée sauvage se différencie de la pensée scientifique, mais par son mépris du "principe d' économie", par lequel tous les systèmes doivent être ramenés à un seul, le plus efficace, par l'action technique qu'il permet sur la nature. La pensée sauvage établit ainsi une sorte de "logique du sensible", qui s'oppose par ce caractère sensible à la pensée scientifique, mais se rapproche de certaines formes d'activité dans nos sociétés, telles que l' art et le bricolage. La comparaison avec le bricolage, suggestive et neuve car elle porte sur un domaine méprisé et peu exploré, introduit la notion de structure opposée à celle d' événement  pour caractériser la pensée mythique: comme le bricolage, qui utilise des débris d' objets pour constituer de nouveaux ensembles, la pensée mythique, -cette bricoleuse, élabore des structures en agençant... des débris d' événements alors que la science en marche... crée sous forme d' événements ses moyens et ses résultats grâce aux structures qu'elle fabrique sans trêve et qui sont ses hypothèses et ses théories." Le rôle prépondérant de la structure, dans la pensée mythique comme dans les classifications totémiques et les systèmes matrimoniaux, correspond à la visée de la pensée sauvage, qui est de sauvegarder, contre l'événement et l' histoire, une organisation stable de la société, dont le système matrimonial rétablit l'équilibre malgré guerres et bouleversements démographiques, et une vision du monde qui, à travers la référence à la nature dans le totémisme, échappe à l'ordre de la succession pour abolir le temps dans l'ordre de la répétition. Enfin, le mythe, en situant hors de l'histoire l'événement qui la fonde, fait prévaloir au sein de l'histoire même la référence à la répétition, et la prééminence de la structure sur la succession, puisque tout événement de l' histoire peut être mis en correspondance avec l'un des termes du mythe, et que les mythes d'origine se caractérisent par la prépondérance de la structure sur le contenu, et, selon l'expression de Lévi-Strauss, "de la syntaxe sur la sémantique". Ainsi la pensée sauvage consiste "non pas à nier le devenir historique, mais à l'admettre comme une forme sans contenu". De nombreuses analyses, à la fois suggestives et rigoureuses, mettent en lumière la systématisation de cet effort classificatoire, systématisation si poussée qu'elle s'étend jusqu'à l'individu qui figure à titre d'espèce au sein de  la classification, à travers le système d'attribution des noms propres qui assignent à l'individu sa place dans le groupe social. Comme à propos de l' art et du bricolage, des parallèles sont faits avec certains usages de notre société: les noms propres des animaux sauvages et domestiques, des chevaux de course, des fleurs. Lévi-Strauss, à travers ces comparaisons, montre pourquoi les coutumes primitives nous fascinent: elles donnent un "sentiment contradictoire de présence et d'étrangeté car elles sont en réalité proches de nos usages dont elles nous présentent une image énigmatique qui demande à être décryptée". Le dernier chapitre, poursuivant la réflexion sur l'idée d' histoire et s'interrogeant sur la façon dont la société moderne pense son histoire, radicalement différente en cela de la pensée sauvage, met en cause l'ouvrage de Sartre, la "Critique de la raison dialectique". Sartre affirme le primat absolu de l' histoire, inséparable du mouvement par lequel le sujet, dans la pensée dialectique, vise une totalisation jamais achevée du monde et de lui-même. Lévi-Strauss oppose à l'idée de totalisation l'idée de système, système clos que s'efforce de réaliser la pensée sauvage, à travers ses classifications, ses mythes, son organisation matrimoniale. Ces systèmes ne  sont déchiffrables que par la pensée analytique. Lévy-Strauss affirme le primat de la pensée dialectique, mais il ne veut pas, au contraire de Sartre, l'opposer à la pensée analytique. Il voit dans la raison dialectique "la raison analytique en marche". Lévi-Strauss comme Sartre se veut matérialiste et marxiste, cependant il décèle dans le privilège que Sartre donne à la pensée totalisante du sujet un reste d' idéalisme, et veut revaloriser la pensée analytique à l'oeuvre dans les sciences de la nature et l'appliquer aux sciences de l'homme, dans l'espoir de parvenir, à travers la diversité des sociétés humaines, à des constantes structurales qui renvoient à des lois de la pensée, et finalement, derrière celles-ci, à des propriétés matérielles du cerveau. A travers quelques formules volontairement tranchantes, le matérialisme de Lévi-Strauss s'expose au reproche de s'éloigner du marxisme pour revenir au positivisme. Mais sa mise en question du primat de l'histoire est en même temps l'effort pour réintégrer l'homme au sein de la nature en étudiant, à travers la pensée sauvage, le fonctionnement de la pensée comme une chose du monde, qui, en élaborant des structures, qui donnent forme  à la praxis de l'homme, ne détermine pas un écart toujours croissant à travers l'histoire, entre la nature et l'homme, mais au contraire, à travers sa logique consistant en des combinaisons d'oppositions, renvoie aux découvertes les plus récentes de la science, qui, par la notion d' information, constitue dans les messages "des objets du monde physique, qui peuvent être saisis à la fois du dehors et du dedans". Ainsi le domaine de la pensée sauvage est privilégié, puisqu'il permet de saisir sur le vif le fonctionnement d'un code qui rend possible l'expression des correspondances entre la nature et l'homme au sein d'un système clos, alors que d'autre part la science moderne élabore la compréhension de la matière et de la vie, à travers les concepts de code, d' information, de message, d'abord réservés au domaine des communications interhumaines.

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Commentaires

  • TANT de questions si complexes et actuelles soulevées. La "mondialisation" serait donc une pensée sauvage constituant un système clos avec les marchandises totems!

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