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" La dernière utopie. Naissance de l'Europe démocratique" est un livre de Dominique Wolton paru en 1993 (Flammarion)

 

Si l' Europe est qualifiée de dernière utopie, c'est qu'il est difficile de faire adhérer les masses (340 millions d' Européens) au rêve de quelques intellectuels, et aux projets de quelques technocrates. Il est difficile, autrement dit, de passer d'une Europe technocratique à une Europe démocratique. Les réticences ou refus de certains pays, au traité de Maastricht, l'ont bien montré. Comment surmonter cette difficulté?

Le livre pense celle-ci suivant trois axes.

Sur le plan politique, il montre la pluralité des projets: Europe fédérale, confédérale, modèle communautaire, Europe des nations, Europe par les nations, Europe des régions. Y a-t-il une identité nationale européenne?

Sur le plan culturel, il n'est pas facile de définir "une" identité européenne.

Sur le plan de la communication, l'espace public (intermédiaire entre la société civile et l' Etat) reste national.

 

La dernière aventure?

 

Qualifier l' Europe de "dernière utopie", c'est dire qu'au temps du déclin des religions -voire, selon Gauchet, de leur fin-, du naufrage des eschatologies politiques, de l'affaiblissement des idéologies, de notre entrée collective dans "les basses eaux mythologiques" (Edgar Morin", elle est peut-être le seul projet politique susceptible de faire rêver les hommes. "La seule aventure politique d'envergure en cette fin de siècle", estime Dominique Wolton.

La question est alors la suivante: s'il fut possible à quelques intellectuels d'imaginer das "Eine Europa" (Nietzsche, 1885), l' Europe une, ou l' Université européenne (comme déjà dans son "Tractatus" de 1664, le roi de Bohème Jiri Podiebrad), et d'en réactiver le mirage de siècle en siècle (de Leibnitz à Rousseau, Romain Rolland, Stefan Zweig, Husserl, Raymond Aron, pour ne citer que certains noms illustres, il n'est pas facile d'y faire adhérer les peuples européens pour lesquels l' Europe n'est qu'entité abstraite. Utopie, si l'on veut, mais au sens négatif et péjoratif du terme: chimère, illusion, rêverie vague.

Ou, au contraire, réalité simplement économique, grand marché d' échanges, construit par 50000 fonctionnaires et hommes politiques, par-dessus la tête et les aspirations de 340 millions d'habitants.

Un grand marché prometteur certes, mais aussi inquiétant, en particulier pour certaines catégories menacées (paysans, pêcheurs). Un ensemble auquel l'effondrement du communisme soviétique, symbolisé par la destruction du Mur de Berlin, semble enlever tout caractère d'urgence et vider d'une partie sa signification politique (union des démocraties attachées aux Droits de l'homme face aux totalitarismes).

 

De l' Europe pensée à l' Europe vécue

 

La question posée par Dominique Wolton, est alors la suivante: comment passer de l' Europe économique -voire technocratique- à l' Europe démocratique? Comment faire pour que les 340 millions d'habitants n'acquièrent pas la citoyenneté européenne, parce que des textes négociés entre spécialistes le décrètent, mais se sentent effectivement citoyens de l'Europe? Ou encore: comment réussir le pari démocratique de l'Europe? Comment la démocratie, qui a toujours existé au sein d' Etats-nations, peut-elle naître au plan européen, dans un cadre beaucoup plus large, et surtout dans un contexte restant abstrait parce que ne résultant pas d'un vécu commun effectif?

Dominique Wolton, directeur de recherche au CNRS, directeur du laboratoire "Communication et politique" et de la revue "Hermès", s'est fait connaître par son "Eloge du grand public" (1990), qui prolongeait un livre plus ancien sur les médias, rédigé avec J.-L. Missika ("La folle du logis, la télévision dans les sociétés européennes", Galimard, 1983.

Ces deux ouvrages peuvent sembler éloignés de l'interrogation actuelle sur l' Europe. Mais, déjà, se posait un problème et étaient définis des concepts dont se servira la troisième partie de "La dernière Utopie". En effet, la question centrale (le passage d'une Europe économico-technocratique à une Europe démocratique) est divisée en quatre questions plus simples: celle des institutions, des idéologies, de la culture, de la communication (à quelles conditions -sur ces plans successivement envisagés- le passage souhaité est-il favorisé, ou, au contraire, entravé?)

 

Les institutions politiques

Maastricht

 

Le traité de Maastricht, signé le 7 février 1992, est une tentative pour remédier au "déficit démocratique" antérieur, pour engager l' Europe sur les voies de la démocratie. L' Acte unique, signé en 1985, prévoyait la réalisation du marché intérieur pour la fin 1992. Maastricht compensait ses visées trop strictement économiques. Ne faisait-on pas, d'ailleurs appel à l'adhésion populaire par le recours au suffrage universel? L' Europe devenait l'affaire de chacun.

Le contenu du même traité atteste cette visée politique, même si les clauses monétaires sont importantes (monnaie unique, politique monétaire commune): instauration d'une citoyenneté unique permettant la liberté de circulation, le vote et l' éligibilité dans le pays de résidence, le droit de pétition devant le Parlement européen; diminution des pouvoirs de la Commission de Bruxelles: le Conseil européen (les chefs d'Etat et de gouvernement) définit les orientations générales, et la Commission, organe permanent désigné par les gouvernements et confirmé par le Parlement, est chargée d'appliquer les décisions du Conseil; de plus, en vertu du "principe de subsidiarité", la Commission ne peut se saisir de ce qui peut être fait au niveau des Etats membres.

Or, l'accueil reçu par le Traité (le non danois, le presque non français, le oui mais britannique, etc.) servit de révélateur à ce qui constitue la thèse centrale du livre de Wolton: les opinions publiques sont restées chacune dans leur Etat-nation, le projet n'a aucune assise sociale et/ou populaire, parce que les citoyens n'ont aucune expérience (autre que touristique) de l' Europe.

Le fameux "déficit démocratique" tient à cette absence d'expérience effective (et affective).

On ne le comblera pas simplement en inventant d'autres institutions, ou en ouvrant des débats inédits. "L' Europe, c'est quoi? Quelque chose de lointain, d'abstrait et souvent de menaçant...".

Ce qui fait que:

"sans cadre concret de perception, la plus grande partie des citoyens appréhendent l' Europe au travers de ce qui peut constituer leur identité: la nation".

Ainsi s'explique le quiproquo du débat: conçu pour desserrer l'étau technocratique, le Traité fut au contraire perçu comme un renforcement de celui-ci. D'autant que si la volonté démocratique était claire, le projet politique restait flou, indéterminé, comme si l'on remettait toujours à plus tard le souci de le préciser (ce n'est pas encore le moment, ce n'est pas de cela qu'il s'agit, on verra bien).

Plusieurs modèles d'organisation s'affrontent en fait, mais à fleurets mouchetés:

-le modèle confédéral;

-le modèle fédéral;

-La Communauté;

-L' Europe des nations;

-L' Europe par les nations;

-L' Europe des régions.

 

Le modèle confédéral

 

Pour les juristes, une confédération est une association d' Etats indépendants qui ont, par traité, délégué certaines de leurs compétences (diplomatie, défense...) à des organes communs sans constituer cependant un nouvel Etat superposé aux Etats membres" (Serge Guinchard et Gabriel Montagnier, "Lexique des termes juridiques").

Les Etats s'associent mais conservent leur souveraineté. La confédération est, au fond, une alliance confortée. Les règles juridiques ne valent pas pour l'ordre interne des Etats.

François Mitterrand a évoqué l'idée d'une Confédération européenne. Pensait-il à une solution d'avenir, ou à un mode provisoire d'organisation permettant d'accueillir les pays d' Europe de l' Est? La Communauté européenne semble "un entre-deux indéfinissable", entre la confédération et la fédération.

 

Le modèle fédéral

 

Le "Robert" propose cette définition: "Se dit d'un Etat dans lequel les diverses compétences constitutionnelles sont partagées entre un gouvernement central et les collectivités locales qui forment cet Etat".

Trois principes valent, selon J. Gicquel: superposition du super-Etat aux Etats, autonomie des Etats associés dans certains domaines, participation par collaboration du Tout et des parties (cf. J. Gicquel, "Droit constitutionnel et Institutions politiques", Montchrétien, 1991). Système à géométrie variable, la fédération a son centre de gravité en celles-ci ou celui-là. Jean Monnet (1888-1979) en rêvait, comme, peut-être, tous les vrais européens.

 

La communauté

 

Certains se battent pour cette forme floue, cet ensemble "indécidable", peut-être parce qu'il reste ouvert à tous les avenirs possibles, et légitime les politiques les plus diverses: "C'est la Communauté des nations de la Grande Europe" (Alain Lamassoure, discours à l'Asemblée nationale, le 6 mai 1992).

Pour les fonctionnaires européens, la "méthode communautaire" est déjà à l'oeuvre. Son indétermination permet une Europe à plusieurs vitesses (la Grande-Bretagne, par exemple, est exempte de l' union monétaire).

 

L' Europe des nations

 

Défendue en France, par J.-P. Chevènement et Philippe Seguin: déléguer le moins possible à la Commission, refuser tout abandon de souveraineté dans les domaines essentiels (défense, monnaie, justice).

 

L' Europe par les nations

 

L' Europe est souvent un anti-européanisme qui ne s'avoue pas comme tel. L' Europe par les nations est une position différente défendue par Paul Thibaud dans un livre où il débat avec Jean-Marc Ferry ("Discussion sur l' Europe", Calmann-Lévy, 1992).

Paul Thibaud croit à une possibilité d'européanisation des nations, progressive, "appuyée sur la légitimité maintenue des nations" (op. cit. p. 88), seules susceptibles de fournir aux citoyens leur identité, mais "rendant possibles diverses modalités de participation à l'Europe" (ibid. p. 891).

 

L' Europe des régions

 

Il s'agit de:

"contrebalancer le pouvoir accru donné aux instances du haut (l'Europe) par une autonomie accrue des instances du bas (les régions), suite à la disparition progressive de l'instance du milieu (l' Etat-nation)".

Celui-ci est trop petit pour les grands problèmes, trop grand pour les petits problèmes. Le déficit démocratique de l' Europe serait comblé par le surplus démocratique de la région. La difficulté de l' Europe des régions vient de ce que toutes les nations ne sont pas également décentralisées, qu'il est "impossible de définir à l'échelle européenne ce que serait une région tant les expériences sont différentes".

 

L'identité culturelle

 

Une Europe?

 

Au flou des projets politiques, que les campagnes électorales ne contribuent pas toujours à éclaircir, s'ajoute la difficulté de définir une culture européenne. De nombreux "intellectuels" ont cru à l' Europe une, "das Eines Europa" (Nietzsche, 1885):

"Le chemin des philosophes conduit donc à l' Europe. Leibniz, Rousseau et Voltaire, Bentham auteur du "plan de pacification permanente pour toute l' Europe" en 1789, et Saint-Simon, le père du Parlement européen, Novalis et Nietzsche, Husserl, Ortega y Gasset et Benedetto Croce face aux fascismes" (Jacques Delors: préface à Jean-Pierre Faye, "L' Europe une, Les philosophes et l' Europe", Gallimard, 1992).

Mais, cette "route des philosophes", si d'illustres écrivains et penseurs s'y retrouvent, les peuples ne l'empruntent pas, ou ne la fréquentent qu'en touristes. La foi en l' identité culturelle européenne n'appartient pas à la culture de masse. Sur ce plan, le déficit démocratique n'est pas éloigné de la faillite ou du dépôt de bilan.

Où trouver, d'ailleurs, l'identité? A l'époque médiévale, l' Europe était la Chrétienté, et le pape Jean-Paul II voit encore dans les valeurs chrétiennes et humaines ce qui peut constituer son ciment.

Si l' identité est d'abord morale, certains en placent plutôt la source dans la croyance aux droits de l'homme et la valeur de la démocratie. Même l'unité géographique fait problème: où finit, où commence cette petite péninsule de l'Asie?

La communauté de destin que certains invoquent est, d'abord, celle de guerres incessantes entre nations rivales. L' Europe réalise-t-elle vraiment la synthèse, rêvée par Paul Valéry, de ses trois origines (la philosophie et les mathématiques grecques, le droit romain, le christianisme)?

Ne devons-nous pas plutôt, reconnaître, comme Edgar Morin, que cette difficulté de penser l' Europe, c'est d'abord "la difficulté de penser l'un dans le multiple, le multiple dans l'un", ou "l'identité dans la non-identité", autrement dit la complexité? (E. Morin, "Penser l' Europe", Gallimard, 1987).

Pour l'historien hongrois Jeno Szucs, il vaut mieux renoncer à l'idée d'une Europe unique, car il y a, en fait, trois Europes: L' Occident, l' Europe de l' Est, et, coincée entre ces deux espaces, l' Europe du Centre-Est, comprenant notamment la Hongrie, la Pologne et la Bohême. (Jeno Szucs, "Les trois Europes", 1985).

A moins de ne trouver l'unité que dans la différence avec l'autre: l' Occident est l'autre de l' Orient, la chrétienté fut l'autre du monde musulman, la chrétienté latine fut l'autre de la chrétienté byzantine (avant de se diviser elle-même en catholicisme et protestantisme).

Mais, alors, le risque est de considérer qu'il y a des degrés dans l' "européanité":

"On est plus ou moins européen. Ainsi, si le monde protestant me semble tout aussi européen que le monde catholique, l'appartenance à l'Europe du monde oriental, de tradition grecque et orthodoxe, me semble moins nette..." (Bretten, "Identité européenne, une et multiple", in Lenoble J., Dewandre N., l'Europe au soir du siècle". Esprit-le Seuil, 1992.)

Comment la foi européenne serait-elle partagée par l'ensemble des citoyens? Comment ceux-ci y trouveraient-ils leur identité, une identité qui se révèle, comme on vient de le voir, si difficile à définir?

Les pères de l' Europe sont tombés à ce propos dans "l'illusion moderniste": tout ce qui est moderne étant synonyme de progrès et de changement, il suffirait de construire des structures économiques européennes, celles-ci favoriseraient la croissance, provoqueraient alors des transformations sociales, entraîneraient une réorganisation des institutions politiques, favoriseraient finalement une prise de conscience européenne, voire une "religion" de l' Europe facteur de Progrès.

Or les masses n'ont pas suivi, attachées à leur identité nationale, la nation seule nourrissant l' eurocratie comme hostile ou du moins étrangère à la Nation. Ce dont profitait l' extrême-droite qui s'auto-proclamait propriétaire des valeurs traditionnelles prétendument délaissées.

Wolton propose de mette fin à cette dérive, ce cesser d'opposer identité européenne et identité nationale:

"Plus d'espace politique européen s'élargit en nombre de pays, plus il est nécessaire de valoriser les identités de départ. Toujours selon le principe élémentaire selon lequel il ne peut y avoir de nouvelles identités sans intégration des précédentes".

Mais comment réaliser ce nécessaire dépassement, sans en faire comprendre la nécessité? Sans le communiquer, autrement dit, afin que se réalise une Europe enfin démocratique, avec l'accord de tous?

 

La communication

 

La communication est d'autant plus éloignée du véritable dialogue démocratique qu'elle se fait dans un contexte social qui ne favorise pas, c'est le moins qu'on puisse dire, un tel dialogue: celui de la "démocratie de masse", ou de la "société individualiste de masse", de la "foule solitaire", pour employer l'expression de David Riesman. Celui-ci met au jour une contradiction centrale: promotion de l'individu d'un côté, triomphe du nombre et de la massification (et donc de l'anéantissement des individualités) de l'autre.

"Pour le dire d'un mot, le citoyen d'aujourd'hui est un géant en matière d'information et de consommation, et un nain en matière d'action. Il peut tout savoir et tout consommer, mais il ne peut agir sur la réalité, trop compliquée, trop organisée. Il est trop éloigné des lieux de décision".

Or l' Europe ne résout pas les contradictions de la "démocratie de masse". Elle les aggrave au contraire, puisqu'elle est distance croissante entre l' individu et les centres du pouvoir, bureaucratisation et réglementation à la fois plus importantes et plus difficiles à bien comprendre, élargissement de l'ensemble collectif au détriment de cet ensemble.

Ces difficultés ou contradictions aident à comprendre les problèmes de la communication, dont elles constituent le contexte social.

 

Les limites de la télévision

 

Poursuivant des analyses qu'il avait commencé d'entreprendre dans son "Eloge du grand public" (Flammarion, 1980), Dominique Wolton explique qu' "information et communication ne sont pas forcément des alliées de l' Europe démocratique à construire", le moyen de renforcer l'adhésion. Beaucoup y ont cru: la communication fait reculer les préjugés.

Si elle aida la démocratie dans les différents Etats-Nations, elle devrait pouvoir rendre le même service au niveau de l' Europe. Et, s'appuyant sur ce raisonnement, on souhaite que le médium le plus largement utilisé (la télévision) vienne en aide à la démocratie européenne défaillante.

Un tel espoir rencontre de nombreuses objections. D'abord, si la télévision standardise, homogénéise, "massifie" les individus au niveau national, elle devrait jouer un rôle similaire -et peu souhaitable-, dans le cadre européen plus vaste.

Ensuite, si la télévision peut favoriser la technocratie, l'économie, elle n'est pas apte à entraîner l'adhésion de tous. Au contraire, au lieu d'accélérer le consentement, elle peut provoquer un sentiment de rejet, une réaction à la menace constituée par un surcroît de communication. Il ne suffit pas de posséder les outils de communication pour espérer entraîner l'adhésion: ils peuvent être en avance sur les attentes de celui qui reçoit la communication, et, ainsi, tourner à vide.

Le débat sur Maastricht a apporté sur ce plan plusieurs leçons:

1. Les récepteurs n'avaient pas l'expérience de bien recevoir l' information. "Plus il y avait de communication, moins celle-ci avait d'impact". Le rôle des récepteurs est capital: ou bien ils ne peuvent pas recevoir le message (le cadre d'interprétation manque), ou bien ils ne veulent pas, par choix idéologique.

2. Il est faux de croire que les médias ont une influence incontournable sur l' opinion publique: "sinon cette influence aurait joué ici en faveur de Maastricht", puisque de printemps 1992 à fin juin 1992, les médias épousaient la thèse du oui.

De ce point de vue, ce serait une erreur de croire qu'il suffirait d'une chaîne européenne pour accélérer l'unification européenne.

3. Pour que le débat sur l' Europe soit lui-même immédiatement européen, il faudrait un espace public qui ne soit pas lui-même national. Or il n'y a pas actuellement d'espace public européen: l' identité et la communication restent nationales.

L'espace public s'est constitué, selon Jürgen Habermas, au XVIIIe siècle, comme une sphère intermédiaire entre la société civile et l' Etat. Il peut être défini comme le lieu, accessible à tous les citoyens, où ceux-ci peuvent se concerter, se confronter. Dans les petites cités grecques, il était localisé dans l'espace collectif: l' "agora". Dans les immenses nations modernes, la sphère des débats collectifs ne se tient plus en un endroit déterminé.

 

L' Europe des coeurs

 

Le livre de Dominique Wolton recense donc les difficultés de passer d'une Europe encore technocratique à une Europe vraiment démocratique, voulue par tous, et non quelques-uns: une poignée d'illustres penseurs, et quelques milliers de technocrates. Les difficultés sont politiques (le flou des projets institutionnels), culturelles (les ambiguïtés de l' identité européenne, et de sa prise de conscience), "communicationnelles" (les limites et cloisonnements nationaux des espaces publics).

Si certains n'y voient qu'un marché enfin à la mesure de l'immense marché mondial, voire un simple rafistolage du capitalisme, d'autres lui reprochent d'aller trop loin, de sous-estimer l'importance des Etats-Nations, d'autres au contraire de ne pas aller assez loin, de n'être qu'un nationalisme élargi, étranger à la conscience planétaire de la "Terre-patrie".

Double reproche contradictoire qui rend compte de deux mouvements inverses mais complémentaires: l'un "qui nous fait dépasser la nation, l'autre qui nous réduit à la province" (Edgar Morin, op. cit., p. 199). La province d'une communauté humaine universelle, assumant son destin planétaire.

De même qu'il n'y a pas de conflit entre l' identité nationale d'un Européen et son identité européenne, il ne saurait y en avoir entre celle-ci et son identité humaine, puisque l'Europe est le laboratoire où elle se forme:

"L' identité européenne et l' identité planétaire sont l'une et l'autre sous-développées, mais elles ne sont nullement contraires l'une à l'autre, elles se lient justement dans la conscience qui lie l'idée de Méta-Nation et celle de Province Europe" (Edgar Morin, ibid., p. 200).

Encore faut-il, pour que l'Europe soit vraiment démocratique, que cette conscience soit celle de la majorité des 340 millions de citoyens.

 

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