"Le temps du mépris" est un roman de l'écrivain français André Malraux (1901-1976), publié en 1936. Ce livre n'est pas à proprement parler un roman. Il ne compte qu'un seul personnage, l'écrivain communiste allemand Kassner, recherché par les nazis. Il est arrêté, mais on ne parvient pas à faire la preuve de son identité. Il est interné dans un camp de concentration pendant neuf jours, puis il est libéré parce que "Kassner a avoué". Un autre prisonnier a avoué en effet, être Kassner. Pourquoi? Pour garder au Parti sans doute un homme plus important. Aussitôt libéré, Kassner part clandestinement en avion pour Prague où il retrouve sa femme et son fils. En quittant l'Allemagne, l'avion qui emmène Kassner est pris dans un orage. L'orage dure tout au long du voyage. Soudain, le pilote plonge, sort des nuages: "A l'horizon, les lumières de Prague". La liberté. La vie. La dignité. Ce livre prend parfaitement place dans la suite des livres de Malraux, il se rapporte au temps où la dignité de l'homme est foulée aux pieds, où la condition humaine est devenue une condition animale. Il revendique le droit de vivre pour la personne humaine. Il réalise les conditions requises pour exprimer à l'état pur la tragédie: l'homme y est seul, complètement seul devant son destin. Cependant, "Le temps du mépris" ne parvient pas à être ce qu'il aurait pu être et reste certainement l'un des livres les plus faibles de Malraux. Il vaut malgré tout pour une admirable préface. Et aussi par son titre. Nous avons pu vérifier, de 1940 à 1944, dans quel mépris était tenue la personnalité humaine pour les nazis. Le grand mérite de Malraux, c'est d'avoir prophétiquement saisi son temps et compris le grand danger qui toujours aujourd'hui menace notre civilisation: la tendance qui fait que les droits sacrés de la personne ne comptent plus guère et l' humiliation systématique de certaines catégories de citoyens qui ne pensent pas comme le reste du troupeau.
La Préface:
Les articles consacrés à cette nouvelle, lors de sa publication en revue, me font souhaiter indiquer ici, très rapidement, quelques idées que je me réserve de développer ailleurs. Que ceux qui croient ma documentation trop rapide se rapportent aux règlements officiels des camps de concentration. Je ne définis pas le parti national-socialiste allemand par les camps ce que nous savons des bagnes français n'est pas très encourageant mais c'est des camps de concentration qu'il s'agit ici. Le monde d'une œuvre comme celle-ci, le monde de la tragédie, est toujours le monde antique l'homme, la foule, les éléments, la femme, le destin. Il se réduit à deux personnages, le héros et son sens de la vie les antagonismes individuels, qui permettent au roman sa complexité, n'y figurent pas. Si j'avais dû donner à des nazis l'importance que je donne à Kassner, je l'aurais fait évidemment en fonction de leur passion réelle, le nationalisme. L'exemple illustre de Flaubert prête plus que tout autre à confusion Flaubert (pour qui la valeur de l'art était la plus haute, et qui, en fait, mettait l'artiste au-dessus du saint et du héros) ne créant que des personnages étrangers à sa passion, pouvait aller jusqu'à écrire «Je les roulerai tous dans la même boue étant juste. » Une telle pensée eût été inconcevable pour Eschyle comme pour Corneille, pour Hugo comme pour Chateaubriand, et même pour Dostoïevski. Elle eût été elle est acceptée par maints auteurs qu'il serait vain de leur opposer il s'agit ici de deux notions essentielles de l'art. Nietzsche tenait Wagner pour histrion dans la mesure où celui-ci mettait son génie au service de ses personnages. Mais on peut aimer que le sens du mot « art » soit tenter de donner conscience à des hommes de la grandeur qu'ils ignorent en eux. Ce n'est pas la passion qui détruit l'œuvre d'art, c'est la volonté de prouver la valeur d'une œuvre n'est fonction ni de la passion ni du détachement qui l'animent, mais de l'accord entre ce qu'elle exprime et les moyens qu'elle emploie. Pourtant, si cette valeur et la raison d'être de l'oeuvre, et sa durée tout au moins provisoire sont dans sa qualité, son action, que l'auteur le veuille ou non, s'exerce par un déplacement des valeurs de la sensibilité et sans doute l'oeuvre ne naîtrait-elle pas sans une sourde nécessité de déplacer ces valeurs. Or l'histoire de la sensibilité artistique en France depuis cinquante ans pourrait être appelée l'agonie de la fraternité virile. Son ennemi réel est un individualisme informulé, épars à travers le xIxe siècle, et né bien moins de la volonté de créer l'homme complet, que du fanatisme de la différence. Individualisme d'artistes, préoccupé surtout de sauvegarder le « monde intérieur », et fondé seulement lorsqu'il s'applique au domaine du sentiment ou du rêve car, concrètement, « les grands fauves de la Renaissance » furent toujours contraints pour agir de se transformer en ânes porteurs de reliques et la figure de César Borgia perd son éclat si l'on songe que le plus clair de son efficacité venait du prestige de l'Église. Le mépris des hommes est fréquent chez les politiques, mais confidentiel. Ce n'est pas seulement à l'époque de Stendhal que la société réelle contraint l'individualiste pur à l'hypocrisie dès qu'il veut agir. L'individu s'oppose à la collectivité, mais il s'en nourrit. Et l'important est bien moins de savoir à quoi il s'oppose que ce dont il se nourrit. Comme le génie, l'individu vaut par ce qu'il renferme. Pour nous en tenir au passé, la personne chrétienne existait autant que l'individu moderne, et une âme vaut bien une différence. Toute vie psychologique est un échange, et le problème fondamental de la personne concrète, c'est de savoir de quoi elle entend se nourrir. Aux yeux de Kassner comme de nombre d'intellectuels communistes, le communisme restitue à l'individu sa fertilité. Romain de l'Empire, chrétien, soldat de l'armée du Rhin, ouvrier soviétique, l'homme est lié à la collectivité qui l'entoure; Alexandrin, écrivain du XVIIIe siècle, il en est séparé. S'il l'est sans être lié à celle qui la suivra, son expression essentielle ne peut être héroïque. Il est d'autres attitudes humaines. Il est difficile d'être un homme. Mais pas plus de le devenir en approfondissant sa communion qu'en cultivant sa différence et la première nourrit avec autant de force au moins que la seconde ce par quoi l'homme est homme, ce par quoi il se dépasse, crée, invente ou se conçoit.
Commentaires
Comme je suis un lecteur de Giono et que j'ai particulièrement apprécié le billet sur lui dans ce site, je rapproche ce questionnement à la vie de Giono. Un homme avec de fortes convictions politiques, avec un engagement collectif (le Contadour...), des prises de position publique forte et puis un repli "individualiste", une période "stendhalienne" lui aussi. Résignation, renoncement, je ne crois pas, lui parle de lutte à une hauteur humaine. Nous serions entre l'engagement collectif porteur de démesure et le repli individualiste; Le sentiment d'appartenance (communion) à un groupe était pour moi la seule voie qui se présentait: j'étais du sud (contre les parisiens!) j'étais joueur de rugby (contre les footeux!) j'étais de famille stalinienne (grand père, mère) contre le reste du monde! et je constate que mon fils s'est construit sans aucun besoin de groupisme, au contraire. Et au bout il n'est pas si différent de moi quant à son rapport au monde!