C'est l'oeuvre essentielle du grand humaniste Etienne Pasquier (1528 ou 1529-1615) qu'il mit vingt-cinq ans à composer. Le premier livre des "Recherches" parut en 1560, le second en 1565, les autres livres s'échelonnèrent de cette date à la mort de Pasquier, mais ce ne fut qu'en 1621 qu'on donna les 90 derniers chapitres.
Dès la parution des premiers livres, les "Recherches" connurent un extraordinaire succès. Les contemporains virent en Pasquier le premier historien des institutions françaises, et cette vue a été confirmée par la postérité, malgré les réserves d'Augustin Thierry. Avant de commencer son grand travail, Pasquier avait publié plusieurs petits écrits dans le goût des dissertations galantes de l'époque: "Le monophile" (1554), qui annonce "L'Astrée", les "Colloques d'amour", les "Lettres amoureuses" et les "Ordonnances d'amour". Une place à part doit être faite à l' "Exhortation aux princes", petit écrit politique, où, au nom de la tradition française, Pasquier condamne le calvinisme. Pour lui, la liberté de conscience est un grand mal dans un pays, mais on ne le guérira ni par les armes, ni par la terreur, il faut donc se montrer tolérant, l'accepter comme un fait accompli et se borner à juguler les crimes de l'un comme de l'autre parti. Pasquier apparaît donc ici comme un esprit modéré, préoccupé avant tout du salut de la France et de la sauvegarde des individus. C'est aussi une oeuvre patriotique que les "Recherches". Jusqu'alors, les érudits s'étaient peu à peu exclusivement intéressés aux Latins et aux Grecs. Il était temps qu'on entreprenne l'histoire de France. Tel est le but que se propose Pasquier et qu'il expose dans la dédicace du premier Livre, au Cardinal de Lorraine, ami et protecteur des Sciences et des Lettres. Pasquier y exprime l'espoir de receuillir pour son oeuvre, non la gloire, mais le suffrage des honnêtes gens, qui lui seraient reconnaissants de "revancher la France contre l'injure des ans".
C'est jusqu'aux Gaulois qu'il remonte dans ses recherches sur les origines des institutions et de l'esprit français. Tout d'abord, il réhabilite nos ancêtres des accusations de légèreté portées contre eux par les historiens latins. L'inconstance des Gaulois cachait leur volonté permanente de se débarrasser de l'emprise romaine. Pasquier essaie de pénétrer dans les taillis enchevêtrés de l'histoire primitive de la France; l'insuffisance des matériaux dont on pouvait disposer de son temps l'empêche d'aller bien loin dans ce sens. Il n'en est pas de même avec le sujet du second Livre: les origines des lois et institutions sous la monarchie du XVIe siècle. Là, Pasquier dispose de sources sûres et abondantes et il fait merveille. Ses études sur la décadence de la "Chambre des Comptes", ou l'histoire du "Grand Conseil" sont des modèles du genre. Toutefois la partie la plus digne d'intérêt de ce livre est l'étude suivie qu'il nous donne des progrès de l'autorité royale, depuis Hugues Capet jusqu'à Henri III. Enfin, -et c'est là une heureuse innovation- le livre se termine sur l'examen des rapports politiques des différents pays d'Europe avec la France. Le troisième Livre est tout entier consacré à un problème brûlant à l'époque, celui des affaires ecclésiastiques et plus particulièrement des rapports de la France avec la Curie romaine. Fidèle respectueux et attaché à Rome, Pasquier ne tolère cependant aucune intrusion du pouvoir spirituel dans les affaires intérieures de la France; il exige qu'on rompe avec les préjugés, les superstitions, et demande au clergé de s'imposer non par de prétendus miracles et par l'exploitation de la crédulité populaire, mais par ses moeurs et par sa vertu. Le quatrième Livre est un des plus divertisssants. Pasquier, au gré de son caprice, aborde l'histoire des vieilles coutumes et passe des ordonnances de Charlemagne et des ordalies, à la célébration de la fête des rois de France, et au jeu d'échec. Ce livre contient également une analyse critique des fonctions publiques, à propos desquelles Pasquier condamne la vénalité des charges (avocat, il avait fait repousser devant le Parlement l'édit instituant la vénalité). Le cinquième Livre est purement historique: on y trouve la relation des rivalités entre Frédégonde et Brunehaut, aux temps mérovingiens. C'est déjà un modèle de méthode historique critique. Le sixième Livre est consacré à l'histoire des pays étrangers envisagés dans leurs rapports avec le nôtre. Mais Pasquier mêle à ses recherches historiques, toutes sortes de digressions, qui constituent peut-être la part la plus intéressante de l'oeuvre. Ici, ce sont des aperçus fort originaux sur la littérature française et en particulier sur la poésie. Il y étudie l'origine de la rime, l'histoire des formes des vers, l' étymologie, les proverbes. Si son érudition paraît au XXe siècle assez peu rigoureuse, il n'en garde pas moins le mérite de la nouveauté et de la subtilité. Ses commentaires continuent aux Livres septième et huitième. A propos de "La farce de maître Pathelin", Pasquier définit les caractères de la bonne comédie; cette bonne comédie, c'est la comédie de moeurs et de caractère dont il laisse pressentir qu'elle prendra peu à peu la place des "Moralités" et des "Soties". Il faut particulièrement signaler au Livre sixième, le chapitre: "De la grande flotte de poètes que produisit le règne du roi Henri deuxième, et de la nouvelle forme de poésie par eux introduite", qui est une exposition pleine d'enthousiasme de la renaissance des Lettres en France et spécialement des travaux de la Pléiade. Après la "belle guerre que l'on entreprit lors contre l'ignorance", parurent Ronsard et Du Bellay, puis tous ceux qui, "sous leurs enseignes, se firent enrôler"; "vous eussiez dit que ce temps là était du tout consacré aux muses". Au Livre septième, Pasquier, à propos de l'Eloge de Ronsard, reprend son hymne à la gloire des Lettres françaises. Ronsard, dit-il, "en quelque espèce de poésie où il ait appliqué son esprit, en imitant les anciens, il les a ou surmontés, ou pour le moins égalés: car, quant à tous les poètes qui ont écrit en leurs vulgaires (c'est-à-dire en langue vulgaire par opposition au latin), il n'a point son pareil". Enfin le neuvième et dernier Livre est consacré aux Universités françaises, et particulièrement à l' Université de Paris. Pasquier en rapporte la création, en étudie le fonctionnement, les droits et privilèges.
Ce qui frappe le plus, lorsqu'on lit les "Recherches", c'est la probité, le sérieux, la conscience de Pasquier. Non seulement, il a réuni ici une documentation extrêmement importante pour l'époque, mais il a poli et repoli son oeuvre. L'absence de plan rigoureux donne à son oeuvre par la diversité des sujets et des tons, un charme de plus. Le style des "Recherches" est d'une grande variété, il est alerte et coloré, mais cette verve, cet entrain n'empêchent pas l'émotion de percer quand Pasquier, par exemple, en vient aux atrocités des guerres de religions ou aux fautes des derniers Valois. S'il n'est pas exempt du mauvais goût de l'époque, voire d'emphase et de brutalité, il est, pour le temps, le véritable modèle d'un style grave sans artifice, naturel sans négligences, d'une saine et verte solidité.
Commentaires