Etes vous heureux d’avoir votre âge, ou préfèreriez vous en avoir un autre? Mais préférer un autre âge que le sien, n’est-ce pas déjà s’avouer malheureux? L’idéal, pour être heureux, serait sans doute de cesser de désirer avoir un autre âge que le sien. Mais comment être heureux de son âge ? Comment éviter que les plus jeunes ne pensent avec impatience à l’âge qui leur permettra enfin tel ou tel plaisir, que les plus vieux ne regrettent celui qui les leur permettait, et que les médians ne cumulent les impatiences et les regrets ?
Il suffirait pourtant d’une question pour nous libérer une bonne fois de tous ces malheurs : « Si quelque dieu vous le proposait, quel âge choisiriez-vous d’avoir toute votre vie durant ? ». On se convaincra vite qu’il n’est aucun âge dont les plaisirs soient tels que nous puissions renoncer allègrement à tous les plaisirs des autres. Qui choisira d’être à jamais un enfant ? Qui voudra d’une maturité, immédiate et définitive, où l’on stationnerait, sans avoir vécu de jeunesse, ni devoir vivre de vieillesse ? Beaucoup sans doute éliraient la jeunesse éternelle, mais que vaudrait un état sans souvenir ni avenir ?
L’idéal semble donc de parcourir tous les âges, ce qui est précisément notre condition. On voit bien que tout âge est celui d’être heureux.
de Jean Paul Galibert
Commentaires
..."l’ignominie et de la douleur que l’époque lui inflige".
Cher Robert Paul, comme cela est vrai et terrible. Mais il faut espérer, et on l'espère pour elle - ce seront nos Vœux pour 2012 -, que cette jeunesse soit à la hauteur (de ses idéaux) pour redonner sens à ce monde.
AUJOURD’HUI LA VIE ...
Aujourd’hui la vie me plaît beaucoup moins,
mais j’aime toujours vivre : je n’ai pas changé.
J’ai presqu’atteint la partie de mon tout et me suis retenu
en me tirant une balle dans la langue derrière ma parole.
Aujourd’hui je tâte mon menton en fuite
et dans ces pantalons éphémères je me dis :
Tant de vie et jamais !
Tant d’années et toujours mes semaines !...
Mes parents enterrés sous leur dalle
et leur triste raidissement qui n’en finit pas ;
des frères, mes frères et leur portrait en pied,
et moi-même, enfin, debout et en gilet.
La vie me plaît énormément,
mais bien sûr,
en chérissant aussi ma mort et mon café,
en contemplant les marronniers de Paris et leur épais feuillage,
et en disant :
Là, je vois un œil ; et là, c’en est un autre ; ici, un front, ici, un autre…
Et en répétant :
Tant de vie et jamais ne me manque l’air de la chanson !
Tant d’années et toujours, toujours, toujours.
J’ai dit gilet, j’ai dit
tout, partie, angoisse, j’ai dit presque, pour ne pas pleurer.
Car c’est vrai, j’ai souffert dans cet hôpital, tout près d’ici,
et c’est bien et c’est mal d’avoir examiné
de bas en haut mon organisme.
J’aimerai toujours vivre, même à plat ventre,
parce que, comme je le disais et le répète,
tant de vie et jamais ! Et tant d’années,
et toujours énormément, toujours, toujours, toujours !
1931-1932
César Vallejo
Poèmes humains & Espagne, écarte de moi ce calice, traduit de l’espagnol par François Maspero, préface de Jorge Semprun, édition bilingue, Le Seuil, 2011, pp. 128 et 129
Toute jeunesse se sent promise. La question est d’espérer qu’elle sera au niveau de l’ignominie et de la douleur que l’époque lui inflige
"Tout âge porte ses fruits, il faut savoir les cueillir" - Raymond Radiguet
A tout âge, nous avons rendez-vous avec la vie