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l'ascenseur

                                                                                                                                

 

 

Julie était mariée depuis vingt ans, elle en avait quarante-cinq, et éprouvait pour son mari un amour qu’elle qualifiait de profond.  Ils vieilliraient ensemble, disait-elle,  parce-qu’elle n’imaginait pas qu’elle pût vivre avec quelqu’un d’autre.

C’était un homme affectueux, riant, qui aimait la vie et la bonne chère, et ce qu’elle appréciait plus encore, c’est qu’il était un amant qui excitait ses sens et qui lui avait appris à aimer son corps, c’est important, disait-elle, et elle avait appris auprès de lui à donner du plaisir et à en recevoir davantage à mesure qu’elle en donnait.

Tu n’es pas jolie, disait son mari, tu es belle. Julie avait conservé de son adolescence des traits que n’entamait aucune ride, des joues lisses et des lèvres pleines qu’elle soulignait soigneusement de son rouge à lèvres. Le corps à peine épaissi aux hanches, elle n’en était que plus désirable. Elle était heureuse de son corps.

Mais un jour quelque chose avait changé. Ils s’étaient rendus chez un couple dont ils avaient fait la connaissance durant les vacances et qui les avait invités pour le week-end. Les amitiés de vacances se dénouent généralement avec la fin des vacances, si bien qu’ils avaient été surpris quand les Peraux leur avaient téléphoné pour leur dire qu’ils avaient conservé de leur rencontre un souvenir si plaisant qu’ils souhaitaient les revoir.

Georges Peraux était un homme d’affaires prospère avec lequel, durant leurs vacances, ils avaient passé la plupart de leurs soirées. Sa femme était charmante et enjouée. Julie et elle s’étaient raconté un tas de choses, même des choses intimes qu’on ne raconte d’habitude qu’à des amies de longue date.

C’était des gens chaleureux. Ils étaient à peine arrivés que Georges avait entouré les épaules du mari de Julie pour faire, comme il disait, le tour du propriétaire et lui montrer sa cave. Pendant ce temps, dit-il,  Sylviane montrerait leur chambre à Julie, cela leur permettrait de se faire jolies, et eux, les hommes, choisiraient les vins qui accompagneraient leur repas. Un repas de retrouvailles.

A la fin du repas, Julie avait voulu se rafraîchir. Sylviane et le mari de Julie parlaient cuisine, et le mari de Julie avait à ce sujet une compétence de gourmet qui surprenait toujours la femme de ses hôtes. Georges dit qu’il allait la conduire à la salle de bains, il était inutile que Sylviane se dérange, après tout lui aussi savait où elle se trouvait.

Il entra dans la salle de bains avec Julie, prit une serviette de bain pour la lui donner mais la conserva dans la main.

Tu sais que tu es jolie, dit-il en s’approchant d’elle. Je l’avais déjà remarqué au bord de la piscine, et j’avoue que je te regardais souvent. Je le dis comme je le pense, j’enviais ton mari. Oui, dit Julie en souriant, mais c’est mon mari.

Georges s’était approché d’elle, il avait voulu l’embrasser sur la bouche, elle avait détourné la tête et elle avait mis la main sur sa poitrine pour le repousser. Il avait cherché son cou et il avait retiré la main de Julie de sa poitrine pour la poser sur son sexe tendu. Julie ne voulait pas créer un scandale, elle n’était plus une enfant, mais elle ne savait pas ce qui aurait pu arriver si on n’avait pas frappé à la porte. C’était Sylviane, et Georges, le visage en feu, avait dit qu’il cherchait une serviette propre pour Julie, et il était sorti en riant.

Cette nuit-là, Julie n’avait pas voulu que son mari l’approche, elle avait la migraine, avait-elle dit, c’était peut-être le vin, elle pensait qu’il valait mieux qu’ils rentrent chez eux, peut-être qu’elle avait un début de grippe.

A peine rentrés chez eux, Julie avait entraîné son mari dans la salle de bains, et elle lui avait fait l’amour comme l’aurait fait une putain, avait-elle pensé. Mais, et ça lui était venu à l’esprit comme à peine l’ombre d’une pensée, que, peut-être, c’était à Georges aussi qu’elle avait songé.

Julie n’avait jamais trompé son mari. C’est vrai qu’il lui arrivait d’être troublée  lorsque en dansant son cavalier la serrait de trop près, sa poitrine était particulièrement sensible, mais elle s’écartait sans aigreur. N’était-ce pas un hommage à sa beauté et à cette attraction qu’elle exerçait sur les hommes ?

Elle avait d’ailleurs le sentiment que son mari en était fier, et elle était heureuse qu’il le soit. Ce qu’elle lui réservait, pensait Julie, le don de son corps, plus encore que son corps, n’en avait que plus de valeur. Parfois, elle était tentée de le lui dire pour pimenter ces jeux où ils trouvaient leur plaisir tous les deux.

Julie et son mari formaient un couple heureux. Leur vie, Julie pensait parfois qu’elle était trop routinière. Adolescente elle avait rêvé de rencontres inédites, d’actions qui la porteraient à prendre des risques dont elle ignorait la nature mais dont son entourage serait surpris.  Mais leur vie se déroulait selon un schéma bien réglé. Trop bien?  Sereinement, pensait-elle. Que peut-on souhaiter de plus de la vie ?

Autre chose avait changé encore après un voyage qu’ils avaient fait en amoureux pour fêter l’anniversaire de leur première rencontre.

Au retour, ils s’étaient arrêtés dans une auberge de campagne pour y passer la nuit. Ils avaient fait l’amour pendant longtemps. Puis, elle avait eu envie de descendre dans le hall pour demander elle ne savait plus quoi, et son mari était resté allongé sur le lit. La chambre se trouvait au troisième étage, elle avait pris l’ascenseur vêtue d’un manteau qu’elle avait enfilé sur son pyjama.

Un homme se trouvait dans l’ascenseur. Le col de sa chemise ouvert, les cheveux dépeignés; manifestement il sortait de son lit. Ils se regardèrent un moment puis, gênés, ils détournèrent la tête. Mais Julie sentait sur eux, et il devait le sentir lui aussi, cette odeur épicée qu’ont les couples après avoir fait l’amour.

C’était une sensation curieuse et excitante. Il venait de faire l’amour, elle en était certaine, et c’était comme s’ils avaient fait l’amour ensemble. Et elle imaginait que sa compagne l’attendait dans leur chambre comme l’attendait son mari dans la sienne.

L’ascenseur s’était arrêté, l’homme était sorti mais Julie avait changé d’avis. Elle remonta dans la chambre. Son mari était toujours étendu sur les draps rabattus. Elle se coucha auprès de lui, elle posa la main sur sa jambe et, tout en le caressant, elle lui raconta sa rencontre de l’ascenseur. Ils avaient ri de cette coïncidence et de la jouissance singulière qu’elle leur procurait.

Depuis, est-ce qu’on sait pourquoi et comment ces idées-là vous viennent, comme si une main vous saisissait le bas du ventre, elle s’était mise à penser à des gestes que des inconnus pourraient avoir envers elle dans un ascenseur ou ailleurs. Et à ce qu’elle ferait s’ils le faisaient en réalité, et non pas dans ce jardin obscur de l’imagination.

Par exemple, ça pourrait arriver, si elle se trouvait dans une voiture avec un conducteur de rencontre. Au début, ils se tairaient tous les deux, puis parce-que ce silence serait devenu de plus en plus lourd, une sorte de tension indéfinissable se serait emparée d’eux et, tout en roulant et sans la regarder, son conducteur lui aurait entouré le cou, l’aurait obligée à baisser la tête jusqu’à son sexe, et aurait exigé d’elle qu’elle le mette à nu. Devait-elle se débattre ? N’était-ce pas une question de vie ou de mort ?

Ou bien encore, elle se trouvait dans une salle de conférence avec quelqu’un qui était son patron, un patron autoritaire. Elle n’avait jamais eu de patron mais c’était imaginable, non ? Ils avaient beaucoup travaillé et tard, tous les autres employés étaient partis. Le dos appuyé à la table de conférence, elle le regardait. Il s’était approché d’elle, il avait saisi ses hanches et, sans dire un mot, il avait soulevé sa jupe. Naturellement, elle n’aurait pas encore été mariée, et finalement ce n’était qu’un fantasme comme en ont la plupart des femmes

Julie avait rencontré Michel par hasard Elle se trouvait dans le bar d’un hôtel pour prendre un café avant de rentrer chez elle.

Michel était un homme d’une cinquantaine d’années, pas particulièrement séduisant et d’allure maladroite. Elle ne l’aurait pas remarqué d’ailleurs sans cette allure maladroite avec laquelle il cherchait une table où s’asseoir. Le bar était plein et il était passé deux fois auprès de celle de Julie.

C’est elle qui d’un sourire et d’un geste courtois l’avait invité à prendre place. Il l’avait remerciée, il avait dit que le bar était plein, ce qu’elle avait constaté elle aussi, avait-elle répondu.

Sans l’avoir cherché son pied avait rencontré celui de Michel. Il n’avait pas retiré le sien mais il avait dit qu’il faisait chaud. Puis, il avait avancé l’autre pied si bien qu’il avait le pied de Julie entre les siens.

Il y avait eu un moment de silence, elle voyait qu’il hésitait, elle ne savait pas ce qu’elle souhaitait elle-même, il se redressa et il dit qu’il allait demander une chambre. C’était autant une affirmation qu’une question. Et quand il était revenu de la réception, une clef à la main, elle l’avait suivi vers l’ascenseur, curieuse de sa propre réaction, en vérité elle n’en avait pas, et ils prirent l’ascenseur jusqu’à l’étage de leur chambre.

- Est-ce que tu es marié ?

Il avait paru surpris de la question de Julie. Puis, il avait dit que ça paraissait ridicule mais qu’il n’avait jamais trouvé chaussure à son pied, non il ne voulait pas le dire dans le sens où elle l’entendait mais affectivement, le travail, les voyages, enfin tout ce qui fait qu’on passe peut-être à côté de sa vie, tu vois ?

Elle voyait, avait-elle répondu, est-ce qu’on sait qui passe à côté de sa vie ? Et ils s’étaient promis de se revoir.

Les premières fois, ce fût dans le même hôtel. Parfois, elle arrivait avant lui, et elle l’attendait dans la chambre, déjà nue, étendue sur les draps. Elle aimait le regarder ôter ses vêtements selon une sorte de rituel érotique. Je suis le mâle, disait-elle en riant.

Après s’être aimés, elle partait la première, la tête baissée afin qu’on ne puisse pas la reconnaître, et s’émerveillait du plaisir qu’elle éprouvait du caractère clandestin de cette aventure. Au bout de trois semaines, il lui avait demandé de venir chez lui puisqu’il vivait seul, et elle avait accepté, étonnée de ce que le sentiment de culpabilité qu’elle en ressentait, Dieu sait où ça la mènerait ?, lui était agréable et, de manière étrange, lui donnait, pour la première fois, le sentiment de construire sa vie.

C’est Michel qui préparait le repas qu’ils prenaient avant ou après s’être aimés. Parfois même, en même temps. Ce fût un temps délicieux et exaltant.

Un jour, il lui offrit un cadeau, un parfum, celui qu’elle utilisait, et une surprise, avait-il dit, la clé de son appartement, tu pourras venir quand tu voudras

Elle venait sans prévenir dès qu’elle le pouvait. C’était une étrange sensation que d’avoir deux foyers. C’est drôle, avait-elle pensé, elle aimait toujours son mari. Et il lui avait même semblé lorsque Michel, peu à peu, se mit à l’attendre avec de plus en plus  d’impatience que c’est à son mari qu’elle pensait en se mettant au lit. Peut-être n’aurait-il pas dû lui remettre sa clé ? Peut-être auraient-ils dû continuer de se rencontrer à l’hôtel ?

La dernière fois qu’elle était venue, elle avait déposé sur la table du salon, bien en évidence, la clé de l’appartement. Et, sans se retourner, elle avait repris l’ascenseur.

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