Koninklijk Concertgebouworkest direction Daniel Harding
Soprano: Emily Magee
Anton Webern, Sechs Stücke, op. 6
Richard Strauss, Vier letzte Lieder
Robert Schumann, Symphonie n° 2, op. 61
L’Orchestre royal du Concertgebouw qui fête cette année ses 25 ans est régulièrement cité comme l'un des meilleurs du monde. Une foule enthousiaste se pressait donc aux portes des Beaux-Arts ce soir pour entendre cet orchestre prestigieux conduit depuis de nombreuses années par son jeune chef invité, Daniel Harding. Il est anglais et n’a que 38 ans. Les sonorités subtiles des Six Pièces pour orchestre, op 6 (1909, révisé en 1928) d’Anton Webern commencent par des vents très harmonieux, des frémissements de cordes et les stridences dynamiques des cuivres et percussions. Une musique aux couleurs extraordinaires. Le chef soudain dirige quelque chose de presque inaudible… le presque silence! Seule la gestique se remarque. Surgissent alors les très beaux timbres des flûtes, hautbois et clarinettes aux teintes lugubres. Une flûte presque macabre se détache sur un fond de cors qui jouent les gongs chinois. Et encore ces silences ombrés de tremblements furtifs. Par contre, les notes lancinantes des trombones, le grésillement des timbales débouchent sur des percussions effarantes. Célesta, cloches-plaques concertent parmi des bois très fruités et un piccolo charmeur. Chaque instrument se livre à des Om̐s puissants qui se terminent en murmures, chacun selon sa couleur. Puis des duos de notes fusent de tous les pupitres avant que le premier violon ne lâche un ultime arpège descendant. Les trompettes étouffées égrènent les quelques pulsations d’un cœur à son dernier soupir. La salle rendue muette d’admiration.
Etait-ce le lien voulu pour créer une atmosphère de concentration et d’ouverture sur l’imaginaire ? Voici la soprano américaine Emily Magee sur scène. Un port de reine, une somptueuse entrée en matière : ondoyante, la cantatrice fixe un horizon lointain au-delà de la salle et semble boire une coupe de tristesse. Elle chantera les Vier letzte Lieder de Richard Strauss (1948). Früling, un poème de Joseph von Eichendorff surprend peut-être par sa robustesse, puis on se laisse porter par September, un poème de Herman Hesse. C’est l’adéquation parfaite du chant et des paroles : « Langsam tut er die grossen müdgewordenen Auuuuugen zu ». Cette tendre et puissante berceuse est soulignée à la fin par les bassons et cordes qui dessinent le calme d’un repos tranquille. « Beim Schlafengehen » est introduit par des contrebasses voluptueuses. Au centre de la pièce: un splendide solo du violon qui fuse parmi les cordes et à la fin, de purs accents poétiques qui achèvent le lied comme la queue d’une comète. Adéquation parfaite du chant et de l’orchestre. Entre ses fulgurances automnales et ses ombres enveloppantes, Emily Magee est tout un orchestre à elle seule. Dans Im Abendrot, toujours de Herman Hesse, on voir surgir deux frêles alouettes, dans le mystère de l’immensité « Es dunkelt schon die Luft, zwei Lerchen nur noch steigen, nachträumend in den Duft ». C’est l’ultime et poignant Adieu à la vie. « Wie sind wir wandermüde… quelle allitération ! Ist dies, orchestre, etwa, orchestre, die Tod ? » La chanteuse se laisse porter par la musique finissante comme une jonque qui disparaîtrait dans la nuit. Encore quelques gouttes lumineuses très tenues des cuivres et des larmes de picolo. On ne s’attendait pas à une telle archéologie de sentiments. C’est l’amour qui revient en bis avec le profond ravissement de «Und morgen wird die Sonne wieder scheinen», brodé par la harpe et Liviu Prunaru, le merveilleux violoniste.
Après la pause c’est au tour de la Deuxième Symphonie en do majeur op 61 de Schumann (1845-1846) d’achever de nous séduire. Schumann a composé sa Deuxième Symphonie, tandis qu'il connaissait des problèmes nerveux, et décrit le travail comme un souvenir d'une période sombre de sa vie. Il dit lui-même que le spectateur pourra ressentir sa remontée vers la lumière. La souffrance est sublimée par des sonorités qui cueillent à la fois les pulsions destructrices et le retour triomphant à la vie. On retient l’incandescence des hautbois et clarinettes qui ont rejoint les violons dans l’Adagio espressivo, les sonneries des cuivres, des percussions craquantes. Les tempi soulignent avec grande justesse les bourrasques des fanfares et la lente introduction méditative du départ répétée après le scherzo puis au dernier mouvement. Les volutes émouvantes des bassons sont-elle une recherche de bonheur ? C’est un temps suspendu qui plane dans l’œuvre avec ce mystérieux choral piqué comme une fleur à la boutonnière. Des ondes de douceur viennent mourir avant l’attaque fulgurante du dernier mouvement. L’enthousiasme musical de l’orchestre est tel que la prestation se passerait presque de chef. Celui-ci est ardent, peu démonstratif mais partout à la fois, créant un bel équilibre des plans, diffusant une dynamique exceptionnelle. Si l’œuvre sonne aussi merveilleusement, est-ce par la diversité de ses climats, par la concentration extrême, les gestes élastiques, vifs et précis du dirigeant ou le jeu inspiré et aéré des instrumentistes? L’ensemble donne en tout cas un sentiment d’apothéose après des souffrances profondes.
http://www.bozar.be/activity.php?id=13116&selectiondate=2013-10-19
Commentaires
Anton Webern (1883-1945) Six pièces pour orchestre, op.6 – Richard Strauss (1864-1949), Quatre derniers lieder, Robert Schumann (1810-1856), Symphonie n°2 en do majeur, op.61 Koninklijk Concertgebouworkest, Daniel Harding, direction – Emily Magee, soprano Concert remarquable au Palais des Beaux-Arts avec le Koninklijk Concertgebouworkest, sous la baguette de Daniel Harding avec Emily Magee (soprano). L’ Orchestre -en résidence, débute une lecture passionnante des Six pièces pour orchestre, op. 6 de Webern au caractère séduisant et intime. Excellente interprétation de chacun des pupitres, disséminés un peu partout dans la partition. Le timbre que Webern tente de présenter de plusieurs manières est manié avec précision et fluidité. Les musiciens sont à l’aise dans la battue du chef qui présente des plans sonores conduits et souples. Le silence, principal matériau de la partition requiert du public une concentration énorme permettant alors de réfléchir, comprendre ce qu’il écoute. Ce véritable moment d’introspection reste un moment inoubliable malgré une quinte de toux inopportune. Cette maîtrise de l’instrument se retrouve naturellement dans les Quatre derniers lieder de Strauss. La façon dont les vents coupent le son et le jeu sensible des cordes convient à merveille à la beauté de la voix d’Emily Magee. Renée Fleming avec Christoph Eschenbach ou encore Claudio Abbado avait déjà fait de cette œuvre un sommet de la littérature classique. Mais l’interprétation de Magee et Harding apporte un vent de fraîcheur. L’émotion est telle que le public ne peut en sortir indemne. Beaucoup de sensibilité, de pureté, et une sensation de légèreté dans cette œuvre si proche de la vie, de la mort. A 83 ans, Richard Strauss l’écrit après la lecture d’un poème de Eichendorff qui retrace d’une certaine manière la vie du compositeur. Ce chant du cygne nous transcende par sa beauté et sa pureté. Dommage que le public ne dispose pas de la traduction des textes : si la musique parvient à délivrer seule le message, le récit littéraire en est le complément naturel.En bis, Magee offre Morgen, le lied n°4 op. 27 de Strauss, bouleversant par l’incroyable pureté du jeu du konzertmeister, Liviu Prunaru, et la perfection de la ligne vocale de Magee, dans le tapis sonore des cordes. La harpe déploie avec légèreté des accords arpégés offrant aux solistes une certaine liberté. La soirée se termine par la Seconde Symphonie de Schumann rarement donnée. Harding propose dans chaque mouvement un agencement des timbres intelligent et une structure claire. Pas d’étalage de virtuosité mais l’aboutissement d’un travail d’expressivité. La palette sonore des cordes est impressionnante et la rythmicité du second mouvement est entraînante. Le troisième mouvement est aussi saisissant que le dernier de la Pathétique de Tchaïkovski où on se laisse emmener par la douceur des archets et le hautbois exquis. Le dernier mouvement, celui où Schumann est plus à l’aise, est énergique comme il faut et conclut la soirée en triomphe. Notons encore la position de certains pupitres : les basses à gauche et les violons II à droite contribuent à l’homogénéité du son. Entre les versions traditionnelles de Karajan, Barenboim ou Eschenbach et celles plus modernes de Paavo Jarvi ou Abbado, Harding trouve facilement sa place. Ayrton Desimpelaere Bruxelles, Bozar, le 19 octobre 2013
http://www.crescendo-magazine.be/2013/10/concertgebouworkest-inoubl...
la chaleur aidant, la climatisation en panne fit qu'ils jouèrent la deuxième partie du concert sans leur jaquette!