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Jacques Maritain: Humanisme intégral

12273102689?profile=original"Humanisme intégral" est un essai du philosophe français Jacques Maritain (1882-1973), publié en 1936. C'est avec "L'homme et l' Etat" (1951), le plus important des ouvrages politiques de l'auteur et l'apparition de ce livre, à l'heure où commençait la guerre civile espagnole, devait éveiller un trouble profond en beaucoup de consciences catholiques. Maritain traite ici du problème de la civilisation chrétienne, de la "chrétienté". Celle-ci ne se confond pas avec l' Eglise elle-même: la chrétienté appartient à l'ordre temporel et humain; c'est un certain régime temporel dont les structures sont imprégnées, à des degrés variables, par la conception chrétienne de la vie. Il n'y a qu'une vérité religieuse intégrale, mais il peut y avoir des civilisations chrétiennes diverses, selon les exigences particulières de tel ou tel âge historique. Ce problème, d'ordre pratique et éthique, est d'ailleurs commandé par un problème spéculatif: qu'est-ce que l'homme? Dans la première partie de son livre, Maritain examine ce qu'il appelle "La tragédie de l' humanisme". A l' humanisme médiéval, qui ne comportait pas de réflexion de l'homme sur sa condition, sur le mystère propre de sa liberté, la Réforme et la Renaissance ont opposé une réhabilitation agressive de la créature: le luthérianisme comme le molinisme expriment un même humanisme anthropocentrique fondé sur la foi dans la nature et dans la liberté humaine conçues hors de la causalité divine. Dès lors, s'est ouverte la tragédie de l'homme européen: n'étant plus rapporté à son origine et à ses fins transcendantales, l'homme va bientôt s'enfoncer dans le biologique (comme chez Darwin et chez Freud) ou dans la masse sociale (comme le marxisme et les totalitarismes modernes). Est-ce à dire cependant qu'il faille condamner absolument toutes les valeurs du monde moderne? Loin de le penser, Maritain s'efforce de sauver ces valeurs en les intégrant à une conception chrétienne du monde. L'erreur de l' humanisme classique n'a pas été de faire prendre à l'homme conscience de lui-même, mais de lier cette prise de conscience au rejet de Dieu et des fins suprêmes de la création; l'erreur de l' humanisme classique est d'avoir été anthropocentrique mais non pas d'avoir été un humanisme; à partir de là, une nouvelle civilisation chrétienne de la réhabilitation de la créature et de la liberté, mais dans leur ordination finale à Dieu, Maritain envisage alors de quelle manière cette réhabilitation pourra se traduire dans le domaine du temporel et de la politique. La chrétienté médiévale, peu sensible, dans l'ordre pratique, à la distinction du sacré et du profane, a vécu sur l'idée de la force au service de Dieu; le temporel était considéré comme une simple fonction du sacré; l' unité de la société était fondée sur l'unité de la religion. Après l'affirmation humaniste de l'âge classique, il est aujourd'hui impossible d'attendre la renaissance de cette forme "sacrale" de chrétienté, laquelle ne constitue d'ailleurs qu'une étape mineure dans le développement de la conscience politique. A l'idée médiévale de la force au service de Dieu, il faut substituer l'idée de "la sainte liberté des enfants de Dieu", où Maritain voit le mythe dynamique de la civilisation chrétienne à venir. Il précise ensuite dans ses grandes lignes l' "idéal historique" de cette nouvelle chrétienté: elle devra d'abord s'accommoder de la situation de fait de notre temps, essentiellement pluraliste. On ne peut plus fonder l' unité sociale sur l' unité de foi et il faut proclamer l' égalité politique des chrétiens et des non-chrétiens. Au point de vue économique, une société fraternelle devra remplacer la société paternaliste d'autrefois. Au point de vue politique enfin, c'est dans le sens d'une démocratie personnaliste que les chrétiens, selon Maritain, doivent désormais diriger leurs efforts. Liberté et accomplissement de la personne; sens précis de l' autonomie du temporel comme fin intermédiaire ou "infravalente" à l'égard de la vie éternelle, telles sont les deux bases fondamentales de la nouvelle chrétienté. L'auteur s'interroge enfin sur les moyens concrets et prochains de la politique: en souhaitant une collaboration active, sur le plan temporel, des chrétiens et des non-chrétiens, il rejette radicalement tout machiavélisme: la politique ne peut être conçue comme une pure technique, indifférente à la morale. Sur un autre plan, la politique chrétienne d'aujourd'hui a pour devoir de tenir compte de la prise de conscience du prolétariat et du rôle historique de celui-ci: la classe ouvrière est déjà devenue une force, elle a encore à devenir une "personne", mais elle n'y parviendra qu'en se référant aux principes dont le christianisme a le dépôt. Reste le grand défi, celui qui est porté aux hommes de liberté par les régimes totalitaires: en face de ce défi, les chrétiens ont sans doute la solution du martyre, mais ils ont aussi la certitude de n'être pas enfermés dans une tragédie. Dieu demeure finalement seul maître de l' histoire et les efforts déployés aujourd'hui pour un avenir si lontain soit-il, mais juste, ne sauraient être perdus. Par "Humanisme intégral", Maritain a contribué à détacher définitivement un grand nombre de jeunes intellectuels chrétiens des idéologies de droite qui avaient paru longemps indissociables du christianisme; il a défini les principes fondamentaux de cette démocratie "chrétienne" et "personnaliste" vers laquelle parurent s'orienter plusieurs pays européens après 1945.

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