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ITINERAIRE DE LA COULEUR CONSCIENTE

ITINERAIRE DE LA COULEUR CONSCIENTE

 

Le hasard fait-il toujours bien les choses ? Impossible, bien sûr, de l’affirmer. Néanmoins, le hasard a parfaitement travaillé pour harmoniser ce puzzle que constitue souvent l’exhibition des œuvres à l’intérieur d’une galerie d’art.

Les trois artistes exposés du 04-04 au 29-04-12 à l’ESPACE-ART-GALLERY(Rue Lesbroussart, 35,1050 Bruxelles), ont chacun choisi un espace particulier à l’intérieur de celle-ci, en réponse aux besoins qu’exigent les pièces présentées.

Monsieur JEAN LECLERCQZa demandé l’entrée ainsi que le milieu de la galerie parce que ces espaces lui offraient le volume adéquat pour présenter l’ensemble impressionnant des tableaux exposés.

Parsemées ça et là, tout le long de la galerie, les sculptures de Monsieur MARIO MOLINSnous proposent une série de « corps végétaux » vivants, dressés comme des reliques de la nature.

Enfin, l’espace du fond s’avérait propice pour abriter le caractère globalement introspectif contenu dans l’œuvre du peintre, Madame BETTINA MASSA.

Et le hasard dans tout cela ? Eh bien, il a travaillé de main de maître ! Car, en parcourant l’espace artistique, l’on ressent une progression allant du ludique se dégageant des œuvres de Jean Leclercqz au silence méditatif de Bettina Massa, en passant par la célébration joyeuse et mystique de la nature à travers l’Art de Mario Molins.

Tout cela, le plus naturellement et le plus fluidement du monde !
Mais entrons dans le vif (c’est le cas de le dire !) du sujet avec le vivant ludique des œuvres de JEAN LECLERCQZ.

Le point de départ des œuvres de l’artiste exposé trouve son origine dans une précédente exposition de ses œuvres au Musée Royal de l’Armée et d’Histoire militaire situé au Parc du Cinquantenaire, à Bruxelles, en novembre 2010, pour laquelle Jean Leclercqz a présenté, en parallèle avec de véritables engins de guerre (donc de mort !) d’époque, sa vision personnelle de l’avion, comme pour conjurer la dimension létale des premiers.

Mais force est de constater que l’avion conçu par Jean Leclercqz est une sorte de créature hybride, à l’intersection entre la machine et l’oiseau. Cela donne un être volant (piloté par un homme que l’on ne voit jamais) sillonnant un ciel tranquille et toujours bleu. Cela affirme et renforce la dimension ludique de son œuvre, laquelle est presque toujours en rapport avec la ville de Bruxelles et son architecture.

Cette architecture est reprise dans sa réalité pour être légèrement modifiée dans certains de ses aspects, notamment, par l’intermédiaire de la couleur.

A titre d’exemple, le tableau intitulé FLAGEY(103 x 77 cm) nous présente l’ancien INR (Ancien Institut national de Radio) tel qu’il est mais rehaussé de bleu très foncé au niveau des fenêtres comme pour mieux mettre l’extra structure en exergue.

 

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Jean Leclercqz avoue nourrir des velléités d’architecte. Et cela se perçoit dans le traitement qu’il apporte à l’appareil cyclopéen. Dans MUSEE DE TERVUREN(99 x 75 cm), nous retrouvons le même soin apporté à l’architecture, dans la coupole ainsi que dans la toiture du bâtiment, lesquelles sont soulignées par une bordure noire pour en affirmer le volume. Le trait gonfle la pierre de vie.

 

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Dans toutes les œuvres de Jean Leclercqz, l’avion-oiseau occupe la partie centrale de la composition avec, à l’arrière-plan, le support architectural bruxellois qu’il célèbre dans des couleurs de joie. Mais l’architecture n’est pas constamment présente dans son œuvre. En effet, les deux tableaux intitulés LES DANSES AERIENNES(1 m x 1, 20), proposent chacun une danse autour d’un personnage filiforme. Est-ce une danseuse ? Est-ce une tour de contrôle ? Toujours est-il que des êtres volants ayant l’apparence d’oiseaux, voire même de poissons, voltigent autour de cet axe comme pour le butiner. Le tout évoluant au centre d’un paysage floréal presque « fauve », annonçant la communion d’amour entre la Machine et la Nature.

 

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Dans l’œuvre de cet artiste le regard du visiteur n’arrive pas à saisir le simple détail car il se perd, attiré par mille éléments comme, notamment, cette série de chiffres et d’opérations d’une mathématique inconnue, converties en écriture, presque hiéroglyphique, comme pour en désacraliser la complexité. Ses tableaux sont, d’emblée, entourés d’une marge faite de motifs géométriques dont la couleur reprend (ou annonce) celle servant de dominante chromatique à l’œuvre.

A la perception de l’univers de Jean Leclercqz, d’aucuns pourraient s’interroger sur une éventuelle influence littéraire (Verne, Wells…) qu’aurait subi l’artiste.  A cette question, ce dernier répond par la négative. Rien de ce qui serait tributaire de la littérature fantastique (ou encore moins de la bande dessinée) ne l’aurait influencé. Et à y regarder de près, son œuvre échappe à tous les poncifs que pourraient imposer quelque influence littéraire ou graphique. Elle est bien trop personnelle pour obéir à des directives esthétiques.

Jean Leclercqz illustre parfaitement la conception que l’on se fait de l’idée de l’Art, considérée dans son acception grecque (technè). En effet, l’élément technologique intervient directement dans son œuvre, en ce sens qu’il nous offre des sérigraphies modernes dans un tirage de photographies à partir d’un fichier numérique pour des dessins au format A3, scannés en haute définition. Leur coloration se faisant sur ordinateur et leur taille pouvant varier selon les besoins. Les photographies peuvent être retravaillées, tant dans les couleurs que dans le dessin.  

Cet élément technologique n’est en réalité qu’une réminiscence, ou si l’on veut, un avatar de sa vie professionnelle car Jean Leclercqz est graphiste de formation. Il poursuit actuellement son activité via la société de communication graphique qu’il dirige à Bruxelles.

Son rêve, nous a-t-il confié, serait de mettre sur pied une exposition dans un lieu « insolite », telle qu’une usine ou carrément la rue, comme pour désacraliser le côté institutionnel (sinon mort !) du Musée.

 

MARIO MOLINSest un jeune sculpteur espagnol qui entretient un dialogue mystique avec l’une des formes, à la fois les plus matérielles et les plus tactiles de la nature, à savoir le bois. L’artiste considère cette matière comme un « corps » qui porte en lui la mémoire de la nature. Mémoire qu’il exprime par mille contorsions, élancements et sphères, traduites par l’artiste dans un discours humaniste. Non. Ce n’est pas de la « littérature » que de dire que Mario Molins se perd dans un rapport mystique avec la nature. Vie et mort se confondent dans le tronc d’arbre mort que le sculpteur ramasse (ou pour mieux dire, prélève) au sol, considéré comme une tombe destinée au pourrissement. Après l’avoir en quelque sorte « purifié » par le feu, l’artiste lui confère une patine d’un noir luisant, semblable à une introspection dans la matière, pour le « ramener » à la vie. Une vie esthétique pour le plaisir du regard qui interpelle la conscience du visiteur, lui-même frère de l’arbre, faisant partie intégrante de la nature.

Des œuvres telles que ANIMA I (2010) (35 x 40 x 165) réalisée en bois d’olivier ou EVOCACION III  (2011) (139 x 30 x 31), pièce en découpe directe, tirée d’un noyer brûlé dans un incendie que le sculpteur a sauvée en éliminant les parties consommées pour la recréer, font de l’artiste le démiurge distillant à l’argile informe un souffle nouveau.

 

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Dans son dialogue avec la matière, Mario Molins, qui a fréquenté l’Académie des Beaux-Arts de Barcelone n’envisage de sculpter qu’une pièce à la fois. Jamais il ne mélange plusieurs pièces. Car chaque rapport est intime, de même que chaque histoire ayant précédé (et qui engendrera) la matière est intime.

Sa démarche s’inscrit dans la dialectique du «Land Art », discours qui date de la fin des années ’60 et qui considère que l’artiste et la nature fusionnent dans un rapport intime, se réalisant au cœur même de celle-ci. Par la force des choses, leurs créations demeurent à l’extérieur et se présentent comme la négation de l’ « espace clos » tel que la Musée.

Et l’on peut, in fine, se demander après avoir vu les œuvres de Mario Molins qui « imite » qui. Est-ce la nature qui « imite » l’Art, comme le soutenait Oscar Wilde ou est-ce le contraire ?  Quoi qu’il en soit, la question est (volontairement) mal formulée car l’ « imitation » n’intervient jamais lorsqu’il s’agit de création !

La nature des œuvres de Mario Molins nous interroge sur la nature de nos origines dans toute la force et la beauté de leur volume.

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Nous atteignons la profondeur méditative avec l’artiste corse BETTINA MASSA. L’ensemble pictural qu’elle présente à l’ESPACE ART GALLERY est principalement structuré par le rapport au temps ainsi que par le mythe, ou plus exactement, par le riche héritage mythologique méditerranéen.

En vérité, mythologie et rapport au temps sont intimement liés. L’un des plus beaux exemples du rapport au temps se trouve dans le récit homérique. L’amnésie qui frappe Ulysse, prisonnier de Circé, est tout entière basée là-dessus. Il se cherche dans une dimension qui a perdu la conscience du temps. Temps et mythe s’enchevêtrent l’un dans l’autre. Il n’y a que la force du sentiment pour en exprimer la quintessence. L’acte créateur, lui, cherche à figer le temps en une métamorphose d’instantanés exprimant la volonté d’en garder, néanmoins, la trace.

Cette trace c’est l’ « idée », plastiquement exprimée sur la toile. A titre d’exemple, les TETES  (œuvres sans titre – 0,69 x 0, 77 – réalisées entre 2010 et 2012) que Bettina Massa nous offre, existent non pas en tant que telles, comme des trophées, mais bien pour exprimer l’ « idée » du visage, contenues dans des différences de couleurs et de plans.

Ces têtes « humaines » dans l’acception la plus physique du terme, sont en réalité, des sculptures sur toiles où les chairs s’enflamment et explosent sous la tension des couleurs changeantes au gré des positions qu’elles occupent par rapport à la lumière ambiante.

 

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Ces visages, le pinceau de l’artiste semble les avoir taillés au burin, tellement le volume en ressort comme les plis transparaissent du marbre. L’humain montre une face labourée à chacune de ses métamorphoses. Jusqu’à ce tableau (toujours sans titre – 0,64 x 0, 74) peint en 2011, montrant un visage féminin aux yeux bandés symbolisant la vacuité de la présence. Ici, la présence se fait déjà absence par la lumière éphémère que dispense la couleur. La toile utilisée par l’artiste est en fait un papier de couleur noire provenant du Bhoutan. Il s’agit d’un papier au grain extrêmement sensible, agissant comme un buvard, lequel absorbe les pigments avec une telle rapidité que l’on ne peut plus les effacer une fois fixés sur le support.

Bettina Massa est titulaire d’une Maîtrise auprès de la Faculté des Arts Plastiques de la Sorbonne. Elle a notamment travaillé avec des restaurateurs de peintures. Mais on peut dire qu’elle a baigné dans l’Art depuis sa plus tendre enfance, son père travaillant au Musée Fesch d’Ajaccio. C’est là qu’elle est entrée en contact avec, notamment, les Primitifs italiens et les suiveurs du Caravage napolitains.

Cela se traduit par une vision personnelle et moderne qu’elle offre du MARTYR DE SAINT MATTHIEU(1, 52 x 1, 38) réalisé en 2010.

 

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L’œuvre est réduite à l’essentiel. La foule des personnages présents dans la composition originale du Caravage (323 x 343 cm) abritée à la Chapelle Contarelli de l’Eglise St. Louis des Français, à Rome disparaît pour faire place au nœud de la tragédie : le sicaire, sur la gauche. Le jeune homme, sur la droite et Matthieu, en bas vers la droite. La totalité de l’ensemble du Caravage est remplacé par le polyptique (quatre panneaux d’égales dimensions portant chacun la fraction - ou la subdivision - d’un moment (traduit en mouvement) sont assemblés pour ne plus former qu’une entité scénique). L’essentiel : le drame biblique ainsi que l’éclairage dont on ne perçoit jamais la source – typique du style caravagesque – est respecté.

L’artiste n’est d’ailleurs pas étrangère à la conception de l’espace « scénique » car elle eut l’opportunité d’évoluer dans le monde du théâtre en créant des scénographies destinées, notamment,  à des textes de Louis Aragon, Garcia Lorca ou Armand Gatti, sous la direction du metteur en scène Najib Ghallale, à partir du milieu des années ’80.

La peinture de Bettina Massa exposée à l’ESPACE ART GALLERYest une peinture aussi vibrante que complexe, parce que hautement cultivée, pétrie d’un Humanisme renaissant modalisé, comme le fut ce même Humanisme  devant se distancer de la pensée gréco-latine pour pouvoir exister.

Elle clôt cet itinéraire de la couleur consciente qui ne peut se réaliser qu’en exhortant la part (re)créative vivant en chacun d’entre nous.

 

François L. Speranza.

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Commentaires

  • Ecrasée par la force des personnages de Bettina Massa. Merci pour cette étude  approfondie et riche.

  • Merci, Rosyline.

    C'est très gentil de ta part. Il faudra nous dire quand tu exposes.

    Excellente soirée,

    François.

  • Oh oui, Bettina, nous a étonnés !

    Sa peinture en relief d'un souffle vibrant animé 

    Est, comme en sculpture, d'une telle puissance

    ouvrant les mondes de la transcendance.

    Elle mérite vraiment tous les lauriers !

  • Inépuisable

  • Une vraie attirance pour les oeuvres de BETTINA MASSA

  • Toujours très apprécié, une description profonde de la lecture d'une peinture, on s'y perd, on s'y retrouve et surtout tout prend forme...merci à vous pour ce riche travail

    Amitiés...

    Olé~

  • Merci pour la présentation très intéressante que nous permet de connaître des artistes différents pour l’utilisation des couleurs, des formes, des  matériels....tous captivants!

  • Merci pour ce compte-rendu, bien complet, pour nous faire découvrir trois grands artistes!

  • Dans ses situations, le metteur en scène  découvre  pour accéder à sa passion.  Il hésite. En chaman, osez le grand en formes qui effraient les puissants c' est la route de tout exploit

  • Des oeuvres et un article qui suscitent l'intérêt et la curiosité et donnent envie d'en voir plus !

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