Marie-Anne Georges
Mis en ligne le 05/12/2003
Pour la première fois, l'artiste grecque chante en espagnol.«Alas pa'volar» décline des extraits du journal de la peintre mexicaine.
Angélique Ionatos est une artiste atypique. Dès qu'on la qualifie ainsi, la chanteuse grecque ne manque pas de relever, dans un éclat de rire, l'alpha privatif de cet adjectif dans sa langue d'origine. Cela fait trente ans qu'elle poursuit son petit bonhomme de chemin, assez éloigné des émissions télévisées de variétés, davantage proche d'un public fidèle qui remplit les salles où elle se produit. Elle ne se plaint pas de cet état de fait. «Depuis que j'ai 18 ans, je vis de ce que j'aime. Je chante et on me paie pour cela. Quel luxe!»
Rapport à la poésie
Eprise de poésie, Angélique Ionatos a beaucoup chanté, dans sa langue natale, son auteur de prédilection: Odysseus Elytis, prix Nobel de littérature en 1979. Volubile, elle parle de son rapport organique à la poésie. «Je ne peux pas vivre sans. La poésie, c'est la vie. Depuis que je suis toute jeune, ma mère m'a récité de la poésie. C'est dans la forme poétique que j'ai trouvé les choses les plus fortes qui m'ont donné envie de vivre et de comprendre le monde. Au commencement, il y a le verbe. La Bible est un livre très poétique, qui est le livre des livres. J'en parle d'autant plus facilement que je ne suis pas croyante.»
Et de poursuivre, tout aussi passionnée: «Qu'est-ce que le propos poétique? Des choses quotidiennes, éclairées différemment, apparaissent comme inédites. Chez les enfants la poésie est innée, parfois, après, certains se donnent beaucoup de mal pour l'étouffer.» Après «Marie des brumes» et «Sappho de Mytilène», voilà qu'Angélique Ionatos s'empare d'une autre figure féminine mythique: Frida Kahlo. Et celle qui a un rapport assez familier avec l'espagnol chante pour la première fois dans cette langue. «Cela surprend tout le monde, mais le grec et l'espagnol sont deux langues qui possèdent une phonétique similaire.» Pour la petite histoire, Angélique est fille d'un marin qui ramenait de ses voyages en Amérique du Sud des disques qu'elle écoutait en boucle. Plus tard, elle maîtrisera l'espagnol après l'avoir étudié durant trois ans.
Ceci posé, l'idée de l'album «Alas pa'volar» (Des ailes pour voler) en revient à Christian Boissel, fidèle orchestrateur musical de ses dernières productions. «Il y a 5-6 ans, il est tombé amoureux du journal de Frida Kahlo. Il s'est mis en tête d'en mettre en musique des extraits. Au fur et à mesure, il m'a fait part de son désir que je les interprète.» Si certaines parties du journal ont été mises en musique telles quelles, d'autres ont nécessité une adaptation. Un travail réalisé par Christine Ferarios, et consistant, par exemple, en une inversion de phrases. «Un travail de haute couture par rapport à la musique», relève Angélique Ionatos.
Là voilà donc, à l'aube de ses 50 ans, plongée dans l'univers de cette peintre à la vie plus que mouvementée, militante à la personnalité exigeante. «Il est vrai que quand on compose soi-même, ce qui est mon cas depuis longtemps, on a parfois envie de se reposer de son propre univers. Je trouvais que c'était une bonne occasion d'aller voir ailleurs en tant qu'interprète.»
Mais se plonger ne signifie pas forcément se fondre, d'autant plus que Christian Boissel a emballé le tout dans un environnement musical éloigné des canons de la musique mexicaine - mais pas hispanophone. Pour preuve, ce «Tango de la lokura». «Christian n'a pas voulu faire "à la manière de". De toute façon, il n'est pas de cet univers-là, il ne peut pas tricher.»
La scène avant tout
Du disque à la scène, il n'y avait qu'un pas, rapidement franchi, étape quasi incontournable pour l'artiste. «J'ai été très claire. Je ne voulais pas faire semblant d'être Frida. Je ne voulais pas non plus de mexicaneries de pacotille, ni des choses comme cela. Et cela a été entendu. On a travaillé avec le Colombien Omar Porras (par ailleurs metteur en scène d'un fantaisiste «Ay Quixote» et de «Noces de sang» remarquées, NdlR) qui n'était pas en mal d'exotisme. Il a fait quelque chose de très léger, d'onirique, de poétique.» Et la chanteuse de préciser: «Lors de mes précédentes prestations, j'ai toujours voulu qu'il y ait une petite mise en scène, mais la musique restait la maîtresse de mes mouvements. Ici, c'est vraiment du théâtre musical avec chaque chanson qui raconte une histoire.» Alors que le parti pris musical de Christian Boissel peut parfois surprendre, l'interprétation qu'en donne Angélique Ionatos donne chair et voix à des états paroxystiques - pourrait- il en aller autrement alors que sa patrie est aussi celle de la tragédie? Désir furieux de celui qui n'est pas là, sublimation de l'être aimé, peine, douleur, habitent l'album. A l'image de ce troublant «Y a volar» où Frida écrivait: «Des pieds pour quoi faire/Si j'ai des ailes pour voler/Appui numéro un, appui numéro deux/C'est le un qui me fait défaut/Et c'est lui qu'il me faut.»
Angélique Ionatos canta Frida Kahlo, «Alas pa'volar», un CD Naïve, NV 46911
© La Libre Belgique 2003
Savoir Plus
Et en Belgique? Jusqu'à présent, le spectacle n'est pas programmé dans notre pays. Au grand regret d'Angélique Ionatos qui, à l'adolescence, passa quelques années en Belgique. A l'affiche des Abbesses à Paris, entre les 14 et 26 octobre, «Angélique Ionatos canta Frida Kahlo» reçut la visite de pas mal de programmateurs de centres culturels, mais aucun belge. En attendant, l'artiste espère que son agent arrivera à récupérer la situation afin de trouver la bonne personne qui la représentera dans notre pays. D'ici là, outre diverses dates en France, le spectacle devrait, tout naturellement, être accueilli par le festival de Mexico.
© La Libre Belgique 2003
Commentaires
Merci Rebecca, très émouvant
https://www.youtube.com/watch?v=OPibVSITA3g&feature=player_embedded
La vidéo et la chanson qui va avec : Angélique Ionatos chantant Frida Kahlo