La dernière lettre d'un père à son fils.
Lorsqu’il parcourut la toute dernière lettre, Franck ne put retenir ses larmes. Elle datait de quelques jours avant son décès. On pouvait deviner une main tremblante sous les mots. Il se savait condamner, et ses dernières pensées avaient été pour son fils. Il se doutait bien qu’il lirait un jour cette lettre. Franck découvrait un être sensible, pudique, blessé par la vie, un homme qui ne ressemblait pas à l’image du père qu’il s’était façonnée durant toutes ces années. Ce fut sans aucun doute la lettre la plus émouvante qu'il lui fût donné de lire : les derniers mots d’un père à son enfant.
« Mon petit,
Je t’appelle "mon petit" parce que, dans mon souvenir, c’est ainsi que je t’appelais. Tu es devenu un homme à présent et je ne t’ai pas vu grandir. C’est l’un de mes plus grands regrets. Tu dois me maudire pour ce que j’ai fait ou ce que je n’ai pas fait. Après la mort de ta mère, je me suis replié sur moi, je me suis muré dans mon chagrin. Certes, j’étais malheureux tout comme toi. Mais je n’avais pas le droit d’être égoïste comme je l’ai été. Je n’ai pas pensé à ta tristesse. Je ne sais pas si tu peux comprendre que ma vie s’est arrêtée le jour où elle est partie, au bord de cette route, cette fameuse nuit d’été, l’année de tes dix ans. Bien sûr que tu ne peux pas comprendre parce que toi tu étais là, bien vivant, ne demandant qu’à être aimé. Et moi je n’étais qu’un imbécile, aveuglé par le chagrin qui le rongeait. Alors j’ai préféré t’ignorer, déléguer mes responsabilités. Non, je ne suis pas sorti indemne de cet accident, j’ai été amputé d’une partie de moi. Je t’ai souvent entendu pleurer dans ton lit, je restais derrière la porte. J’avais peur de rentrer, je redoutais ton regard, de peur d’y lire de la souffrance ou de la haine. Je me suis éloigné de toi, non pas parce que je ne t’aimais pas, mais par lâcheté, par crainte de devoir te faire face. Tu ressemblais tellement à ta mère, le même regard, le même caractère déterminé, passionné, que cela m’était insupportable !
Ces dernières années, j’ai espéré de nombreuses fois, que tu fasses le premier pas, que tu essaies de reprendre contact. Moi, j’avais honte, trop peur de me faire rabrouer. Cela aurait été légitime de ta part et je l’aurais compris. Alors je t’ai écrit très souvent pour que tu me parles de toi, de ta vie. Je te parlais aussi de nous, de notre vie avec elle. Mais encore une fois, j’ai manqué de courage, j’ai laissé les lettres mourir au fond d’un tiroir.
Ne crois pas, Franck, que je n’ai pas suivi ta vie, ta réussite professionnelle et familiale. La tante Jeanne m’envoyait des photos de toi, des tiens et de longues lettres où elle me racontait ta vie. Je suis fier de toi, de ce que tu as accompli. Ta réussite, tu ne la dois qu’à toi. Tu es le fils dont j’avais rêvé.
Je n’ai jamais refait ma vie. Vous avez été ma seule famille, je n’en voulais pas une autre. Aujourd’hui, je veux partir en paix avec moi-même. Je sais que tu liras cette lettre quand je ne serai plus de ce monde. Je n’implore pas ton pardon, ce serait trop facile. Je veux simplement pour finir te dire que je t’ai toujours aimé.
Papa. »
Commentaires
récit auto biographique?