Il s'agit d'un ouvrage du philosophe français Emmanuel Levinas (1906-1995). Cet ouvrage développe une critique de la "totalité", c'est-à-dire de l'exigence de savoir absolu de la philosophie occidentale (dont Hegel est l'aboutissement), ainsi que de la vision totalisante qui caractérise tous les grands systèmes philosophiques. Pour Levinas, l' expérience essentielle ne réside pas dans la synthèse, mais dans la relation intersubjective, le face-à-face des humains, la sociabilité, la relation éthique. "Ce livre se présente comme une défense de la subjectivité, mais il ne la saisira pas au niveau de sa protestation purement égoïste contre la totalité, ni dans son angoisse devant la mort, mais comme fondée dans l'idée de l' infini", annonce-t-il dans la préface. L'idée de "totalité" doit être distinguée de l'idée d' "infini", première philosophiquement. L'infini "se produit" dans la relation du même avec l'autre -le terme de "production" devant être compris ici comme effectuation de l'être, exposition ou mise en lumière de l'être. Le lieu de cette "production" est la subjectivité, qui est accueil d'autrui, hospitalité. "En elle se consume l'idée de l' infini."
Le savoir en tant qu'intentionnalité, n'est pas, pour Levinas, adéquation à l'objet mais, au contraire, inadéquation par excellence. Tout savoir suppose l'idée de l'infini dans la mesure où il est capacité de contenir l'infini. Savoir ne signifie pas embrasser la réalité dans sa totalité, mais pouvoir à tout moment excéder les cadres d'un contenu pensé, "enjamber les barrières de l' immanence". L'idée de l'infini meut la conscience. Elle n'est pas représentation de l'infini, mais contient l'activité elle-même; elle est la source commune de l'activité et de la théorie.
La lucidité philosophique et éthique consiste à entrevoir la possibilité de la "guerre". La guerre ne manifeste pas l'extériorité et l'autre comme autre; elle "détruit l'identité du même". Et la paix ne rétablit pas cette identité perdue dans l' aliénation. Il faut instituer, dit Levinas, "une relation originelle et originale avec l'être". Or, c'est le visage de la guerre qui "se fixe dans le concept de totalité qui domine la philosophie occidentale". L' "eschatologie", au contraire, instaure avec l'être une relation qui se situe par-delà la totalité de l'histoire. la paix ne prend pas place, chez Levinas, à la fin de l'histoire. "De la paix il ne peut y avoir qu' eschatologie." La totalité objective ne remplit pas la vraie mesure de l'être. C'est le concept d' infini qui exprime cette transcendance par rapport à la "réalité", "non englobable dans une totalité et aussi originelle que la totalité". Chez les philosophes, l' expérience et l' évidence sont avant tout expérience de la guerre. La philosophie est une tentative de vivre en commençant dans l'évidence mais, pour Levinas, "l' évidence philosophique renvoie elle-même à une situation qui ne peut plus se dire en termes de totalité". Ce qui revient à affirmer que l'eschatologie ne se substitue pas à la philosophie, mais la prolonge.
La situation où la totalité se brise est le face-à-face. Le visage de l'autre est l'éclat de l'extériorité et de la transcendance. L'accès au visage est d'emblée éthique. Le visage est signification, et signification sans contexte. Il est ce qui ne peut devenir un contenu, ce que la pensée ne peut embrasser totalement, l'incontenable et l' infini qui nous mènent au-delà. La vision est recherche d'adéquation. Or, le visage est ce qui ne peut être vu, ce qui ne se réduit pas à la perception que nous en avons. Il y a dans le visage une fragilité, une pauvreté essentielles (le visage est en effet exposé, dénudé),mais aussi une première parole qui énonce un ordre: "Tu ne tueras point". L'autre est en même temps celui ontre lequel je peux tout et à qui je dois tout. Dans l'accès au visage, il y a accès à l'idée de Dieu, à cette idée d' infini qui, comme chez Descartes, exède la pensée. Mais pour Levinas, la relation à l'infini n'est pas un savoir, mais un "désir", le désir étant conçu comme "une pensée qui pense plus qu'elle ne pense ou qui pense plus que ce qu'elle pense". L'idée de l'infini est la condition de toute vérité et de toute objectivité: "C'est l'esprit avant qu'il ne s'offre à la distinction de ce qu'il découvre par lui-même et de ce qu'il reçoit de l' opinion." Si on entend par expérience la relation à l'absolument autre, la relation de la pensée à l'infini -ce débordement dans lequel se produit "l'infinition" de l' infini- est alors l' "expérience" par excellence. Opposer l'infini à la totalité, c'est, pour l'auteur, opposer le respect de l'être à l'appropriation de l'être, l' éthique au savoir. Et poser l'extériorité de l'être comme essentielle, c'est concevoir l' infini comme désir de l' infini, et, par là, poser la métaphysique comme désir et production de l'être comme être-pour-autrui, et non plus comme négation du moi. Le moi se conserve dans sa bonté et son respect de l'être.
La pensée de Levinas, qui signe là son ouvrage le plus important, a été largement influenée par la philosophie israélite, notamment par les travaux de Franz Rozensweig, qui fut le premier à s'élever contre les "totalisations" de la philosophie occidentale.
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