--
--
--
--
--
--
De ces scènes ? Ces moments ineffables,
Enchevêtrés les uns aux autres. Tenaces...
--
Si vivaces en sa mémoire ;
Enfilés comme perles noires à reflets fugaces.
Renvoyant, Par éclairs de souvenances douloureuses
Sur le tain de la glace ses larmes, grosses, denses, pesantes ;
Telles des billes, roulant, muettes, Sans cri ni soupir;
N'ayant où s'épandre et se dire que l'en-dedans de soi.
-
Et de ces silences, soutenus.
Climat mutique suivant les admonestations...
Et puis. De l'exil où il la reléguait ?
Pour suivre. Et ensuite.
De cette poix. Tu vois ?
Je t'explique :
Cette glu de l'âme dégoulinant sur la peau du dos.
Sueur visqueuse, épaisse, râpeuse,
A l'odeur de peur qui se nomme effroi.
-
Et ce regard, dardé, comme flèche empoisonnée,
Vrillant ses omoplates... Elle le devinait,
Fouaillant sa chair jusqu'à ses os,
Loin jusqu'à leur moelle ;
Scrutant la défaillance chez l'enfant
Agenouillée sur une méchante latte.
Et le sentait, d'instinct, virulent, vigilant,
Ne lui lâchant l'échine d'un poil.
-
Son nez collé dans le coin des deux murs
Contre lesquels il l'avait isolée.
Quel âge avait-elle déjà ?
Si petite... Conspuée...
Il ne s'en souvient pas ?
Que non ! Il est mort ! S'est barré !
Et elle reste là... Ployée depuis lors ;
Les jambes ankylosées, roidies,
Si endolories par le fardeau de son corps.
-
Et de ses bras, levés, portant, à chaque main,
Un de ces pesants souliers...
S'alourdissant de douleurs
Sous les crampes engendrées par l'immobilité.
Et la menace, ce constant danger,
Certitude qu'il ne lui suffirait, châtiée,
De l'avoir mise au pilori de longues heures.
Devant ses frères. Exhibée...
-
Devant sa jeune sœur. Sa mère.
Qui laissait faire. Qui voyait. Donc savait.
Mais agréait l'opprobre car s'en taisait.
Ne s'insurgeait. Il faut le croire.
L'enfant, elle s'en convainquait,
Méritait ces châtiments.
Ils se devaient. Trop turbulente.
Si rebelle. Enfant différente.
Différenciée. Suspectée.
-
Comme malade. Comme contagieuse.
Comme pestiférée. Comme lépreuse.
Qu'il devait faire taire. Proscrite.
Frappée d'ostracisme. Mise aux bans.
L'enfant apocryphe. L'inconcevable survenu.
La surprenante déconvenue. Devenu enfant miroir.
Faute vivante qu'ils ne souffraient ne savoir ni voir.
-
Et la voilà ! Vive ! Mais lacérée...
A jamais écorchée de ces âpres batailles.
Tombeau scellé sur une enfance défunte
Scarifiée de sanglantes entailles.
--
Eh ! Toi là ! Qui geins. Et te plains.
Et porte en médailles d'infimes peines.
Que sais-tu de l'indicible genèse martyr
Que d'aucuns, adultes, traînent ?
--
De ces séquelles ardentes ?
De ces sévices pérennes sertis en souvenirs ?
Voraces... Qui de retentir ne se lassent...
--
--
--
--
MandraGaure
--
--
--
Marchienne-au-Pont le 10 Mai 2014
--
--
--
Image :
Jean-Baptiste Greuze
(Tournus 1725 - Paris 1805)
Etude d'enfant agenouillé
Contre épreuve de sanguine et crayon noir
Annoté en bas à gauche : «Greuze f.an.1758»
[22 x 33 cm]
--
--
--
Commentaires
Me voici fidèle au rendez-vous fixé.
Mon commentaire a été interrompu par un orage, fort heureusement pas trop violent. Juste assez pour renouveler l'air. En Afrique où j'ai vécu, c'était bien plus violent et spectaculaire.
Je vous réitère mon admiration pour vos écrits car vous êtes unique et rare ....
En vous écrivant, j'ai tout simplement le cœur qui chante vers vous.
Très bonne soirée .... toute en sérénité et sans peur, surtout.
Je vous embrasse avec toute mon amitié. Rolande.
Chère Bakkara,
Pourquoi cette peur alors que vous êtes talentueuse et tellement sensible : vos écrits le clament.
Peu ont votre talent de conteuse. Je suppose que vous pouvez vous faire entendre par ce biais là et que votre public ne peut qu'être captivé. Pas cela seulement : poète magnifique faisant penser à Paul Claudel qui, lui aussi, a réussi à me faire pleurer !! J'ai adoré le long balancement de ses longues phrases à une époque où la poésie hermétique battait son plein et le néo-classique également.
Vous êtes vraiment inspirée et le long texte que vous m'avez envoyé en est le témoin tangible. J'en ai été profondément bouleversée. Vous avez le droit d'en faire "cas", pour moi, c'est une évidence. Il serait temps de suivre les conseils de vos amis car vos mots coulant comme source d'eau vive ont le doit de vivre dans un partage qui, sera, soyez en certaine empli de joie et d'espérance. Malgré la gravité des sujets.
Personnellement, je n'ai pas du tout trouvé vos textes "ésotériques". Touchés par un souffle poétique, certes oui. Mystique ? Qui sait.
Vos écrits sont beaux, comme vos pensées sont belles. Vous avez un rythme bien à vous, sans pour autant utiliser la voie classique. Il doit en être de même pour vos paroles puisque vous précisez que vous écrivez comme vous pensez et parlez.
Ne gâchez pas ce don que vous avez et partagez-le nous. Vous avez déjà franchi une étape en vous inscrivant sur ce site et un autre en créant votre blog.
Je suis obligée de fermer car de puissants nuages viennent obscurcir le ciel, des grondements se font entendre
et l'orage avance, inexorablement.
A demain pour la suite. Bonne soirée. Je vous embrasse. Rolande.
Le 12 juillet 2014 à 9:15, RED_BAKKARA a dit...
---
Bien chère Rolande,
A l'instant je trouve votre message de mardi. Et j'ai éclaté en sanglots. Elles ruissellent, les larmes, sur mes joues. A la fois de gratitude et de peur. Parce que vos paroles m'ont bouleversée. Et parce que j'ai peur.
Comment y parvenir, dites moi, comment parvenir à faire entendre, faire comprendre ? Comment ? Le temps passe... Et tout ce fatras de mots s'accumule, ici et là et ailleurs et dans mes cahiers, et sur des papiers épars, et partout il y en a des phrases et des strophes et des vocable en prose et des vers glissés entre les pages de mes livres, oubliés dans un coin, comme scellés dans un silence de non-reconnaissance que je maintiens, je crois. En désordre. J'essaie voyez...
J'essaie de les ranger, d'en faire un ensemble, mais ils sont si nombreux, et puis ils ne cessent de venir encore et encore, ils se pressent au bout de mes doigts et je les transcris, à la va-vite, parfois dans le train ou le bus, sur un coin de table, sur des chiffons, des serviettes en papier et même sur des tickets de métro c'est le vrai, partout je les sème depuis tant d'années. Certains je les donne, d'autres je les perds...
Mais jamais je ne trouve en moi la conviction du droit d'en faire, comment dire, d'en "faire cas"... Sauf dans un anonymat furtif, comme si prise en défaut, comme si non-autorisée... Par manque de quoi ? D'audace ? De courage ? Non, pas par manque de courage. Par manque de foi je crois. En moi. Je n'ose pas.
-
Quelques rares, comme vous, me pressent, me disent, me révèlent à moi-même et alors en moi grandit une forme d'euphorie. Et je me mets à penser qu'il me faudrait avancer d'un pied plus loin, ouvrir la porte sur le monde (celui qui me fait peur) et montrer, faire valoir, annoncer que ces mots qui sont miens ne sont pas écrits pour moi seule mais qu'ils sont fait pour être partagés...
Qui ira m'en entendra ? Qui ira m'en entendre suffisamment pour oser prendre le risque d'une publication ? D'une édition ? Qui la voudra proposer à lecture publique, cette mienne langue hermétique dont d'aucuns m'ont dit déjà qu'elle est 'ésotérique' (ce mot qui me fait tant craindre d'être illisible).
Parce qu'ils sont un tout, mes mots, parce que j'écris comme je parle, que je parle comme je pense et que je pense comme j'écris.
C'est ainsi...
-
Voyez comme j'ai été longue à nouveau. Juste pour vous déposer quelques unes de ces pensées qui se bousculaient dans mon esprit, vous lisant.
-
Merci. Merci. Merci.
D'être vous-même. Sans fard.
De ces rares...
-
Bien sincèrement vôtre,
R_B
---
J'ai visité votre magnifique blog et j'ai lu quelques textes majeurs.
Je ne peux que vous féliciter pour votre très grand talent. Il mériterait la consécration à plus d'un titre.
J'adore, tout simplement. Mille amitiés. Rolande.
Bonsoir Chère Red,
Me voici un peu confuse et, en même temps, très émue par votre long commentaire.
Hier et aujourd'hui, très occupée par la famille, j'ai eu peu de temps pour naviguer sur le site.
Vous écrivez des textes qui accrochent l'âme de ceux qui s'y attardent.
Vous avez l'art de "traduire en mots justes les maux injustes". Comme vous l'écrivez avec talent.
Mais oui, Chère Red, "ose"' . Tout simplement.
Très bonne soirée. Amicalement. Rolande.
---
Rolande.
Bonjour.
Bon samedi.
Et merci.
-
Comment vous dire ? Après lecture de votre commentaire je refermais ma session et m'en allais me promener munie de vos paroles en bandoulière.
Réfléchissant...
Réfléchir. Comme le font les miroirs. Laisser rejaillir de moi ce qui s'y était reflété de vos pensées, de vos émotions... De vos 'réflexions'. Qui m'émeuvent à la fois que m'obligent.
-
Car tant vous dites vrai :
Il faut le pouvoir faire, oui, car c'est là un devoir.
Évidence à la fois que responsabilité qui me taraude depuis des années : ce devoir de mémoire, comme le disait Primo Levi, cette pression qui nous vient de l'intérieur, à ceux, témoin 'privilégié' de ne pas laisser l'oubli recouvrir les faits...
Afin de, comme vous le précisez :
Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Que nul ne se trompe ni ne croie que les souffrances infligées par des êtres sans foi ni loi ni conscience sur d'autres, de leurs semblables, sans défense, puissent passer à la trappe de l'amnésie. C'est un devoir.
C'est aussi, me dis-je soliloquant comme souvent, la raison pour laquelle il me fut donné de pouvoir traduire, transcrire, translater comme j'aime à le dire, en mots justes les maux injustes.
Inspirée de la Muse, pouvoir exprimer ce qui ne se peut dire, et je vous cite encore :
Je relis cette phrase avec le sentiment de prendre en main une gemme sortie de son écrin... Il est là, mon devoir. Faire oeuvre utile de ce don qui me fut légué, grandissait et mûrissait en moi durant ces interminables heures du cauchemar d'antan où :
...grâce me fut faite de ne pas m'abîmer dans la déraison afin de pouvoir, un jour, comme je me le promettais alors déjà, témoigner, au mieux, au plus près, au plus juste de ce vécu, usant de vocables, de rythmes et d'harmonies que je sentais se formuler en moi, prêts à donner puissance de souvenances verbalisées à l'insupportable, l'inénarrable... C'est sans nul doute cette intime conviction 'du devoir pouvoir en dire' qui m'a épargnée de l'aliénation, de la démence, tout autant que d'une mort prématurée et d'un ensevelissement couvert d'oubli au tombeau...
-
Si ce n'était cette peur de faire peur qui ne cesse de me hanter...
-
Vous m'encouragez beaucoup. De vos paroles si sensibles, si lucides, si proches et humaines. Sans emphase, sans fausse louange, dépourvues de toute velléité de flatterie. Sans réticence ni appréhension. Cela compte aussi...
Simples, sincères, tels qu'en vous même ils résident, issus de votre âme, vraie, vos mots viennent à moi pour me dire :
-
Cela m'est grand réconfort. Grand secours. Grande force.
Je vous en remercie,Rolande, très sincèrement.
-
MandraGaure - Fleur des Gibets :)
-
[RED_BAKKARA est mon pseudonyme d'auteur sur Internet]
-
Bonjour Red,
Encore un de ces poèmes qui nous révèle la face sombre de l'être humain. Et, ici, dans ce qu'il a de plus vil.
S'en prendre à l'innocence d'un enfant.
Nous sommes loin des scènes gracieuses de Greuze, très loin. Cependant, l'attitude de cet enfant ne laisse aucun doute sur ce qui s'est passé. L'expression du visage, les mains crispées, les vêtements en désordre....
Encore un magnifique poème qui nous lacère le cœur et réveillerait les plus endormis.
Il faut savoir dénoncer à défaut de pouvoir arrêter la stupidité de l'être humain.
Et tu le fais avec une sensibilité à nulle autre pareille. Avec, également, une écriture d'une poésie dense, rare.
Félicitations. Amitiés. Rolande.