Le bonheur retrouvé du théâtre de répertoire emporte.
La mise en scène emporte aussi, avec l’illustre de Guy Pion dans le rôle-titre.
Il est extraordinaire.
Aussi bon qu’un Michel Bouquet ou Louis De Funès au cinéma.
Fondateur du théâtre de l’Eveil, il a été nommé Meilleur Acteur pour Richard III au Théâtre du Parc en 2013-2014. Et la distribution qu’il emmène avec sa comparse Béatrix Férauge,
est éblouissante elle aussi. Une jeune première dans le rôle d’Elise :
Aurélie Alessandroni.
Avec la mise en scène de Patrice Mincke dont la lecture dramatique est très contemporaine et la scénographie très romanesque, et les décors et costumes signés Thibaut De Coster et Charly Kleinermann, voici « L’AVARE » de Molière plongé dans un néoréalisme presque fantastique bourré de rebondissements.
Un renouveau qui décoiffe, pour une pièce classique qui se jouait jadis en perruques dans les dorures de Versailles. Un décor d’épouvante revisité par Charles Dickens ou Mary Shelley ? La musique (Laurent Beumier) qui accompagne fait penser à Frankenstein.
Les dix comédiens du théâtre de l’Eveil expriment tout dans leurs mots, dans leurs corps, dans leurs courses, leurs élans, leurs chutes et leurs fuites funambules sur la double volée d’escaliers branlants de cette sombre demeure aux vitraux cassées qui sert d’unique décor. Un monde cassé. Une véritable maison hantée par l’avarice, par l’absence d’amour, mangée par les lézardes de l’incompréhension, viciée par les machinations infâmes pour économiser quelque sou ou pour procéder à quelque affaire juteuse. Au mépris total des gens. Tout le potentiel comique de Molière est là pour faire exploser l’imposture de l’argent et libérer un rire généreux face à l’avarice et aux avaricieux. Partout dans le monde maintenant, la maladie de la cupidité s’est étendue comme une perverse moisissure s’empare des moindres fissures et Cupidon, a bien du mal à se faire entendre!
Ce que l’on voit corrobore ce que l’on entend, les images scéniques se succèdent avec un sens aigu du rythme. Le placement et le mouvement des comédiens qui dévalent et remontent sans cesse les escaliers souligne le furieux désir de vivre et d’être. La menace de l’ensevelissement des jeunes rêves est palpable. La maison porte les traces de la misère et de l’abandon. C’est la mort de la mère de Cléante et Elise qui a fait basculer le père dans l’obsession de l’avoir. « Hélas mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami ! On m’a privé de toi, et puisque tu m’es enlevé, j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie ; tout est fini pour moi , et je n’ai plus que faire au monde ! Sans toi, il m’est impossible de vivre ! » Des rosiers grimpants morts courent sur la façade et renforcent le propos, et pourtant le propriétaire des lieux est richissime. Seul le maigre poêle à bois au centre du plateau semble pouvoir réchauffer les acteurs débordant de désir de vivre et d’aimer. On se croirait dans une pièce de Tchékhov!
Les jeunes ont un jeu en crescendo fantastique pour sauver l’amour et confondre la sordide cupidité. Patrice Mincke: «Après deux lignes, j’étais pris : je vibrais avec cette famille qui s’aime et se déchire, je m’attachais à ces ados si attendrissants et si insupportables, à ce père aigri mais touchant malgré tout et, surtout, je ressentais l’absence de cette mère défunte qui résonne dans chaque réplique. Le plateau devint alors, non plus cet endroit de passage indéfini qui permet de respecter l’unité de lieu, mais la pièce de vie centrale d’une maison concrète, un endroit où on se croise, on mange, on parle, on déballe, on s’engueule. Une maison avec une âme, qui jadis était habitée par un couple et ses deux enfants et qui est peu à peu partie à la dérive, devenant un lieu d’enfermement pour les jeunes et un terrain vague jonché de souvenirs pour le vieux. » Et en définitive, cet Harpagon, malgré ses richesses recouvrées, n’est-il pas infiniment seul, pauvre et pitoyable? Pathétique, sûrement. « Je veux faire pendre tout le monde ; et si je ne retrouve pas mon argent je me pendrai moi-même ! »
Lettre d’outre-tombe, le texte est magnifiquement compris, dynamisé, polarisé. A aucun prix on ne peut se priver de ce spectacle fondateur et de son message humaniste. Et oui, les racines de cet arbre qui court sur le balcon, sont loin d’être mortes! Plongez dans le bonheur actuel d’écouter Molière au mieux de sa forme!
Du jeudi 25 février au samedi 26 mars 2016 au théâtre du Parc
Avec :
Stéphane Fenocchi
Béatrix Férauge
Othmane Moumen
Guy Pion
Freddy Sicx
Simon Wauters
Yasnaïa Detournay
Patrick Michel
Camille Pistone
Aurélie Alessandroni
Photos d'Isabelle DE BEIR
http://www.theatredeleveil.org/lavare/
http://www.theatreduparc.be/Agenda/evenement/62/35.html
Commentaires
http://www.lecho.be/culture/scenes/Un_Avare_qui_n_a_pas_pris_une_ri...
Classique, forcément classique. Et actuel, comme il est coutume de l’affirmer à chaque fois que, depuis quatre siècles, on monte Molière. A moins d’affirmer avec Patrice Mincke qu’on peut désormais jeter sur "L’Avare" un regard serein, les choses ayant considérablement évolué...
"Heureusement, note le metteur en scène, l’Homme Moderne a légiféré en matière de prêt d’argent, et il ne sera plus permis aujourd’hui à aucun usurier - courtier ou banque - de profiter de la détresse financière de certains pour leur imposer des conditions malhonnêtes. Heureusement, nous avons aujourd’hui compris que cultiver l’Avoir au lieu de l’Être ne peut mener qu’au conflit, à l’aigreur, et à la solitude."
L’ironie, on l’aura saisi, ne manque pas dans la vision de celui qui, après avoir travaillé sur plusieurs textes contemporains, a été invité par le Parc à guider - autour de l’excellent Harpagon de Guy Pion - une imposante distribution. Coproduite par le Théâtre de l’Éveil et avec l’appui du CAS, cette nouvelle production rassemble Stéphane Fenocchi (Maître Jacques), Béatrix Férauge (Frosine), Othmane Moumen (La Flèche), Freddy Sicx (Anselme), Simon Wauters, Yasnaïa Detournay, Patrick Michel, Camille Pistone et Aurélie Alessandroni.
Le répertoire plus que le miroir
Les lumières de Laurent Kaye accentuent les reliefs du décor et des costumes imaginés par Thibaut De Coster et Charly Kleinermann : le délabrement d’une demeure jadis magnifique mais usée par l’avarice du maître des lieux. Les intermèdes musicaux aux accents électropop (Laurent Beumier) soulignent sans plus d’excès que de finesse l’actualité du propos. Où donc le calcul, la possession, l’intérêt priment en toute chose. Où le maître de maison préfère son or au bonheur de ses enfants.
Il semble pourtant que, parmi les ors et les velours de la belle salle du Théâtre du Parc, le public vienne moins rencontrer un miroir de ses démons qu’un répertoire qu’il connaît bien - et soupirer d’aise en entendant les répliques de ce tube toujours plein de sens mais dont les aspérités, avec le temps, paraissent émoussées.
Bruxelles, Théâtre royal du Parc, jusqu’au 26 mars, à 20h15 (dimanche à 15h). Durée : 2h10 entracte compris. De 5 à 26 €. Infos & rés. : 02.505.30.30, www.theatreduparc.be
On notera qu’au Parc, indépendamment du spectacle mais avec pour toile de fond le décor, aura lieu le lundi 21 mars à 20h15 la lecture-spectacle "Lire et relire les classiques", avec les comédiens Brigitte Dedry et Laurent Van Wetter, et des extraits choisis du répertoire littéraire mis en voix avec sensibilité. Infos & rés.: http://www.lalibre.be/page/scene