La première de « Don Pasquale » de Donizetti à Paris en 1843 signait aussi la fin de la tradition de l’opéra buffa du 19e siècle.
Alors que l’ « Elixir d’Amour » reste la plus succulente des comédies de Donizetti, cette œuvre qu’il écrivit quelques mois avant sa mort fait preuve d’une sagesse bienveillante et heureuse vis-à-vis de la vieillesse, qu’il traite avec une belle dose humour et d’humanité. Il y a dans cet opéra une touche dramatique extrêmement émouvante, admirablement interprétée par le personnage principal très travaillé, Don Pasquale, ah! le sublime Michele Pertusi!
L’histoire. Ernesto (Joel Prieto) veut épouser sa bien-aimée Norina, mais son oncle, Don Pasquale, veut qu’il prenne une femme plus noble, de sorte qu’il n’ait plus à prendre soin d’un neveu plutôt flemmard qui se promène en pyjamas. Mais Ernesto refuse. Sur quoi, Don Pasquale décide de prendre femme pour produire son propre héritier et ainsi se délier de toute obligation vis-à-vis du neveu impénitent. Le Docteur Malatesta, sacrement corrosif, propose de le présenter à une sœur putative qui n’est autre que Norina. Une fois dans les lieux, celle-ci met tout sens dessus dessous. Ce qui est magnifiquement exprimé par la mise en scène du Français Laurent Pelly qui applique la notion à la lettre, en apôtre fidèle de la façon d’écrire de l’Ecume des jours, …dans ses passages cruels et capture à la perfection l’esprit opera buffa. On se souvient de son « Don Quichotte » en 2010 et du « Coq d’Or » il y a deux ans, beaucoup plus poétiques.
Décor de Chantal Thomas, et lumières de Duane Schuler qui oppose les nuances de gris murailles aveugles avec l’invasion flamboyante de la dame des lieux quittant sa voilette ton sur ton, pour un tutu théâtral solaire or et orange. La féroce Sofronia/Norina est la reine des pestes et se lance dans des dépenses somptuaires, traite son mari - il y a un faux notaire (Alessandro Abis) – en bien pire que toutes les soubrettes du Bourgeois Gentilhomme, Avare et Malade Imaginaire confondues. Un sympathique corps des balais de tout âge produit un moment de respiration pleine de verve rebelle vis-à-vis de l’insupportable maîtresse. Un chœur joyeusement mené par Martino Faggiani. On adore ! The house‘s on fire. Le pauvre Don Pasquale, cherchant un moyen pour s’enfuir du chaos créé par sa femme, appelle le divorce de ses vœux. Cherchant conseil auprès de Malatesta, son fidèle docteur, solidement campé par un Lionel Lhote moustachu, intrigant et cynique, Pasquale s'aperçoit qu'elle a une affaire secrète. Il brûle de la découvrir en flagrant délit dans le jardin. Lorsque Pasquale confronte sa femme qui se révèle être Norina, à qui l'amoureux a apporté la lune, il est ravi de ne pas être marié, et souhaite dans une pirouette bienvenue, bon vent aux deux jeunes amants. Plus faucons que tourtereaux.
Cet opéra regorge de passages musicaux célèbres allant de l'aria d'ouverture de Norina au duo entre Malatesta et Norina, en passant par «Cercherò lontana terra» d'Ernesto, sa célèbre sérénade et le duo d'amour «Tornami». Dans le cast du 14 décembre nous n’avons pas eu le bonheur de nous délecter de l’adorable star Danielle de Niese remplacée alors qu’elle avait chanté la veille dans l’autre distribution par la soprano belge Anne-Catherine Gillet, une langue de feu qui n’hésite pas à chanter dans les positions les plus extravagantes. Mais le moment le plus pétillant de l'opéra est le soi-disant «duo Patter» dans lequel Malatesta et Pasquale ont l'intention de révéler l'infidélité de Sofronia. On demande aux deux hommes de chanter à grande vitesse des passages extrêmement rythmiques dans un tempo effréné. Cela conduit bien sûr à l’hilarité générale. Avec cela, moult claquements de portes émaillent l’histoire, on ne sait jamais de quelle trappe sortiront les personnages… Et le chef d’orchestre extraordinaire, Alain Altinoglu, sur lequel les yeux se posent à de nombreuses reprises, est le grand régisseur du rire musical et du comique de scène. La nouvelle déco sarcastique du salon du pauvre hère ressemble à bientôt à des pierres tombales et des fleurs de cimetière… C’est drôlement féroce, mais n’allez pas croire que cette production soit revisitée par Feydeau en personne, même si le metteur en scène est français. Pour la fin d’année, la Monnaie nous offre donc un humour un peu grinçant, emballé dans un cube en tranches de vie qui n’ont rien de très réjouissant, et l’on se prend à compatir avec un Don Pasquale au bout de son rouleau, qui de mari ridicule passe finalement pour une victime solidement égratignée par une jeunesse égoïste et sans états d’âme et qui ne réussit à s’en sortir … qu'à un cheveu.
DISTRIBUTION
Direction musicale ALAIN ALTINOGLU
Mise en scène et costumes LAURENT PELLY
Décors CHANTAL THOMAS
Éclairages DUANE SCHULER
Chef des chœurs MARTINO FAGGIANI
Libretto di Giovanni Ruffini e Gaetano Donizetti, tratto dal Ser Marcantonio di Angelo Anelli
Don Pasquale MICHELE PERTUSI
PIETRO SPAGNOLI (11, 13, 18, 20, 23)
Dottor Malatesta LIONEL LHOTE
RODION POGOSSOV (11, 13, 18, 20, 23)
ErnestoJOEL PRIETO
ANICIO ZORZI GIUSTINIANI (11, 13, 18, 20, 23)
Norina DANIELLE DE NIESE
ANNE-CATHERINE GILLET (11, 13, 14, 18, 20, 23)
Un Notaro ALESSANDRO ABIS
Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie
Académie des chœurs de la Monnaie s.l.d. de Benoît Giaux
Production SANTE FÉ OPERA (2014), GRAN TEATRO DEL LICEU (BARCELONA, 2015)
Présentation DE MUNT / LA MONNAIE
Commentaires
A Bruxelles un Don Pasquale contemporaneo | Il giornale della musica
Orgueil et préjugés A La Monnaie, Don Pasquale, de Donizetti, s’attendrit du sort cruel d’un vieux mâle amoureux sous l’allégresse de la brillante mise en scène de Laurent Pelly
PAR VALÉRIE COLIN Le Vif Numéro 50 13/12/2018
ll est riche, célibataire, septuagénaire et profondément convaincu qu’épouser une jeunette lui rendra cette énergie dont il commence à manquer. L’histoire est vieille com me le monde ; elle met encore toujours sardoniquement en joie. Les déboires affectifs d’hommes fanés ont tant et tant alimenté les arts et la scène qu’ils devraient rappeler à chacun que puiser son/sa partenaire dans le vivier d’une ou deux générations plus récentes est rarement un bon plan au théâtre. Parce qu’ils sont souvent avares, disgracieux, tyranniques, les barbons sont barbants. Et perdants. Et ridicules.
Mais voilà : Gaetano Donizetti, dans Don Pasquale (1843), son ultime comédie douce-amère (il l’aurait écrite en onze jours seulement, à un âge où, cinq ans avant sa propre mort, il sentait peut-être lui-même le vent de la vie tourner) a le chic d’ajouter à la farce ce qui la draine sans équivoque du côté du cœur : l’empathie.
Oui, son vieux garçon est formidablement grotesque, tout à son désir de jouir une dernière fois, coûte que coûte.
Mais au-delà du ressort comique, son histoire est bouleversante et mélancolique. Parce qu’il plonge protagonistes et public dans une forme de remords compassionnel lorsque s’ouvre, comme une évidence, le gouffre du constat d’échec de ce mariage tardif, parce que les mélodies orchestrales déchirent l’âme de tristesse et de désespoir intime, Don Pasquale est un chef-d’œuvre absolu.
Une maison de poupées
Grâce lui est rendue par Laurent Pelly, dont la mise en scène honore magnifiquement toutes ces délicatesses et ces blessures, enfouies sous l’humour du livret (que d’espiègleries ! ) et la pyrotechnie lyrique (ah, ces ornementations, ces coloratures, ces aigus typiques de l’opéra italien !). Dans un décor d’antique maison de poupées, qui sera bien vite mise cul par-dessus tête, Don Pasquale (Michel Pertusi, en alternance avec Pietro Spagnoli), affublé d’une moumoute et des tics du grand âge, goûte progressivement à l’enfer auquel le soumettent sa nouvelle moitié Norina (Danielle de Niese et AnneCatherine Gillet), vipérine et dépensière à souhait, et son amant Ernesto (Joel Prieto et Anicio Zorzi Giustiniani), un genre de Tanguy de luxe, en plus maniéré.
La palme de la cruauté revient sans aucun doute au docteur Malatesta, dont l’acharnement à faire capoter l’hymen de son patient Don Pasquale reste aussi effroyable qu’énigmatique. En doublure avec Rodion Pogossov, cynique à plaisir et en pleine forme vocale, le baryton Lionel Lhote incarne ce très vil ami de la famille à la perfection.
Alors, il faut sans réserve aimer ce Don Pasquale, et à plus d’un titre. Parce qu’Alain Altinoglu le dirige avec les yeux qui pétillent. Parce que cette œuvre est le dernier opera buffa majeur présenté sur une scène italienne au XIXe siècle, un chant du cygne, en somme, d’un genre inventé un siècle et demi plus tôt, où s’illustrèrent, entre autres, les maîtres Cimarosa, Mozart et Rossini – après, la comédie sera presque exclusivement reléguée à l’opérette. Mais surtout parce que derrière le rire perlent les larmes. Essai sur l’orgueil et la tragédie personnels, Don Pasquale invite à méditer l’inexorable réalité de nos pertes, et du temps qui fuit. Drôle ? Non. Mais tellement inspirant.
Don Pasquale, réussite totale à La Monnaie
Le 15 décembre 2018 par Pierre Jean TribotVenant après une Flûte enchantée très problématique et une De la maison des morts peu festive par nature, cette nouvelle production de Don Pasquale de Donizetti faisait office de bulles de champagnes bien en accord avec l’ambiance des fêtes de fin d’année. Il faut dire que l’affiche pouvait rassurer les plus sceptiques : Laurent Pelly à la mise en scène et Alain Altinoglu en fosse ! Un tandem qui a fait ses preuves à La Monnaie !
Co-production avec les opéras de Santa Fe et du Liceu de Barcelone, ce Don Pasquale est d’abord une réussite scénique qui ne prête pas au débat contradictoire ! Laurent Pelly est à son affaire dans cet opéra qu’il mène au rythme endiablé d’un vaudeville cinématographique. On se plait à admirer chaque petit détail d’une scénographie réglée au millimètre et qui creuse finement les caractères des personnages de l’oeuvre avec dérision, humour mais aussi tendresse. Le décor de Chantal Thomas est simple et astucieux et, utilisé avec grande compétence, il participe au bonheur dramaturgique de cette production.
Côté distribution, deux casts se succèdent sur scène bruxelloise. Attendue dans le rôle Norina, la star Danielle de Niese fut annoncée malade et remplacée par Anne-Catherine Gillet, son alter-égo de l’autre distribution. La soprano belge est merveilleuse dans ce rôle qu’elle assure avec une grande présence scénique et un style vocal parfait. Son amoureux Ernesto, chanté par Joel Prieto n’est hélas pas du même gabarit vocal, on regrette des aigus plutôt difficiles et un timbre peu caractérisé, même si physiquement le ténor est à l’aise dans cette mise en scène. Michele Pertusi est, comme toujours, un modèle dans un rôle dont il connaît toutes les facettes et qui lui permet de faire valoir son brio et son intelligence du chant. Lionel Lhote est également exemplaire en Dottor Malatesta, et il se meut à merveille dans ce personnage. N’oublions pas de citer Alessandro Abis, fort amusant dans le petit rôle du notaire. Les choeurs sont peu sollicités par cet opéra, mais on apprécie leur présence et leur homogénéité, bien préparés par Martino Faggiani.
Passant des redoutables difficultés de Janáček où il était apparu en difficultés, l’orchestre symphonique de La Monnaie fait belle figure sous la baguette galvanisante d’Alain Altinoglu. Cette oeuvre n’est certainement pas la plus difficile à diriger pour une baguette d’une telle envergure, mais le chef français sait mener ses troupes avec charisme et fine musicalité.
Bruxelles, Théâtre royal de La Monnaie, 14 décembre 2018
Pierre-Jean Tribot
Crédits photographiques : © Baus
Don Pasquale- Bruxelles(LaMonnaie)
Par Claude Jottrand | dim 09 Décembre 2018
Un metteur en scène de talent, d’excellents chanteurs, un chef énergique et une partition
inusable, il n’en faut pas plus pour passer une bonne soirée, devant un spectacle divertissant,
pétillant, léger, drôle, imaginatif, bref, épatant pour les fêtes !
Au départ d’un dispositif scénique extrêmement simple, un plateau tournant présentant tour à
tour l’intérieur et l’extérieur d’une maison, Laurent Pelly conçoit un spectacle très bien rôdé,
parfaitement fidèle au livret et à l’esprit de la partition, débordant d’énergie, truculent, sans
aucun temps mort. Certes, il utilise des trucs de métier sans doute abondamment vus ailleurs
dans de semblables vaudevilles – les portes qui claquent, les valises qui s’ouvrent toutes
seules, les personnages qui entrent systématiquement en scène là où on les attend pas – mais
qui font mouche à tous les coups. Il y ajoute quelques inventions nouvelles, comme le décor la
tête en bas lorsque Norina met littéralement la maison sens dessus dessous, créant un effet
comique irrésistible. Chaque moment de l’action est investi, travaillé, réglé au métronome,
chaque effet porte, entraînant le public dans l’hilarité générale. Il faut souligner aussi la
parfaite adéquation entre le travail de mise en scène et les effets de la partition, celui-ci
soulignant ceux-là, avec la grande complicité du chef. Derrière cette grande réussite, il y a, n’en
doutons pas, un travail minutieux, une fine analyse de chaque personnage, une grande
tendresse pour le pauvre Don Pasquale et à travers lui, pour les ridicules humains. Ceux qui
ont suivi le travail de Laurent Pelly ces dernières années (on se souvient des deux Massenet à
la Monnaie, Don Quichotte et Cendrillon, ou du Coq d’Or de Rimsky-Korsakov) ne seront pas
surpris de cette qualité, même si ce spectacle-ci n’explore guère la veine poétique, qui est une
grande force de ce metteur en scène.
La partition du Don Pasquale n’offre guère de défi majeur à l’orchestre. On soulignera
néanmoins le très beau travail réalisé par Alain Altinoglu et l’orchestre de la Monnaie, le soin
particulier apporté aux solistes de l’orchestre et ce dès l’ouverture, et l’attention très réactive
du chef à tout ce qui se passe sur le plateau pour faire coïncider exactement les intentions
scéniques et les intentions musicales. Les tempos sont vifs mais permettent la respiration des
chanteurs, vocalement très à leur aise ; l’orchestre rebondit sans cesse et assure la cohérence
musicale du spectacle.
L’œuvre comprend cependant des parties vocales très exigeantes, nécessitant une diction
italienne volubile et virtuose. Ce sont précisément les qualités de Michele Pertusi qui assume
le rôle titre avec brio : se jouant de toutes les difficultés techniques avec une redoutable
aisance, il campe un Don Pasquale à la fois ridicule et touchant, en parfaite adéquation avec le
personnage. Lionel Lhote qui lui donne la réplique en Dottor Malatesta n’est pas en reste : la
voix est ample et très bien timbrée, le chanteur trouve là un emploi qui lui sied parfaitement et
qu’il remplit avec verve, humour et une vivacité d’esprit tout à fait dans le ton de la mise en
scène. Un peu en retrait, le jeune ténor espagnol Joel Prieto (déjà près de 10 ans de carrière,
néanmoins) joue de son physique de latin lover et incarne un Ernesto plein de charme mais né
fatigué ; la voix manque un peu de caractère et de brillant dans l’aigu. Mais la vraie vedette du
spectacle, celle qui attire vers elle toute l’attention du public, c’est Danielle De Niese (Norina),
seule voix féminine de la pièce, dont l’abattage, la technique vocale irréprochable et le jeu très
imaginatif – sans parler d’un physique de star – ne peuvent que susciter l’admiration. Poussant
le rôle aux limites de la caricature, elle fait preuve d’un véritable talent de comédienne, déploie
une énergie considérable et un humour corrosif, insufflant à son personnage énormément de
caractère et de présence. Tout petit rôle mais parfaitement tenu, Alessandro Abis campe avec
dérision le faux notaire complice de Malatesta. Tout ce petit monde fonctionne en équipe,
comme une véritable troupe, avec une belle unité de ton et de style.
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