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Des funérailles.

 

Pierre avait laissé sa voiture à cent mètres du cimetière pour remonter lentement l’allée principale, et il s’était dirigé vers un groupe d’hommes qui attendait au bord d’une tombe. La dernière fois qu’il avait assisté à des funérailles au Cimetière du Sud, c’était il y a quelques années.

- Le voilà !

La voiture mortuaire remontait l’allée suivie par un groupe d’hommes et de femmes qui avait attendu à l’entrée que la voiture pénètre dans le cimetière. D’autres groupes attendaient dans l’allée à mi chemin, hésitant à se mêler au gros des suiveurs au visage de circonstance ou à se diriger vers ceux qui au bord de la tombe apparaissaient comme des proches véritables. Ils avaient le visage contrarié de ceux qui s’inquiètent du temps  perdu.

Un jour, une femme  de plus de soixante ans lui avait dit que le premier des amoureux qu’elle avait eus, et qui venait de mourir, n’avait jamais aimé qu’elle de toute  sa vie.  Elle, en revanche, ne l’avait pas aimé assez pour se lier pour toute la vie et il en avait épousé une autre. Il s’était passé trente-cinq ans depuis qu’il lui avait proposé de l’épouser.

C’était cette autre qu’il avait épousée qui le lui avait confié. L’autre avait dit :

- Il n’a jamais aimé que vous.

Pierre était tenté de sourire.

A la fin de la cérémonie des funérailles, quelques assistants étaient partis sans attendre. Ils étaient restés à trois. Des amis d’enfance. De ces amis qu’on appelle des amis de toujours. Tous les trois, ils avaient rêvé d’une carrière musicale. Dans l’arrière-salle d’un café qu’ils avaient baptisé le Blue Note, la guitare à la main, ils tentaient d’imiter Django Reinhardt qui était le musicien à la mode chez les jeunes intellectuels. En jouant, ils imaginaient déjà la file de leurs futures admiratrices.

Comme la plupart des jeunes gens ils avaient achevé leurs études sans bouleverser quoi que ce soit à leur destin. Un destin tracé par des parents qui disaient : il faut que jeunesse se passe. Les révolutions sont souvent plus verbales que véritables.

Pierre  avait quitté la ville cinq ans auparavant mais pour tous ceux qui étaient venus aux funérailles rien ne s’était passé de particulier. Il y a toujours quelqu’un qui vient ou qui s’en va.

Pierre avait réservé une chambre à l’Hôtel de la Cathédrale puis il s’était promené au hasard. Il avait envie de retrouver cette ville qu’il connaissait cependant depuis toujours. Une ville qui ressemblait à une olive et que l’Escaut partageait en son milieu. Une ville qui ressemblait à de nombreuses villes et dont des sites très anciens constituaient l’attrait des touristes.

C’est la nuit souvent que les villes révèlent leur véritable visage lorsqu’on en fait le tour à pieds sans raison précise. Les arbres des parcs, on dirait qu’ils ne respirent que la nuit, à peine si on les regarde durant le jour. Le fleuve, c’est la nuit qu’on l’entend, le jour ce sont les chalands et le coup de trompe de ceux qui se croisent mais on y fait peu attention. Les villes ne sont pas des êtres humains mais comme eux ils ont un double visage, celui du jour et celui de la nuit.

Souvent, il en est de même avec des femmes qu’on croyait sans surprise. On associe souvent l’image d’une ville à celui d’une femme. Toutes les deux ont leur mystère et leur jardin secret.

Celui de Pierre se trouvait sur une des rives de l’Escaut. Celle où les jeunes garçons emmènent les jeunes filles pour y échanger maladroitement de premiers baisers mouillés. Ou le cinéma de la rue Saint-Brice, un ancien théâtre dont le projecteur tremblotait lorsque le projectionniste avait bu une bière de trop. Les sièges du fond étaient occupés en priorité par des garçons accompagnés. L’ouvreuse ne les balayait jamais de sa torche lumineuse.

D’autres souvenirs encore dont il ne savait plus s’ils étaient réels ou imaginaires le traversaient. Dieu seul sait quel passé, il voulait reconstituer. Un passé que les jeunes gens sont les seuls à connaitre mais dont plus tard ils ne se souviennent plus.

Assister à des funérailles, c’est se souvenir.

Et mourir pour la première fois.

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Commentaires

  • Une nouvelle ciselée comme la mélancolie. J'aime beaucoup la chute.

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