Dorénavant, elle n’allait plus être qu’un vague souvenir dans l’esprit des clochards qui avaient collé leurs corps sur le sien, se soulageant des peines que leur apportait chaque jour leur pauvre vie. Georgette avait perdu la petite place qu’elle avait pu occuper dans la gare.
Ce matin-là, Bobotte toucha instinctivement le visage de sa mère. Elle sentit la peau froide et dure du corps sans vie. Malgré son très jeune âge, elle comprit immédiatement que sa mère avait abandonné le combat de la survie et qu’elle était partie sans même lui dire au revoir. Elle l’avait laissée là, dans cette cave dégoûtante que même les rats de son enfance avaient fuie.
Elle devait prendre une décision immédiate, elle savait qu’il ne fallait pas rester là à attendre des jours meilleurs qui ne viendraient sans doute jamais. Elle réunit ses quelques pauvres affaires et les fourra dans le vieux sac que sa mère utilisait pour transporter ses bouteilles. Elle baisa le front de la défunte et quitta cet endroit avec la ferme intention de ne plus jamais y revenir.
Immédiatement après qu’elle fût sortie de la cave, elle se mit à la recherche de son parrain Albert pour lui présenter ses projets de petite fille indépendante.
Très étonnamment, la gamine avait gardé la tête froide. La mort de sa mère ne semblait pas l’accabler.
Au moment des faits, Bobotte n’avait que huit ans. Cela ne l’empêcha pas de prendre une sage décision qu’un adulte, dans les mêmes circonstances, n’eût peut-être pas pu prendre. Elle projeta en effet de rejoindre Gognies pour y retrouver sa grand-mère maternelle qui, pensait-elle, la mettrait en contact avec son papa qui serait content de la retrouver.
Lors de leurs longues soirées d’hiver passées dans la cave humide, sous les tonnes de vieux vêtements qui les tenaient au chaud, lorsqu’elle n’avait pas trop bu, sa maman lui avait raconté des épisodes de sa jeunesse, ses premières années chez ses parents, à Gognies-Chaussée, un petit village situé sur la frontière entre la France et la Belgique.
Georgette avait embelli son aventure avec le Bob, histoire de se faire oublier à elle-même qu’elle l’avait vécue comme un cauchemar et que la cicatrice ne s’était jamais refermée.
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