CRIME ET CHÂTIMENT
du Mercredi 27 février au Samedi 23 mars 2013
« Que faisiez-vous dehors hier vers 19 h ? » « Les êtres exceptionnels, comment les distinguez-vous des autres ? » « J’ai tué un principe, pas un être humain ! »
Il y avait de nombreux écueils à contourner pour Alexis Goslain en adaptant pour la scène « Crime et châtiment », l’immense roman de Dostoïevski, patrimoine littéraire mondial. L’adaptation théâtrale se doit de ne rien ôter à l’essence du texte. La distribution se doit d’être brillante pour que chaque personnage puisse sublimer au mieux la souffrance humaine, physique ou morale. Illustrer avec force la violence du pouvoir ou de l’argent. Exposer les subterfuges minables des uns et des autres. Tout l’art sera de conduire le spectateur, sans le perdre dans les méandres de cet effroyable drame existentiel. Eviter le misérabilisme et le didactisme. Et le pari est amplement réussi.
Pas d’unité de temps ou de lieu dans ce décor qui ressemble à un puzzle d’échafaudages. Ce sont des mises à nu successives de l’âme de chacun des personnages, à plusieurs niveaux de la scène encombrée de podiums, trappes, escaliers et portes donnant sur le vide. Ainsi, l’aridité d’un décor intemporel laisse toute la place à la parole et au geste. On pourrait se demander de nombreuses fois si chaque comédien ne joue pas tour à tour en solo pour dévoiler, une à une, chaque épaisseur de son personnage. On a souvent l’impression que non seulement les spectateurs regardent mais aussi les autres personnages, en retrait, observateurs muets ou commentateurs discrets. Comme si cela se jouait sur plusieurs écrans de surveillance. La tourmente est partout à la fois. Des glissements, des fondus enchaînés, un enchaînement de misère. Des tableaux musicaux qui soulignent l’angoisse omniprésente. Aucune caricature, la justesse de ton va, pour chacun, s’amplifiant. Et des femmes remarquables de justesse de ton.
Maître de l’auto-suggestion, le jeune étudiant Raskolnikov, se prenant pour un être d’exception, a des envies de grandeur. Il s’autorise à tuer ceux qui sont des obstacles aux "progrès" de l'humanité. En plein délire, guidé par ses pulsions, il passe à l’acte sur scène. « In cold blood » il tue à coups de hache la vieille usurière qui lui a soutiré la montre de son père. Musique de thriller à l’appui. Un bain de sang. Lutte vitale pour lui : « Kill or be killed. » Mais Caïn est traqué, à perpétuité, étouffant de culpabilité, rongé par le remords et la faiblesse. Sa seule issue sera Sonia, la jeune victime au cœur et au regard purs qui, toute petite, a été contrainte de vendre ses charmes pour faire subsister sa famille. Une figure de la compassion infinie et d’acceptation de la souffrance qui accueille le criminel sans juger. « Et tu me prends dans les bras ? » Le jeune homme est aussitôt converti, s'agenouille devant elle et lui baise les pieds, prêt à expier son crime. Lui le théoricien dur qui s’était si bien affranchi de la morale commune. « il existerait sur terre, disons, certaines personnes qui ont le droit le plus total de commettre toutes sortes de désordres et de crimes et, soi-disant, elles seraient comme au-dessus de la loi..... il y a les hommes ordinaires, c'est à dire un matériau, de nature conservatrice, respectueux de l'ordre, des hommes qui vivent dans l'obéissance, c'est leur devoir d'obéir. La deuxième catégorie, ce sont des hommes qui enfreignent la loi, ce sont des destructeurs. Les crimes de ces hommes sont relatifs et multiformes.... ils exigent la destruction du présent au nom d'un avenir meilleur ». En fin de compte, il s’aperçoit qu’il ne fait pas partie des grands de ce monde, il est juste minable mais magnifique dans son repentir et son désir de rédemption.
Face à lui et complètement insolite il y a Porphyre Petrovitch ce juge-policier, cet enquêteur philosophe, sorte de commissaire omniscient de série policière télévisée. D’où le choc ! Des anachronismes se mêlent à l’historicisme. La vérité qui s’épanche du cœur des personnages doit éclater. Personnages traqués, mères et filles s’empoignent ou s’adorent. Les hommes rôdent, le désir affûté. L’ignoble Loujine resserre ses pièges machiavéliques. Le pauvre père alcoolique roule sous un charroi. En contrepoint, l’ami fidèle, Razoumikhine « le plus gentil de la terre » s’escrime à faire le bien… Tandis que coule, tranquille la Neva. Dans ce décor, pas de ciel, juste la Neva qui charrie le malheur des hommes, long fleuve de bleuté glacée. Panta rhei… Superposition des tableaux, profondeur de champ, ubiquité et profondeur de la misère.
Cette pièce forte et lucide, au rythme haletant ,est une proposition novatrice d’Alexis Goslain magistralement interprétée. Des comédiens ardents, au potentiel théâtral éclatant, défendent leur personnage avec une énergie vitale. Tandis que coule, tranquille, la Neva, les spectateurs applaudissent en scandant sur le rythme de « Riders On the Storm ». Encore un thème musical particulièrement bien choisi.
http://www.comedievolter.be/index.php?page=crime-et-chatiment
Splendide distribution: Chloé Struvay, Sarah Woestyn, Michel de Warzée, Bernard d’Oultremont, Bruno Georis, Mathieu Besnard, Bernadette Mouzon, Jacqueline Bollen, Julien Devisscher, Nicolas Legrain, Xavier Percy et Sergio Zanforlin
Adaptation & Mise en scène : Alexis Goslain
Assistant à la mise en scène : Nicolas Legrain
Scénographie & Costumes : Noémie Breeus
Musique originale : Pascal Charpentier
Création lumières & Régie : Sébastien Couchard
Construction des décors : MCB Atelier
Commentaires
Spectacle rythmé, aux phrases courtes et nerveuses, aux sentiments exaltés, servi par une interprétation sans faille, des acteurs d’une présence formidable de bout en bout, une énergie et un désespoir tout aussi intenses, Crime et Châtiment derrière sa trame policière est un drame slave, dans toute la beauté et la grandeur classique du mot, qu’il se faut de découvrir de toute urgence tant le travail d’Alexis Goslain et de la troupe de la Comédie Volter (Chloé Struvay (délicate Sonia, victime au cœur pur), Mathieu Besnard (impressionnant Raskolnikov), Michel de Warzée (tout en finesse en Porphyre Petrovitch, sorte de Columbo d’un autre siècle), Bernadette Mouzon (la mère), Bernard d’Oultremont (d’une incroyable et lumineuse présence en Razoumikhine, l’ami fidèle), Bruno Georis (excellent en ivrogne philosophe), Jacqueline Bollen (revêche à souhait en usurière et démonstrative Katerina Marmeladova ), Sarah Woestyn (Dounia Raskolnikova), Xavier Percy (joliment rigide Loujine), Nicolas Legrain, Julien De Visscher (impeccable jeune peintre) et Serge Zanforlin) mérite vos applaudissements et d’être joué bien plus loin que les limites de Woluwé St Pierre.