Sans l’ombre d’une hésitation Arts et Lettres accorde 5 étoiles à ce fabuleux Hamlet absolument frénétique et échevelé, dont la mise en scène est signée par un maître de la flamboyance théâtrale, Thierry Debroux. Celui-ci gagne haut la plume son pari d’ouvrir au plus grand nombre, la voie royale des chefs-d’œuvre immortels. Chacun, chacune peut se laisser traverser à loisirs par le génie de ses mise-en scène qui révèlent le texte sous des éclairages résolument modernes et novateurs sans pour autant trahir la pensée de l’auteur. Mélange habile : le texte de Shakespeare, dont Thierry Debroux a chassé les archaïsmes pour ne pas effrayer les plus jeunes, est épicé de bribes de conversation domestique et permet à qui n’a jamais mis les pieds au théâtre de goûter chaque mot prononcé sur scène, d’apprécier les problématiques et de se laisser gagner par la magie de l’œuvre. Le découpage de la pièce va à l’essentiel et met en lumière les personnages fondateurs du drame.
Innovation renversante : Hamlet, le plus grand des Danois est devenu russe ! Le cadre choisi est un glissement d’époque qui conduit à la nôtre. Elseneur flirte avec Saint-Pétersbourg, le couple royal shakespearienne flirte avec les Romanov… ou les dictatures ultra-modernes. Hamlet a décidément l’âme slave avec ses souffrances extrêmes - selon Dostoïevski, "le besoin spirituel le plus élémentaire du peuple russe est la nécessité de la souffrance" - ses désespoirs sont affolants et ses folies ravageuses. La vigilance rend-elle fou ? Les multiples coiffures ébouriffées de sa crinière indomptée témoignent de son instabilité et de l’extrême sensibilité de ses perceptions. Se laisser pousser la barbe, dans la culture russe à l’époque, c’est un signe de révolte contre le diktat de l’Etat. Et pour le verbe, quel savoir-faire et quel rythme dans sa sensibilité exacerbée! Je ressens donc je suis!
Mais Hamlet, alias un fulgurant Itzik Elbaz, sans qui, Thierry Debroux n’aurait jamais tenté l’aventure, c’est aussi Roméo, lorsqu’il pose sa tête sur les genoux d’Ophélie et lui livre son immortelle et vertigineuse confession intime, à laquelle il donne des résonances encore plus troublantes... Il se sent à la fois dans le désir et dans l’obligation de la fuir pour la protéger.
Ophélie, prisonnière de la condition de la femme, soumise aux exigences de l’autorité paternelle et rendue folle d’amour pour Hamlet, ira elle jusqu’au bout de sa folie, accomplissant le geste fatal. En revanche, le rêve de vengeance d’Hamlet, qu’il maquille par une folie absolument crédible, se termine quant à lui par un salto mortale dans le gouffre de l’extrémisme radical. Car lorsque le pouvoir, la jalousie, la vengeance, le rejet des compromissions, l’extrémisme « éliminent les autres sentiments ils deviennent eux-même immense folie! ». A peu de choses près, Hamlet réussit son coup d’état, sauf que la Destinée en décide autrement et que la pièce se terminé par un immense carnage…. « Et le reste est silence. »
Tout aussi admirable dans l’interprétation de son rôle, nous avons Anouchka Vingtier dans le rôle d’Ophélie à l’admirable coiffure tressée avec soin par des mains de fées. Vêtue d’une robe de soie bleue comme la rivière ou le manteau de la Vierge, ne dit-elle physiquement par ses silences et ses postures le dénigrement séculaire de la condition féminine? A l’instar des femmes décrites par Velasquez, elle est raide, sans maquillage, paralysée par l’effroi et l’horreur de sa condition de femme, écartelée entre son désir amoureux et l’obéissance au père. On souhaite que sa soumission, sa folie avérée et le destin fatal qu’elle choisit radicalement, nous fera réellement réfléchir.
Tout aussi emblématique est l’affolement de la reine Gertrude, complice de Claudius, interprétée par Jo Deseure. Si elle est devenue la propriété charnelle du roi usurpateur, et même son animal de compagnie ( il l’appelle « sa souris ! ») elle attire la sympathie pour ses inquiétudes haletantes de mère tourmentée. « Ne puise-t-elle pas « toute sa vie dans les yeux de son fils ? » Ne va-t-elle pas elle aussi, friser la folie? La chevelure et le jeu de ses expressions égarées en témoigne! Encore un savant clin d’œil de l’artiste maquilleur et coiffeur, Bouzouk.
Pour en venir à Claudius (Serge Demoulin), meurtrier mondain, il est coiffé comme un prince galant. Le dictateur, splendidement vêtu, froid et résolu, installe à tout moment la surveillance. Il symbolise le visage d'un ordre social cruel : la violence d’état écrase toute forme de résistance ou d'opposition. Il étale ses manières courtoises pour mieux ourdir ses mortelles machinations, sûr de sa réussite. Son sang-froid, sa maîtrise et sa duplicité laissent pantois. Serge Demoulin qui l’habite au mieux, retrouve toute son humanité dans la scène de repentir devant Dieu, jouée au pied des icônes de la cathédrale orthodoxe. C’est à ce moment qu’ Hamlet perd l’entendement et la partie: il a abaissé son glaive, non par pureté de cœur, mais de peur que le scélérat, par sa confession, ne rejoigne malgré tout, un paradis immérité. Là, comme dirait Sophocle: flagrant défaut d’hubris !
Il serait injuste de ne pas aussi donner la palme aux trois autres comédiens qui contribuent de façon irréprochable à cette tragédie : Fabien Finkels, toujours aussi attachant, que nous avions encensé dans le « Faust » de Goethe à l’affiche du théâtre du Parc l’an dernier et l’impétueux Adrien Letartre dans les rôles d’Horatio et Laërtes. Et aussi Christian Crahay, un Polonius, superbe archétype du père despotique, qui rampe devant l’autorité et se fait tuer, pris pour un « rat ».
Mais revenons encore sur cette mise en scène impeccable où les musiques de David Lempereur, le travail scénique sur deux niveaux de galeries, et les inventions poétiques et allégoriques ne cessent de captiver. Les costumes sont signés Anne Guilleray. Vous aussi serez hantés par les jeux de lumières fantomatiques, la multitude de miroirs traversés, le frisson de la rivière fatidique, et par les autres personnages typiquement shakespeariens qui ont eux aussi de belles histoires à vous faire savourer! Aux lumières : Laurent Kaye et à la scénographie : Vincent Bresmal.
http://www.theatreduparc.be/Agenda/evenement/57/48.html
Dates: du 14 septembre au 21 octobre 2017
Lieu: Théâtre Royal du Parc
Rue de la Loi, 3 1000 Bruxelles
Contact:
http://www.theatreduparc.be
info@theatreduparc.be
02-505.30.30
Commentaires
https://branchesculture.com/2017/10/22/hamlet-adaptation-theatre-ro...
Scénographie :
Vincent BRESMAL
Demandez le programme , Jeudi 28 septembre 2017, par Jean Campion
Un "Hamlet" accessible et convaincant
Créée probablement en 1603, la tragédie d’ "Hamlet" a été mise à toutes les sauces. Le programme, publié par le théâtre du Parc, dresse un inventaire impressionnant de ces curieuses transformations. Le premier à incarner le jeune prince du Danemark était un vieil acteur bedonnant. Au 17e siècle, Thomas Betterton battit un record, en endossant le rôle de 22 à 72 ans. Et Sarah Bernhardt arracha des larmes au public français par son jeu emphatique. Opposition des morphologies mais aussi des adaptations et des conceptions de ce personnage complexe. Héros, tour à tour, romantique, classique, politique, il fait les délices des psychanalystes. En proposant, dans une langue moderne et vigoureuse, une version raccourcie de la tragédie de Shakespeare, Thierry Debroux n’a pas cherché à imposer une orientation. Sa mise en scène vise à exploiter "l’inquiétude et le tourment qui semblent habiter l’acteur idéal : Itsik Elbaz".
La cour de Russie fête le nouveau roi Claudius. Prostré sur le cercueil de son père, Hamlet ignore cette liesse. Il est révolté par la rapidité avec laquelle son oncle a épousé sa mère. A ce mariage, on a servi froides, les viandes cuites pour l’enterrement de son père ! Averti par son ami Horatio, Hamlet se rend à l’endroit où, depuis deux nuits, apparaît le spectre du roi défunt. Celui-ci, accusant Claudius de l’avoir empoisonné pour s’emparer de son trône et de sa femme, demande à son fils de le venger. Mission acceptée. Pour déjouer les soupçons de Claudius, Hamlet feint la folie. Il nargue, par ses provocations de sale gosse, Polonius, le conseiller du roi et désespère sa fille Ophélie : il prétendait l’aimer et la pousse maintenant à entrer au couvent. Cependant ce comportement incohérent traduit aussi son désarroi devant l’existence et reflète son manque de détermination.
Pour vérifier l’accusation du spectre, Hamlet invite sa mère et Claudius à assister à une pièce interprétée par des comédiens complices. Durant la représentation de son crime, le roi, troublé, quitte la salle. Plus de doute. Pourtant l’épée d’Hamlet ne s’abattra pas sur le félon : si Claudius était tué durant sa prière, il sauverait son âme. Un raffinement de haine qui justifie la démission d’Hamlet. Conscient qu’il n’est pas un homme d’action, il espère toujours fortifier sa résolution. Itsik Elbaz insuffle à ce prince instable une énergie farouche. Il semble dominer son entourage par son insolence, sa brutalité, son humour grinçant et son goût pour la simulation, mais on le sent fragile et tourmenté.
En négligeant les menaces qui pèsent sur le royaume et en réduisant la distribution, Thierry Debroux concentre notre attention sur les rapports entre Hamlet et ses proches. Dans son élégant uniforme, Claudius (Serge Demoulin) apparaît comme un roi serein, protecteur de son épouse et de son neveu. Mais c’est un monstre deduplicité, fomentant, avec un sang-froid terrifiant, complots et empoisonnements. Une scène pourtant le montre capable de repentir. Sous la coupe de son mari, qui l’appelle "ma souris", la reine Gertrude (Jo Deseure) est une mère aux abois. Dépassée par la folie de son fils. Ophélie (Anouchka Vingtier), tiraillée entre son obéissance à son père et son amour pour Hamlet, voudrait les sauver tous les deux. Un désir balayé par le destin. Polonius (Christian Crahay) est un chambellan zélé. Sourd aux espoirs de sa fille, il est totalement dévoué au roi et meurt accidentellement. En chien fidèle.
Le dispositif scénique est sobre et efficace. Une galerie, des marches, des panneaux coulissants permettent de passer souplement d’un lieu à un autre. Le rythme soutenu n’empêche pas chaque séquence de s’épanouir. Certaines, comme "Le meurtre de Gonzague", jouée par les saltimbanques, l’enterrement d’Ophélie ou le duel final se chargent de poésie. Il fallait s’y attendre : des projections épaississent le mystère des apparitions du spectre. D’autres effets lumineux nous sortent du cadre réaliste. Invités par Polonius à se lever pour applaudir le roi Claudius, les spectateurs jouent le jeu. Cette complicité répond à l’objectif visé par le metteur en scène : aider le public à apprivoiser une tragédie réputée difficile. Il y parvient grâce à une refonte intelligente de l’oeuvre de Shakespeare, à la maîtrise de son équipe technique et au talent d’excellents comédiens.
Jean Campion
Aurélia , membre de http://www.demandezleprogramme.be/Hamlet-19274#forum12069
Hamlet, au Théâtre Royal du Parc jusqu’au 21/10/2017.
Petite interprétation personnelle ;-)
"Qu’y a -t-il de plus noble ? Subir sans broncher les injustices du destin et les flèches de la fortune changeante ? Ou s’armer contre un océan de douleur par le refus et la révolte ? Ou bien tout simplement mourir ?" (William Shakespeare, qu’est-ce que je l’aime celui-là !)
Mon avis ? Subir, certainement pas ! Non, reconnaissons notre douleur, les parts d’ombre de l’humanité que nous portons également en nous-mêmes, acceptons notre colère qui refuse cette douleur, ces injustices.. Agir ? Oui ! La colère est un élan de vie, bien meilleure que le subissement des fatalités qui signifie déjà mourir.
Je ne condamne pas la colère, elle est un excellent moteur quand on s’en sert.
Soyons juste vigilants à ce que ce ne soit pas elle qui se serve de nous. Sans quoi, nous perdrions et détruirions ce que nous avons de plus cher : notre "Ophélie" à nous, la chance que nous avons et que nous gâchons tout seul. Ouvrir les yeux sur cette chance, cultiver et remercier ce qu’on a déjà et planter d’autres graines n’est en rien faire injure à ce/ceux que nous avons perdu. Ce n’est pas nier la souffrance ni oublier nos morts et nos pertes. Ce n’est pas oublier les gens qui souffrent ni arrêter d’œuvrer pour eux.
Mourir ? Oui mais à soi-même et ses parts d’ombre pour mieux renaître de ses cendres lumineuses, mourir à ses anciens fantômes qui nous hantent, lâcher ses schémas et croyances obsolètes qui nous tirent vers le bas et nous engluent dans le sable émouvant d’un passé révolu.
Oui mais, me diriez-vous, comment faire honneur à cet Amour passé, sans se venger, sans se consumer ? Faire Honneur à la Vie, ça c’est Noble, pour ne pas devenir la main qui a détruit notre part aimée, ne pas se substituer à nos rois sanguinaires qui ont tué nos pairs, fût-ce le roi Théo Francken, ne pas devenir à ce point Godwin, afin que God wins ou l’Amour si tu préfères.
J’imagine un Hamlet prenant sa souffrance par la main - et son Ophélie par l’autre - pour s’en faire une alliée sur le trône afin de chasser l’infâme assassin et ainsi reconstruire ce que son père avait entamé avant lui-même, au lieu de devenir et de perpétuer, par la vengeance, l’oeuvre de ce Claudius qui se consumera par lui-même qui ne s’aime et d’assister au spectacle sa con-science qui le tuera à petit feu. Je suis d’accord, cela demande une Force, une Sagesse et un Courage inouïs. Mais cette force, nous pouvons la puiser dans notre Folie et dans la Passion de nos Amours pour les êtres perdus et Présents, de ceux qui ont encore besoin de Nous, à commencer par soi-m’aime. Ça, pour moi, c’est être Noble. La vengeance ? D’accord, mais remonter sur le Trône, reprendre sa Juste Place, être Heureux malgré tout et être indifférent face à ce führ-oncle que l’on aurait chassé à gros coup de bottes, cela est, pour moi, le plus percutant des "meurtre horrible et monstrueux" commandé par le Père. Cela lui rendrait davantage justice que de "simplement" couper le souffle de ce monstre.
Etre ou ne pas être, telle est la question brûlante dans cette période chaotique. Exister par de nobles et belles valeurs dans un Nouveau Monde que nous créons ou s’annihiler avec ce système obsolète et dénué de sens qui s’effondre, de toute évidence, devant nos yeux ?
Ce qui est sûr, c’est qu’Itsik Elbaz qui incarne ce personnage ne joue pas, il EST. Qui plus est entouré d’excellents comédiens et d’une magnifique scénographie (décor, costumes, chorégraphie, mise en scène). Cette touche de décalage, cette pointe de modernisme, ce brin de folie et d’humour ajoutent un rayon de légèreté qui s’accorde parfaitement à cette atmosphère orageuse et apocalyptique, sans rien ôter à la profondeur du propos. Bref, c’est au théâtre du Parc Royal jusqu’au 21/10. Courrez-y ! ;-) Réservations : 02/505.30.30
La politique de Thierry Debroux à la tête du Théâtre du Parc porte indubitablement ses fruits : le public répond en nombre, toutes générations confondues, à ses propositions puisées tant dans le répertoire que dans la création pure, souvent nourrie de figures populaires.
Ouvrant sa saison 2017-2018 avec "Hamlet", il en livre une adaptation volontairement accessible à tous, dès dix ans. "S’ils ont compris ‘Le Roi Lion’, ils comprendront ‘Hamlet’", sourit volontiers le metteur en scène. De l’indéboulonnable tube de Shakespeare, voici une version raccourcie, recentrée sur l’intrigue première : le prince Hamlet est convaincu par le spectre de feu son père qu’il a été assassiné par son oncle Claudius, le frère du roi, s’adjugeant d’abord sa couronne et bientôt son épouse. De la folie qui le guette, Hamlet fait son alliée, son costume, l’arme de sa vengeance, erreurs et dommages collatéraux inclus, jusqu’à l’hécatombe.
Du XVIe au XIXe siècle
Pièce gigogne composée entre 1599 et 1602, probablement sur base d’une légende scandinave elle-même diversement adaptée, "La Tragique Histoire d’Hamlet, prince de Danemark" demeure une énigme passionnante à laquelle maints metteurs en scène brûlent de se mesurer. Le parti pris par Thierry Debroux, pour généreux qu’il soit, gomme bien des aspérités affûtées par Shakespeare. Quant à l’option d’inscrire l’intrigue dans la Russie du XIXe siècle - si l’on admet qu’une grande œuvre traverse avec puissance les époques qui l’embrassent -, elle ancre le spectacle dans une esthétique séduisante sans guère en étendre ou en creuser le sens. Tout au plus le registre dramaturgique s’étend-il jusqu’à la farce (pour les scènes de folie) et au grand-guignol (le spectre et sa voix d’outre-tombe).
C’est là qu’à nos yeux pèche cette production, ou du moins là qu’elle rencontre sa limite. Sa visée large (noble aspiration) s’assortit de tiédeur, en dépit de l’incandescence du personnage et de son interprète. L’Hamlet d’Itsik Elbaz scintille et se consume tout à la fois. Brillant, ombrageux, fantasque, l’acteur condense dans cette figure de prince orphelin, d’amoureux cruel, de vengeur masqué, le théâtre lui-même : le trouble qu’induit celui qui feint la folie, la tromperie et la sincérité, le tourment et la spontanéité, l’enfance et la manigance.
L’ensemble de la distribution est à l’avenant, avec notamment Jo Deseure (Gertrude), Serge Demoulin (Claudius), Christian Crahay (Polonius), Anouchka Vingtier (Ophélie), Fabian Finkels, Camille Pistone, Adrien Letartre, Valentin Vanstechelman, rejoints par des stagiaires du Conservatoire de Bruxelles.
Vincent Bresmal à la scénographie et Anne Guilleray aux costumes signent la cohérence visuelle, la belle élégance de l’ensemble, sous les lumières de Laurent Kaye. Sans oublier la chorégraphie du combat final par le maître d’armes Jacques Cappelle.
---> Bruxelles, Théâtre royal du Parc, jusqu’au 21 octobre, à 20 h 15 (dimanche à 15h). Durée : 2 h 30, entracte compris. De 5,5 à 27 €. Infos & rés. : 02 505 30 30, www.theatreduparc.be
Thierry Debroux a composé une version sobre de la tragédie shakespearienne. Mais attention : sobre ne veut pas dire atone.
Jusqu’au 21 octobre au Théâtre du Parc (Bruxelles).
<cci:mls_stars_3 class="macro" displayname="MLS_ETOILES_3" name="mls_stars_3">Résumons l’intrigue d’ Hamlet : tout le monde meurt à la fin. Seulement voilà, c’est tout un art de faire caner une faune shakespearienne. Echafauder les abîmes de trahisons et de vengeance où héros comme usurpateurs vont se rompre le cou, tisser le tissu de démence qui étouffera un royaume entier, construire un plateau comme un fossoyeur apprête son cimetière.
Pour ce faire, Thierry Debroux a laissé de côté les dispositifs ludiques, décors cinématographiques et autres effets spectaculaires auxquels il nous avait habitués pour composer une version sobre de la tragédie shakespearienne.
Attention : sobre ne veut pas dire atone. Si le cadre est resserré, si les costumes font dans la classique simplicité, Hamlet, lui, est une explosion de fureur. Avec une folie vagabonde, Itsik Elbaz en fait un sale gosse, éhonté et fort en gueule. Cheveux hirsutes ou plaqués en couettes grotesques, le comédien imprègne ce qu’il faut de tempérament volatile et rageur à son personnage, érigeant à lui seul une tension diabolique. On regrette que certaines répliques cultes (« Etre ou ne pas être » notamment) passent inaperçues dans cette course infernale, faite de vindicte et de complots, mais sa légèreté démentielle a le mérite de mener tambour battant une intrigue touffue.
Les puristes noteront les raccourcis du texte ou les allègements de la langue mais les novices se délecteront d’un « digest » élégant, qui a fait le choix d’un romantisme appliqué plutôt que d’une interprétation déjantée ou politique.
D’intrigantes projections vidéo nimbent de mystère l’apparition du spectre qui hante Hamlet. Des excursions circassiennes animent avec humour la représentation théâtrale qu’organise Hamlet avec des saltimbanques pour confondre Claudius, meurtrier de son père. Les traditionnels combats d’épée résolvent avec tonus et conviction le cataclysme annoncé.
Quant à la distribution (Serge Demoulin, Jo Deseure, Anouchka Vingtier, etc.), elle navigue avec aisance, et un jeu étonnamment terrien, sur les sables pourtant mouvants de la folie, patiemment tressée de vengeance, de pouvoir et d’amour impossible.
Théâtre Royal du Parc
rue de la Loi, 3
1000 Bruxelles
Belgique
Thierry Debroux : Il y a peu de metteurs en scène qui ne rêvent pas de se confronter un jour au chef d'oeuvre de Shakespeare.
Personnellement , j'attendais avec impatience d'avoir trouvé l'acteur idéal à mes yeux pour prêter son corps , sa voix , ses émotions , sa part d'ombre au passage du Grand Will.
Et puis soudain , Itsik Elbaz s'imposa comme une évidence. Il y quelque chose d'infiniment mystérieux chez lui et outre son talent immense et la fragilité qu'il dégage sur le plateau, il y cette inquiétude, ce tourment qui semblent l'habiter et qu'il n'est donc plus nécessaire de " jouer ".
http://lesfeuxdelaramperogersimons.skynetblogs.be/archive/2017/09/1...
Thierry Debroux aime raconter des histoires, de façon telle que nous les vivons réellement, impatients de découvrir ce qui va arriver, surpris de la façon scénique dont ça arrive. Ophélie perdant la raison, chantonnant ses mots hébétés, Ophélie figée dans un bloc d’eau glacée descendant lentement des cintres aux sons d’une liturgie orthodoxe – émotion et superbe Anouchka Vingtier ; les comédiens-bateleurs réquisitionnés parHamlet – farce. Tout va très vite : des coupures judicieuses dans le texte, un jeu dynamisé, des enchaînements sans temps mort. Cette mise en scène est shakespearienne : à l’écoute du texte, elle en restitue le comique comme le tragique, revenant aux sources de ce théâtre qui devait accrocher l’attention d’un public disparate. Oui mais pareil livre d’images animées (aux splendides couleurs/lumières) n’est-il pas réducteur ? Pas dutout ! Au contraire, il n’emprisonne pas le spectateur dans un concept intellectualisant : le réjouissant, dans les rires comme dans les larmes, il lui laisse la liberté de ses propres conclusions quant aux personnages. Ainsi, de la folie d’Hamlet, magnifiquement incarné dans toute son ambiguïté par Itsik Elbaz. Quelle énergie, quel engagement dans son jeu multiplié. Il s’agit bien en effet de « jouer » ! Un théâtre pour tous !
Les théâtres de Stéphane Gilbart
Crédit photos : Zvonock Light Knight