Réveille-moi, coq matinal,redouble ton chant bizarre. Je veux jouir du lever de l'aurore. Et je dirai alors à l'étoile qui
brillera sous le firmament :" Je te salue, astre de nos bergers, je te salue; sois toujours le signal favorable qui
m'annonce l'arrivée de Mirtil.
Et je te consacrerai mes chansons du matin: elles me seront inspirées dans la plus belle heure de ma vie."
Fleurs qui venez d'éclore, oiseaux qui gazouillez d'un ton ton si doux, aubépine parfumée, verdure couverte de perles
transparentes, et vous, nuages azurés, vous m'annoncez un nouveau bienfait du ciel: en vous voyant, je goûte le
plaisir d'être et mon coeur s'agite dans mon sein comme le jeune ramier au retour de sa mère.
...Existence précieuse, il faut savoir, sans murmurer, vous rendre à l' Eternel; mais loin de nous, l'homme cruel qui cherche à précipiter votre fin: ses derniers regards porteront l'effroi dans le coeur innocent.
...J'entends les pipeaux rustiques; ils précèdent les moissonneurs.
Aimable gaîte, compagne du berger vertueux, viens toujours l'aider dans ses travaux. Et toi, fidèle amitié, fais-le reposer dans tes bras et essuie son front brûlant avec des feuilles de roses.
Quel changement dans la nature, une seule aurore a produit !
Hier, au coucher du soleil, la terre conservait encore une couleur sombre. Les arbrisseaux dépouillés de verdure n'offraient aux yeux que l'image de la privation; les hôtes aimables des bois essayaient leur gosier flexible, sans pouvoir
former un ramage agréable. L'oiseau de la tristesse, le noir corbeau planait encore, en croassant, sur nos plaines
arides et le berger ramenait son troupeau, sans égayer son retour par les chants du plaisir.
Cependant, l'aube du jour, plus active et plus brillante, répand sur l'horizon son éclat enchanteur. A mesure que le sommeil abandonne mes paupières, je sens, dans tout mon être, un doux frémissement qui m'annonce une saison nouvelle. La piquante froidure ne me retient plus auprès de mon humble foyer. La voix bêlante de mes jeunes agneaux s'est fait entendre aussi tôt que le chant du coq. Le réveil de la nature a rendu le mien facile. J'ai pris plus gaiement ma panetière et ma houlette, et mes pas ont été plus légers en courant à ma bergerie.
Quel spectacle ravissant s'offre à toi, fille d'un pauvre berger ! Le roi de ta contrée n'est environné que des prodiges de l'art et tu jouis des trésors de la nature. Ces biens se renouvelleront sans cesse; et le temps, qui ravage et réduit en poussière l'ouvrage de l'homme, ajoutera , s'il est possible, à l'ouvrage d'un dieu.
Quelle main bienfaisante a couvert nos vallons de fleurs et de verdure ? Quelle est cette nuance agréable qui distingue le rosier des autres arbustes qui l'entourent ? pourquoi le lilas précoce offre-t-il déjà l'espoir de ses fleurs odorantes, tandis que la vigne sauvage donne à peine l'essor à ses premiers bourgeons?
Secrets d'un Etre tout-puissant, est-ce à une simple bergère à vouloir pénétrer ? Et l'homme orgueilleux qui interroge la nature n'annonce-t-il pas plus d'ingratitude que d'intelligence ? Soumets ton esprit présomptueux, homme superbe !
Jouis, bénis sans cesse, ferme ton oeil curieux et n'ouvre ton coeur qu'à la tendre reconnaissance !
Marie-Emilie de Montanclos
(1736-1812)
Commentaires
"Ferme ton oeil curieux"
J'aime beaucoup
C'est si juste !!ne pas intellectualiser tout ce que l'on voit et se laisser absorber par la nature et en jouir
Merci pour ce beau texte