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C'était aussi un lundi 13 septembre


C'était aussi un lundi 13 septembre,il ya 11 ans en 1999 "Les vacances ont emporté monpère. Ou peut-être était-ce l'éclipse. Il voulait tellement la voir. Dans sonvillage de l'Oise, elle devait être totale. Il a mis sur ses yeux presqueaveugles, les lunettes carrées. Il a attendu. Les nuages ont tout caché. Monpère était déçu ! Sûr que maintenant il a re­trouvé la lune et le soleil réunispour lui. Mais je savais bien que cette éclipse était de mauvais augure.

Peu après, il est mort, suite à une négligence à l'hôpital. Une erreur de diagnostic. On voulait porter plainte, mais allez prouver quelquechose ! Ils auraient fini par avoir le der­nier mot. Il était tellement malade,le cœur, les poumons, le foie et tout le reste ! Ils n'ont pas osé l'opérer. Maisils auraient pu le dire !

Pourtant, si j'avais les moyens je ferais quand même un procès. Pas pour gagner, mais pourdemander qu'on respecte la dignité des gens, même quand ils sont très malades.On n'a pas le droit de leur voler la vérité, de leur faire croire qu'ilssortiront dans deux jours et leur donner un repas normal que le foie nesupportera pas : le dernier repas du con­damnéqui ne sait pas qu'il vit ses dernières heures. On nous a privés de prendrecongé de lui. On a emprisonné les mots qui apaisent, empêché de laisser filerle fleuve d'a­mour retenu comme les eaux d'un barrage, par peur de senoyer. On nous a pas laissé exprimer ceque nous étions les uns pour les autres et qu'on ne sait pas dire parce qu'on aparfois honte de ce qu'on est devenus, honte d'avoir laissé échapper l'amour...

Je suis allée à l'enterrement. Je les ai écoutés parler, tous, ma mère, ma sœur, mon frère et même les voisins. Ilsdécrivaient un homme que je ne connaissais pas ou mal : mon père. Dans messouvenirs, il n'était pas celui qu'ils évoquaient.

Maintenant qu'il n'est plus là, je voudrais préserver lemeilleur de lui. Heureusement, il me reste des images de la petite enfance, leshistoires qu'il nous racontait le soir et les beaux livres qu'il m'offrait. Il nous laissait le choix en­tre la créationde la vie façon Genèse ou l'histoire du petit poisson devenu grenouille, puismammifère avant d'avoir la drôle d'idée de se transformer en homme. J'ai choisi de croire en Dieu.

Je reste seule avec mes regrets déplacés d'avoir fini par oublier qu'il était quelqu'un de bien. Je vais devoir gommer de ma mémoire, l'adolescente meurtrie de ne trouver que descoups à la place de paroles réconfortantes.

Il n'a jamais compris que je séchais les cours parce que je me sentais re­jetée par les autres. Je cachais ma souffrance par des men­songes en lui affirmant queje n'avais jamais manqué le lycée. II voyait rouge. J'entends encore ma tantedire à ma mère : « Fais quelquechose, il va la tuer ! » Après, ilclaquait la porte et sortait. Ma mère me re­prochait de l'avoir encore énervé.Elle craignait qu'en prenant la voiture, il ait un accident . Et personne pour me consoler.

Á l'époque, c'était normal de corriger les enfants. Même les flics le lui avaient conseilléaprès ma fugue. Il pouvait pas savoir. J'ai pardonné depuis longtemps, mais jerefuse d'oublier un fragment de mon histoire qui me permet de comprendrecomment je suis devenue celle que je suis. J'ai besoin de toutes lesparties de moi pour ac­compagner Julien.

Dans le cimetière du village, le vent du Nord était glacial. Je l'ai écouté craquer en écartelant ma mémoire dans l'écho du plat pays sangloté par Jacques Brel. Il y avait dumonde. Et toutes ces fleurs, pour dire àquel point il était apprécié pour ses qualités humaines. Ces bribes de véritéet celle que j'avais faite mienne s'opposaient et pourtant finissaient par se confondre. Qui pouvait vraiment dire quel homme il a été au plus profond de lui-même ?

Quand ils sont tous partis, je suis retournée me recueillir sur sa tombe. L'amour n'en est que plus grand si on l'accepte avec ses ratés. Comme iln'y avait pas eu de cérémonie religieuse, j'ai demandé à Patrick et Juliend'allumer un cierge pour qu'il retrouve sa trajectoire céleste en suivant la course de la lune vers le soleil."

Extrait de la grognasse de Martina Charbonnel:

http://www.mckeditions.com/romans/la-grognasse/

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Commentaires

  • Merci pour cette superbe illustration. J'aime beaucoup tes dessins. Quand j'aurai publié tout mon théâtre, mes romans et livres sur la peinture,il me faudra penser à éditer les quelques contes pour enfants écrits autrefois mais comme je ne suis pas très "illustration"et je vais avoir du mal à m'y mettre.
    Pour la grognasse, ce serait sympa de mettre ton petit commentaire sur ma page la grognasse sur le site de The book edition . il ya la possibilité de mettre un commentaire car pour l'instant, ça rame pas mal et si ça pouvait donner un petit coup de pouce ...
    http://www.thebookedition.com/martina-charbonnel-la-grognasse-p-441...

    Amitiés
  • Merci Roselyne. je ne savais pas que tu avais acheté ce livre ( qui existe aussi en PDF plus abordable sur le site mckeditions car l'impression à l'unité empêche de faire des pris bas sur les livres).
    Je suis contente que ce livre t'ai plu. je vais mettre ton commentaire (avec le lien avec ta page )sur mon site.
    C'est un livre auquel je crois beaucoup mais il aurait un peu besoin de bouche à oreille. C'est pourquoi je suis contente quand j'ai des retours.
    Merci
  • C'est vrai . La confrontation avec la mort de proches devrait au moins aider à se rapprocher de ceux qui sont encore en vie pour ne pas avoir à se dire qu'on aurait pu se dire tout ce qu'on ne s'est pas dit. Malheureusement, ce n'est pas toujours possible...
  • Nous nous retrouvons tous identiques face à la mort. Le refus, l'hébètement, l'acceptation et enfin la force de laisser partir en gardant les souvenirs.
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