Né à Breslau (Silésie) en 1624 et mort le 9 juillet 1677, Johannes Scheffler, dit Angelus Silesius, est un médecin, un poète et un mystique allemand.
D'abord luthérien, adepte un temps des Rose-Croix, il se convertit au catholicisme en 1652 sous l'influence des mystiques allemands et flamands, notamment maître Eckart, Henri Suso, Jean Tauler, Ruysbroeck et Jacob Boehme Son recueil le plus connu, paru en 1657 "Cherubinischer Wandersmann" a été traduit en français sous le titre "Le voyageur (le pélerin ou l'errant) chérubinique".
Il fut redécouvert au XIXème siècle par les poètes et philosophes de culture allemande, en particulier Rilke, Schopenhauer et Heidegger.
"Salué par les plus grands, de Leibniz à Heidegger, en passant par Hegel et Schopenhauer, l'écho de son oeuvre sur la pensée profane n'a cessé de s'amplifier. En nombre de points, et sans doute pour l'essentiel, la méditation de Silesius nous apparaît aujourd'hui proche du Zen". (Roger Munier)
Ohne Warum
Die Ros' ist ohn' Warum, sie blühet weil sie blühet,
Sie ach't nicht ihrer selbst, fragt nicht, ob man sie siehet. (I, 289)
Sans pourquoi
La rose est sans pourquoi ; elle fleurit parce qu'elle fleurit,
N'a souci d'elle-même, ne cherche pas si on la voit."
Ce distique se lit au premier livre des poésies spirituelles d'Angelus Silesius, publiées sous le titre : "Le Pélerin Chérubinique. Description sensible des quatre choses dernières".
Martin Heidegger l'a commenté dans une conférence qui a été reprise dans "Der Satz vom Gründ", paru à Pfullingen en 1957. Traduit par André Préau, ce texte a été publié par les éditions Gallimard en 1982, sous le titre général "Le principe de raison".
En voici la conclusion : "La rose est sans pourquoi, mais elle n'est pas sans raison. "Sans pourquoi" et "sans raison" ne disent pas la même chose. C'est seulement cela que la sentence en question devrait d'abord rendre plus clair. Le rose, pour autant qu'elle est quelque chose, ne sort pas du domaine où le très puissant principe (de raison) exerce sa puissance. Et pourtant la façon dont elle appartient à ce domaine est particulière, différente par conséquent de la manière dont nous autres hommes y séjournons. Bien courte, à vrai dire, serait notre pensée, si nous admettions que la sentence d'Angelus Silesius, n'a d'autre sens que d'indiquer la différence des manières dont la rose, dont l'homme, sont ce qu'ils sont. Ce que le sentence ne dit pas - et qui est tout l'essentiel - , c'est bien plutôt ceci qu'au fond le plus secret de son être l'homme n'est véritablement que s'il est à sa manière comme la rose - sans pourquoi."
(Silesius, "La rose est sans pourquoi", textes français de Roger Munier, suivis d'un commentaire par Martin Heidegger, Arfuyen, Textes allemands)
Man muss noch über Gott
Wo ist mein Aufenthalt ? Wo ich und du nicht stehen.
Wo ist mein letztes End, in welches ich soll gehen ?
Da, wo man keines find't. Wo soll ich denn nun hin ?
Ich muss noch über Gott in eine Wüste ziehn (I, 7)
Il faut passer Dieu même
Où se tient mon séjour ? Où moi et toi ne sommes.
Où est ma fin ultime à quoi je dois atteindre ?
Où l'on n'en trouve point. Où dois-je tendre alors ?
Jusque dans un désert, au-delà de Dieu même.
Das Etwas muss man lassen
Mensch, so du etwas liebst, so liebst du nichts fürwahr ;
Gott ist nicht dies und das, drum lass das Etwas gar. (I, 44)
Laisse le quelque chose
Si tu aimes quelque chose, tu n'aimes rien vraiment.
Dieu n'est ni ceci ni cela. Laisse le quelque chose.
Die Rose
Die Rose, welche hier dein äussres Auge sieht
Die hat von Ewigkeit in Gott also geblüht. (I, 108)
La rose
La rose que contemple ici ton oeil de chair
A fleuri de la sorte en Dieu dans l'éternel.
Wie ruhet Gott in mir ?
Du musst ganz lauter sein und stehn in einem Nun,
Soll Gott in dir sich schaun und sänftiglichen ruhn (I,136)
Comment Dieu repose en moi
Tu dois être limpide et habiter l'instant
Pour qu'en toi Dieu se voie et doucement repose.
Das stillschweigende Gebet
Gott ist so über all's dass, mann nichts sprechen kann,
Drum betest du Ihn auch mit Schweigen besser an (I, 240)
La prière du silence
Dieu excède, au point qu'on ne saurait parler.
Rien ne vaut mieux pour L'adorer que le silence.
Du musst dich noch gedulden
Erwart es, meine Seel ! Das Kleid der Herrlichkeit
Wird keinem angetan in dieser wüsten Zeit (III, 184)
Il te faut patienter encore
Attends, mon âme, le vêtement de gloire !
Nul ne le passe en ce désert du temps.
Ein wachendes Auge siehet
Das Licht der Herrlichkeit scheint mitten in der Nacht.
Wer kann es sehn ? Ein Herz, das Augen hat und wacht. (V, 12)
Un œil qui veille voit
L'éclat de la splendeur apparaît dans la nuit.
Qui peut le voir ? Un cœur qui a des yeux et qui veille.
Commentaires
Merci pour cet apport du grand poète mystique !!
Ce n’est pas le pain qui nous nourrit
Ce qui nous alimente dans le pain
C’est le Verbe de Dieu,
C’est la Vie, c’est l’Esprit.
Angélius Silésius