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Alvéoles - Le voyage de Judith (6)

Elle avait beau essayer de s'accrocher mentalement à la voix de Faustine, Judith se sentait une fois encore attirée vers l'espace limbique où elle flottait à nouveau dans une atmosphère cotonneuse et tiède. Elle aurait voulu que la voix de son homme la retienne, mais il avait quitté la pièce, la laissant seule face à ses dernières pensées. Elle avait pressenti l'arrivée de Faustine. Les dernières phrases de Mimmo s'étaient faites l'écho de ses propres pensées. Était-ce une illusion ? Judith ne savait quoi penser, à supposer que dans le monde improbable où elle s'était projetée, penser soit de l'ordre du possible. Le médecin caché en elle doutait largement de tout ceci, mais la jeune mariée, elle, en était convaincue.

Lorsqu'elle avait anticipé l'arrivée de Faustine, une image lui était venue. Elle y pensait comme à une fleur d'un jaune vif sur un fond de ciel bleu. La fleur s'ouvrait d'un coup, puis se mettait comme à résonner.

Judith se laissa fasciner par cette image, laissant son corps rêvé flotter en pente douce vers la masse noire qui semblait renforcer sa présence, plus bas. La voix de Faustine était toujours présente mais seule cette présence au loin était perceptible : Judith n'entendait presque plus rien : ni ce qu'elle disait, ni le bruit des instruments.

Si je perds le lien, je reste ici. Toute seule.

En un sursaut mental, elle jeta ses pensées vers la chambre d'hôpital, mais l'entrée lui semblait désormais interdite. Ce monde ne s'éloignait pas d'elle, mais il se refermait sur lui-même, comme un hérisson se met en boule. L'univers du réel devenait impénétrable.

Non ! Reviens, Mimmo ! Touche-moi, prends-moi la main !

Face aux cris intérieurs de Judith, les mots rassurants de Faustine perdirent toute consistance. Les derniers liens qu'elle avait jetés comme des grappins vers l'univers des mortels se transformèrent peu à peu en un brouillard dense et foncé.

L'homme qu'elle aimait ne percevait plus rien des pensées désespérées de sa femme. Elle avait été en lui et lui en elle, jadis, mais maintenant ils étaient loin l'un de l'autre. Elle errait en-dehors de son corps physique, et lui poursuivait ses chimères. Comme tous les hommes.

Et avec lui était partie la clé du monde réel.

Le fleuve noir enfla encore sous elle.

 

(...)

 

Judith avait crié, s'était révoltée. Personne n'était venu à son secours, pas même Mimmo, resté prisonnier dans la bulle du monde réel. La masse noire vers laquelle elle flottait inexorablement avait peu à peu absorbé le son de sa voix comme si elle s'en était nourrie, tout en lui restituant une vibration nauséeuse, quelque chose comme le ronronnement sourd d'un lion repu.

La jeune femme s'était peu à peu épuisée à tenter l'impossible.

Elle regardait maintenant l'immense masse noire qui venait à sa rencontre, comme une nappe de goudron qui bientôt envelopperait son corps avant de le dissoudre lentement, jusqu'à ce qu'il disparaisse.

La douleur causée par les milliers de piqûres cesserait.

Judith ferma les yeux, et se laissa aller. Bientôt elle serait libre de toute angoisse, de toute attache, et elle libérerait Mimmo aussi, car même si tout contact avait été rompu avec le monde des vivants, elle imaginait que son homme devait se faire un sang d'encre pour elle. Cela devait cesser. Il devait se détacher d'elle, vivre, rencontrer une jolie femme qui lui ferait de beaux enfants. Judith, elle, l'aimerait toujours, car elle aurait tout le temps qu'elle souhaite pour cela, mais lui devait vivre sa vie.

Elle plongea à la rencontre de la masse noire.

Lorsqu'elle entra en contact avec elle, la jeune femme entendit un gémissement de surprise.

Puis tout autour d'elle se transforma.

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