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Ainsi parlait mon amie. JGobert

Mon quartier d’antan a pour joli nom le charbonnage. Mon horizon d’enfant bute depuis ma naissance sur un énorme terril. J’habite un coron, non loin de vieux puits d’extraction de la houille. Germinal est passé bien avant moi et a mis en vedette cette société ouvrière difficile. Quand petite, j’écoute ma grand-mère relater la mine, le temps des « fosses », la vie laborieuse des travailleurs de fond, je connais l’histoire de mon grand-père, mort trop tôt, trop jeune de la maladie du mineur. Celui-ci est porion et ses frères sont piqueur, hercheur, boiseur et le dernier entré est galibot.

La famille de ma mère est également de la fosse. Je n’ai pas eu la chance de les connaître. Ils sont tous décédés avant ma naissance. Tous mineurs de fond, hommes et femmes. Une rare photo de ma grand-mère maternelle, près d’un autel monté au fond, fêtant Sainte Barbe dans cette mine de malheur. Photo révélatrice de femmes aux visages émincés, cavés et minés dévoilant la souffrance de cette vie. 

Petite et casse-cou, je n’écoute pas et j’aime déambuler dans la cour fermée du charbonnage. Cela m’est interdit mais, à mon âge, je n’en ai que faire des interdictions. Je visite ainsi le vieux charbonnage fermé depuis des années. Celui-ci est entouré d’un haut mur de protection. Il est rehaussé de défense composée de caissons de bouteille. La grande entrée, imposante à la vue de tous, a ses grandes grilles fermées et cadenassées.  

L’enceinte est entrouverte à différent endroit et laisse s’infiltrer des personnes comme moi. J’y vais avec un cousin de mon âge, curieux lui aussi. J’entre par une ouverture dans le mur. J’examine les choses, les milliers objets abandonnés dans les coins. Je suis directement dans la cour pavé de gros cailloux difformes. Cette cour du charbonnage est encore pleine de wagonnets sur des petits rails, des tas de bois, des tas de ferraille. Tout est triste, à l’abandon.

 La « fosse » est devant moi, fière, et cruelle, comme un gouffre en bois, verrouillé, sombre. Bien qu’arrêtée depuis des années, le noir incrusté du charbon ténébreux est réalité sur tout.

Une allée de pavés, des bâtiments vides, des salles des pendus, la lampisterie et une jolie chapelle jadis accueillante. Faite en brique rouge et accostée à la maison du sacristain, elle s’élève toujours avenante, courtoise dans cet environnement abandonné par les hommes.

C’est là que je fais la connaissance d’un jeune vicaire qui officie là. La chapelle St Georges me parait grande, belle. Les vitraux laissent filtrer la lumière douce de la vie. L’atmosphère est feutrée et ardente, il fait sombre mais lumineux de croyance. Seuls les cierges et les bougies illuminent l’entrée. Le prêtre s’y rend tous les jours à cette époque. Petite fille, je me balade sans faire de bruit dans cet endroit sacré.

En face du charbonnage, une cité ouvrière habitée par des travailleurs immigrés. On l’appelle «  le petit Paris » Elle a toujours ce nom aujourd’hui. Il est interdit d’aller jouer dans cet endroit. On raconte des histoires épouvantables sur ces gens.

A cette époque, chaque quartier a son école communale ou catholique. C’est là que je retrouve ces « étranges enfants venus d’ailleurs »  qui ne parlent pas français. Tous ces enfants deviennent vite des copains et copines. J’en rencontre encore quelques-uns aujourd’hui.

Mon père n’a pas connu la mine, il est faïencier. Il a une entreprise juste à côté de la maison. Ma mère et mes tantes sont aussi dans la faïencerie. Je me souviens des rangées de poteries sur les étagères dans l’usine où encore une fois, je n’ai pas le droit d’aller. Au fond du bâtiment, un énorme four professionnel au mazout où l’on cuit la faïence. Avec la crise du canal de Suez, mon père doit arrêter son activité pour se reconvertir.

C’est à cette époque que les grosses usines s’installent dans le « zoning», dans la banlieue d’un village devenu grand et ravagent les champs de coquelicots installés sur les terres au bord du canal. Tout ce rouge qui disparait ne laissant que du béton. Beaucoup de petites entreprises ferment pour laisser place à des usines modernes et propres pour la santé. C’est inespéré pour beaucoup de personnes.

La famille de ma grand-mère paternelle vient de la campagne, ils sont fermiers. Mes oncles ont tous une petite ferme avec vaches, cochons, poules et quelques terres. Une terre également arrosée de sueur et de larmes. Un autre monde où la vie, bien que difficile aussi, est plus légère. Autour de ces petites fermes, des près parsemés de fleurs sauvages où le vent s’infiltre et balance avec douceur l’herbe tendre..

Ma grand-mère est fleuriste depuis la mort de mon grand-père. Elle cultive des fleurs et en fait des bouquets magnifiques, des gerbes, des couronnes pour les mariages, les enterrements. Elle est toujours dans son jardin avec ses fleurs et ses souvenirs. Elle est née en 1885.

D’autres membres de la famille vivent avec nous. La maison est grande. Ma tante, une personne qui a beaucoup compté pour moi. J’ai vécu ma plus tendre enfance avec elle, une dame charmante, généreuse, tendre. C’est vers elle que je courre me faire consoler quand je fais des bêtises. Je suis constamment en sa compagnie. Elle aime la musique, la poésie.  Elle raconte des histoires avec tant de plaisir que l’on y entre tout de go. Elle chante, elle rit. Elle est gaie comme un pinson, un peu gaffeuse, distraite, rêveuse peut-être. Elle a un cœur si grand que l’on peut y entrer et si perdre. Que de souvenirs vivants.

La vie leur a donné beaucoup de tristesse et de chagrin aussi. Des destinées comme beaucoup, trop vite passées, trop courtes pour certains. Au final, quelques photos jaunies montrent simplement leurs visages sans savoir ce qu’ils ont réellement ressenti, vécu. Les seuls souvenirs qu’il me reste sont ces photos étranges et belles à la fois. Heureusement, ma mémoire se souvient de l’amour que j’ai reçu. Le surplus est un bonheur lointain.

 JGobert

 

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Commentaires

  • Un grand merci pour votre commentaire Gil. Je suis heureuse de savoir que ce texte vous a plu.
    Celui qui sait d'où il vient sait où il va. C'est une grande force de savoir cela pour ne pas commettre d'erreurs et de ne pas se prendre pour ce que l'on n'est pas. Tout ce passé ne pèse pas le poids des souffrances endurées heureusement mais permet au contraire d'en évaluer la grandeur malgré le malheur de ces gens que l'industrie a engendré avec le monde de l'argent.
    Cette existence rude n'était pas toujours triste. La valeur de la vie était, je crois, supérieure à la nôtre dans l'aide, l'entraide, l'écoute, la présence. Nul n'était indifférent à son prochain. La chaleur humaine et la tendresse sévissaient au sein de ces gens. Et si la vie était difficile, elle n'en était pas moins heureuse pour certains.
    Amitiés.
    Josette.
  • Bonjour Josette

    Je considère qu’il n’y a toujours pas une histoire du peuple de France et que persiste cette idée stupide que des gens sont sans histoire dès lors qu’ils sont des gens simples, ordinaires, honnêtes, ou des illustres inconnus comme l’ont été ceux de ma lignée et comme je le suis aussi. Le récit historique reste en grande partie du seul côté des hagiographies, des légendes construites par les pouvoirs de chaque époque, et pour ce qui concerne  la vie de la grande majorité des Français, paysans, artisans et ouvriers, c’est un immense trou, un immense silence. Ca peut s’expliquer pour bien des siècles où le peuple laborieux de France comme d’autres peuples n’avaient ni le droit ni la possibilité de s’exprimer, et d’intervenir dans les décisions concernant leur vie, ce qui fait que la documentation qui pourrait servir à établir cette histoire populaire est plus que réduite. Tout ce qu’on sait dire, c’est qu’ils étaient des forçats de travail, taillables et corvéables à merci et soumis à des famines, des épidémies terribles et meurtrières et aux errances de leurs seigneurs et maîtres. Pour la période plus récente où le peuple a eu enfin droit de cité dans les cahiers de doléances de 1788 et dans les constitutions d’après 1789, le récit historique censure bien des choses quant au sort déplorable qui fut réservé au peuple par les pouvoirs en place et poursuit cette propagande guerrière, nationaliste du siècle dernier qui a sacrifié tant et tant de vies, qui a tant détruit le pays pour le seul profit des escrocs des industries de guerre, et des carriéristes bien planqués de tous bords.

    Votre essai d’histoire populaire concernant votre enfance et la vie de vos proches, tous gens du labeur, tous confrontés aux difficultés de vivre et de faire face aux mutations, aux crises économiques et sociales qui n’ont pas manqué dans l’époque que vous évoquez, votre essai me plaît en raison de votre souci de vérité. Je regrette simplement que ces personnes là n’aient pas de nom ou plutôt un prénom mais je comprends qu’on puisse choisir de ne pas le faire. En tout cas, j’aime en particulier l’accent que vous mettez sur le fait qu’un enfant peut se trouver dans un endroit défiguré, en perte de choses agréables et vivantes sans se sentir des plus malheureux qui soient dès lors qu’il trouve un espace de jeu, de curiosité, de liberté et dès lors qu’il reçoit de l’attention, de l’affection, de l’amour de la part de son entourage. Cela me parle fort puisque je suis d’une longue lignée de paysans et d’ouvriers et par loyauté à ma parenté, j’ai toujours refusé tout propos de piété à mon égard et cet affront de pauvre dont on affuble bien trop souvent ceux qui ne sont pas nés ou qui ne vivent pas dans l’aisance matérielle sans les connaître. J’aime aussi cet autre accent que vous mettez sur la capacité des gens du labeur à saisir tout ce qui peut alléger leur peine, leur offrir des moments agréables, maintenir leur dignité, leur fierté et les empêcher de sombrer dans le misérabilisme.        

     

    Bonne journée. Amitiés. Gil

         

  • Bonjour Marie-Jo.


    Se représenter le début des années 1900 nous entraine forcement dans les stéréotypes de ces grands auteurs qui ont si bien relaté la misère du monde ouvrier.  Mais tout n’a pas été négatif pour ces gens, ces mineurs qui, malgré la dureté du travail, avaient une vie sociale, familiale. Grâce à eux et leurs labeurs, d’autres hommes ne sont plus descendus dans la fosse. Ces mineurs ont refusé que leur descendance continue ce travail. Ceux-ci ont reçu l’enseignement et commencé une autre vie. Sur 100 ans, l’évolution a été grandiose et surprenante. Ces mineurs ont notre respect comme tous les hommes qui travaillent pour gagner leur vie.


    Merci Marie-Jo .


    Amitiés

    Josette

  • Merci Nicole pour ton commentaire. Une page d'histoire romancée qui nous renvoie au début du siècle passé.

    Cordialement.

    Josette

  • chère Josette, je comprends que tu aies eu besoin de partager le passé tellement difficile de ta famille - c'est une façon -je l'espère pour toi- de faire comprendre qu'il n'y a pas lieu de mépriser ces hommes à la peine. Ils étaient tellement courageux, vaillants ! ils méritaient et méritent toujours d'être respectés y compris de nos jours. Je t'imagine allégée d'avoir publié ces lignes pour le respect de ces hommes que l'on peut dire courageux et surhumains parfois. Ils ne méritaient que du respect ! 

  • Merci , Josette, du partage de ton témoignage ! Un vécu âpre , dur, douloureux, pour bien des familles de cette époque , dans les charbonnages,  que tu as décrit avec beaucoup de justesse et de sensibilité... 

    Cordialement, Nicole

  • Le temps de la jeunesse n’a pas la même dimension Rolande, ni la même saveur. Tout change avec le temps qui passe. Les besoins et les envies n’ont plus le même charme. Et le bonheur a pris une couleur pastel mais qui est loin d’être déplaisante.

    Excellente journée.

    Amitiés Josette

  • Beau souvenir que ces mines de sel et de ces blocs que l’on voyait aussi par ici dans les prairies.

    Temps révolu d’une autre époque.

    Merci Béatrice.

    .Amitiés. Josette

  • Bonjour Gilbert,

    C’est toujours agréable de se replonger dans cette époque que nous avons vécu par procuration. Nous reproduisons les souvenirs mille fois entendus par nos aïeux. L’ambiance toujours présente en nous fait revivre nos grand-parents . L’âge de la grand-mère est exact. Décédée en 1977, elle avait 92 ans.

     Merci Gilbert pour le commentaire.

    Amitiés Josette

  • Mon Dieu, Van der Meersch ! Toute ma jeunesse, en plongée dans ses livres qui relataient les affres des travailleurs en usine. Je connaissais très bien ce milieu, en faisant partie intégrante.

    Pas mal de films ont été réalisés à partir de ces aventures.

    On ne parle pas souvent de ces travailleurs là, sauf dans un film flamand, relatant les aventures d'un prêtre, familier de ce milieu des travailleurs de la laine. Deans, du nom du Prêtre qui a réellement existé.

    Les façades des maisons étaient le plus souvent sales et noires ..... because les hautes cheminées qui crachaient leur pollution . Mais, à l'intérieur tout reluisait de propreté. 

    Nous passions régulièrement d'une frontière à l'autre, ayant de la famille des deux côtés.

    Il me suffit de fermer les yeux pour revoir ces promenades là .

    Malgré la guerre, les restrictions, nous étions heureux. Par quel miracle ? Une question qui trotte encore  dans ma tête.

    Qui me donnera l réponse ? Merci d'avance.

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