ADRIANA LECOUVREUR
Le sujet est puisé dans la rivalité, historiquement authentique, qui opposa la Princesse de Bouillon et la fameuse actrice Adrienne Lecouvreur, célébrée par Voltaire. Opéra en quatre actes, musique de Francesco Cilea, livret de Arturo Colautti, d'après la pièce Adrienne Lecouvreur (1849) d'Eugène Scribe, l'un des auteurs dramatiques les plus joués du XIXe siècle, en France et dans le monde. Créé à Milan, au Teatro Lirico, le 6 novembre 1902. Eugène Scribe est aussi l’auteur du livret de « La Muette de Portici ». Suite à une représentation en août 1830 de cet opéra à Bruxelles, des troubles éclatèrent qui allaient, quelques semaines plus tard, conduire à notre Révolution belge.
Un personnage réel
Fille d'une blanchisseuse et d'un ouvrier chapelier (Robert Couvreur, homme violent et alcoolique), elle vient à Paris, son père s'établissant dans le voisinage de la Comédie Française. Après être confiée aux filles de l'instruction chrétienne, Adrienne Couvreur intègre une petite troupe de comédiens. Elle séduit un officier de la garnison, Philippe Le Roy, avec qui elle a une petite fille, Élisabeth-Adrienne, baptisée le 3 septembre 1710. Adrienne se fait remarquer lors de ses débuts dans la cour de l'hôtel de Sourdéac. Le doyen de la Comédie Française Le Grand s'entiche d'elle, lui donne des cours de diction et ajoute un article à son patronyme qui devient Lecouvreur. Elle entre dans la troupe de la Comédie-Française et y joue pour la première fois dans Mithridate de Jean Racine le 14 mars 1717. Elle veut jouer Célimène dans Le Misanthrope, mais doit y renoncer, le public refusant de la voir dans un rôle de comédie tant elle excelle dans la tragédie. Elle innove en renonçant à la diction chantante traditionnelle dans la tragédie et adopte une déclamation « simple, noble et naturelle ».Elle collectionne les amants : elle a en 1720 une liaison amoureuse avec Maurice de Saxe, ce qui lui vaut la haine fatale de sa rivale, Louise Henriette Françoise de Lorraine, duchesse de Bouillon, femme d'Emmanuel-Théodose de La Tour d'Auvergne, et avec Voltaire dont elle interprète plusieurs tragédies. En 1730, sa santé se délabre ; elle s'évanouit pendant une représentation. Elle fait encore l'effort d'interpréter Jocaste dans l'Œdipe de Voltaire, mais meurt peu après. Le bruit court qu'elle a été empoisonnée à l'instigation de la duchesse de Bouillon. Voltaire demande une autopsie, dont les résultats ne sont pas concluants. Les comédiens étant frappés d’excommunication, l'Église lui refuse un enterrement chrétien. Elle est donc enterrée à la sauvette par des amis du maréchal de Saxe et de Voltaire, dans le marais de la Grenouillère (actuel Champ de Mars). Voltaire, scandalisé, exprime son indignation dans le poème La Mort de Mlle Lecouvreur :
Et dans un champ profane on jette à l'aventure
De ce corps si chéri les restes immortels !
Dieux ! Pourquoi mon pays n'est-il plus la patrie
Et de la gloire et des talents ?
Paris, 1730. Adrienne Lecouvreur, célèbre actrice de la Comédie-Française, affronte une forte concurrence sur scène et en amour. Sa vie mouvementée se termine prématurément, dans des circonstances suspectes – une fois de plus, le monde impitoyable de l’art a détruit une âme pure. Cette histoire réelle a inspiré à Scribe et Legouvé une pièce de théâtre à succès qui, un demi-siècle plus tard, devient Adriana Lecouvreur, le chef-d’oeuvre de Francesco Cilea. Sa partition vériste offre un mélange entre la spontanéité mélodique de l’école napolitaine et l’écriture harmonique et orchestrale raffinée de facture française. « En art, l’italianità a toujours été la norme pour moi : certes modernisée, mais jamais étouffée ni déformée », tel est le credo artistique de Cilea. L’italianità est entre de bonnes mains avec le chef Evelino Pidò, fougueux défenseur de ce répertoire.
En 1717, une jeune comédienne du nom d’Adrienne Lecouvreur entrait à la Comédie-Française et devenait une des meilleures tragédiennes de la troupe. Elle devenait également la maitresse du Maréchal de France Maurice de Saxe, ce qui devait lui vouer la haine implacable de sa rivale, la duchesse de Bouillon. Sa fin prématurée incita Voltaire à réclamer une autopsie sans résultat probant. De ce fait divers authentique, Eugène Scribe et Ernest Legouvé devaient tirer des décennies plus tard, en 1849, une pièce de théâtre qui inspira au compositeur italien Francesco Cilea (1866-1950), touché par la « variété de l’action et le mélange du comique et du dramatique ainsi que par l’amour passionné des protagonistes », son quatrième opéra Adriana Lecouvreur. Au contraire de nombreux contemporains, Francesco Cilea n’est pas un auteur prolifique. S’il fait preuve d’un talent précoce pour la musique qui le fait admettre au Conservatoire de Naples dès l’âge de 15 ans, il compose peu pour le genre lyrique et bien qu’il ait vécu jusqu’à l’âge de 90 ans, il cesse définitivement après 1907. Ses biographes attribuent la mélancolie qui habite souvent ses compositions au choc profond ressenti à la mort prématurée de ses parents. Il mène en parallèle sa carrière de compositeur et de professeur et directeur de conservatoire, et meurt en solitaire à Varazze où il s’est retiré.
Ecrite en 1899, Adriana Lecouvreur est une version romancée de la vie de la tragédienne, un imbroglio d’épisodes et de drames amoureux qui se clôt sur un dénouement fatal. Amoureuse de Maurice qu’elle croit être officier du comte de Saxe, Adriana est aimée sans espoir par son directeur Michonnet. Le prince de Bouillon est l’amant d’une autre actrice, la Duclos, elle-même servant d’entremetteuse entre le comte et la princesse de Bouillon ! Le drame va se nouer au cours d’une fête organisée par le prince et, de nombreuses péripéties plus tard, la rivalité entre les deux femmes touchera à son comble quand la princesse, par dépit, enverra des fleurs empoisonnées à Adriana qui s’éteindra dans les bras de son amant.
L’opéra est créé à Milan, au Teatro Lirico, le 6 novembre 1902 avec le grand Caruso dans le rôle du comte de Saxe, et Angelica Pandolfini dans celui d'Adriana. Mais c’est Magda Olivero, grande soprano éteinte récemment à l’âge de 104 ans, que le compositeur considérera comme l’interprète définitive de son personnage, au point de lui demander en 1951, alors qu’elle s’est retirée de la scène depuis 10 ans, de reprendre le rôle.
Bien que le livret soit parfois confus, de nombreuses péripéties secondaires venant perturber l’intrigue principale, il n’en reste pas moins que Cilea a écrit là un puissant mélodrame conjuguant habilement romantisme et vérisme. Son style mélodique très napolitain se teinte d’influence française. L’orchestration est limpide et l’écriture vocale très nuancée, de la légèreté brillante de l’opera buffa à l’expression la plus profonde du drame. Cilea utilise des motifs récurrents qui viennent caractériser chaque personnage, une cantilène passionnée et juvénile pour Maurizio, et, opposé au motif sombre et rythmé de la princesse de Bouillon, le thème tendre, mélancolique et emprunt de spiritualité d’Adriana. De l’air d’entrée au final, les arias de l’héroïne transmettent une émotion qui bouleverse toujours.
Texte D’Isabelle Pouget
ORCHESTRE SYMPHONIQUE et CHŒURS DE LA MONNAIE
– Evelino Pido direction – Martino Faggiani chef de chœur – Lianna Haroutounian Adriana Lecouvreur – Leonardo Caimi Maurizio – Daniela Barcellona La Principessa di Bouillon – Carlo Cigni Il Principe di Bouillon – Raúl Giménez L'Abate di Chazeuil – Roberto Frontali Michonnet – Maria Celeng Madamigella Jouvenot – Maria Fiselier Madamigella Dangeville – Alessandro Spina Quinault – Carlos Cardoso Poisson – Bernard Giovani Un Maggiordomo
http://www.lamonnaie.be/fr/opera/574/Adriana-Lecouvreur-in-concert
REPRÉSENTATIONS
17 Février 2016 20:00
21 Février 2016 16:00
PALAIS DES BEAUX-ARTS
PRODUCTION La Monnaie / De Munt, CO-PRÉSENTATION Bozar Music
INFO & BILLETS | + 32 2 229 12 11 - MMTickets, 14 rue des Princes, 1000 Bruxelles - www.lamonnaie.be - tickets@lamonnaie.be
REPRESENTATIONS : PALAIS DES BEAUX-ARTS | + 32 2 507 82 00 - 23, rue Ravenstein, 1000 Bruxelles - www.bozar.be
INTRODUCTION | Une demi-heure avant les spectacles
DIFFUSION RADIO | Musiq’3 (date à préciser) et Klara (samedi 26 mars 2016)
Commentaires
Meravigliosi Adriana Lecouvreur e Maurizio di Sassonia...
Grandi Interpreti ! (Crédit photo: Donata Annunzio Lombardi)
Les sites officiels:
http://www.liannaharoutounian.com
http://www.leonardocaimi.it
http://www.carlocigni.com
http://www.raulgimeneztenor.com
http://www.robertofrontali.it
C’est en version de concert que la Monnaie présentait, dans la grande salle du Palais des Beaux Arts de Bruxelles, Adriana Lecouvreur, que bon nombre d'amateurs d’opéra connaissent surtout par extraits, en particulier les deux grands airs du rôle titre qui apparaissent surtout au programme des récitals ou des concours de chant. Force est de constater, à l’écoute de la partition tout entière, que l’œuvre a bien résisté au temps, contient une évidente force dramatique et même une certaine originalité de ton qui la distinguent des autres productions véristes, celles de Puccini notamment. Caractérisée par un lyrisme intense, une belle maîtrise de la composition proche du style français et une grande qualité d’orchestration, ce drame de la jalousie féminine conserve un évident intérêt dramatique et une grande force de séduction, même en version de concert.
Débarrassée de l’obligation de mise en scène (on ne s’en plaindra pas, car le livret un peu daté contient quelques faiblesses), cette production a misé sur une distribution jeune et efficace et a parfaitement gagné son pari. C’est évidemment au rôle titre que reviennent tous les honneurs : la soprano arménienne Lianna Haroutounian, pour qui il s’agit à la fois d’une prise de rôle et d’une première apparition sur la scène de la Monnaie, a fait forte impression. Ses moyens vocaux sont immenses, particulièrement bien mis en valeur par le rôle, et si on peut penser qu’à certains moments elle en fait trop, le lyrisme naturel de la voix et l’investissement dramatique de l’artiste l’emportent largement. A ses côtés, vedette montante des scènes européennes, le ténor Leonardo Caimi a un peu de mal à relever le défi. Il a fait preuve, au début de la représentation, de quelques faiblesses avec des aigus peu timbrés et peu puissants, mais a pris de l’assurance au fil du déroulement du spectacle et a fini par s’affirmer pleinement. La voix est belle, moins puissante que celle de sa partenaire, mais avec une belle palette de couleurs et une belle sensibilité. Daniella Barcellona, qui chante le rôle de la Princesse de Bouillon, la méchante rivale d’Adriana, développe un beau timbre de mezzo et des couleurs subtiles. Excellent également, le baryton italien Roberto Frontali a donné au rôle de Michonnet, le directeur de théâtre secrètement et désespérément amoureux de la belle Adrienne, une humanité fort intéressante, servie par une voix très puissante, très colorée et très personnelle qui a d’emblée séduit le public. Raùl Giménez n’était pas en reste dans l’emploi un peu caricaturé de l’Abbé Chazeuil. Seul Carlo Cigni a paru un peu en retrait en Prince de Bouillon, rôle auquel il n’a pas réussi à donner réellement un visage. Le quatuor des comédiens, sorte de chœur devant les chœurs – ces derniers fort peu sollicités – complétait avec brio la distribution. Tout ce petit monde était mené de main de maître par Evelino Pidò, très à l’aise dans ce répertoire qu’il connaît magnifiquement et visiblement content du déroulement de la soirée , à la tête d’un orchestre de la Monnaie heureux d’avoir pour une fois quitté sa fosse et qui, en pleine lumière, a donné le meilleur de lui même.
http://www.forumopera.com/adriana-lecouvreur-bruxelles-prima-la-musica
Par Claude Jottrand