Il s’agit d’un roman de Giovanni Papini publié en 1931. Gog, le personnage central du livre, est un monstre, et, par là, "il reflète, en les exagérant, certaines tendances modernes." Instructif et révélateur, son discours passe du paradoxe à la vulgarité, de l'exagération à la méditation. "Mais dans ce demi-sauvage cynique, sadique, maniaque, hyperbolique, écrit l'auteur, j'ai vu une sorte de symbole de la civilisation cosmopolite, fausse et bestiale -selon moi- et je l'exhibe à mes lecteurs d'aujourd'hui, dans la même intention qui animait les Spartiates montrant à leur fils un ilote abominablement ivre."
Ce livre est censé avoir été composé par l'auteur avec les pages que Gog, rencontré dans un asile, lui aurait remises, mais le ton de l'essayste l'emporte sur celui du romancier: les personnages demeurent statiques, l'action, tout à fait secondaire, n'est qu'un prétexte à des considérations sur les hommes.
Avec ce livre, Papini revient en fait à son thème préféré: la critique de son siècle et de toutes les formes de la décadence. L'auteur critique aussi bien les artistes -des poètes à Picasso- les hommes politiques, les foules, que les vedettes, les nouvelles idoles et toutes les creuses divinités d'un jour. "Gog" est aussi un réquisitoire, une satire impitoyable, comme par exemple les chapitres "le miracle à domicile", "le cannibale repenti", le trust des fantômes", "l' égolâtrie", "l' assurance contre la peur", "l'industrie de la poésie", où Gog, milliardaire ennuyé, décide d' industrialiser la production poétique. Pas de capitaux, une petite typographie, deux dactylos et deux ouvriers; en plus cinq poètes, de différentes provenances, engagés pour "pondre" et diriger l'exploitation. Le poète français, un ex-dadaïste, propose et lit à Gog une poésie polyglotte de sa composition: "Gesang of perduto amour". Le deuxième, un Allemand, prétend que la poésie doit tendre à la concentration et se servir de paroles magiques. Il présente le résultat de trente années de travail: son poème, initialement de cinquante mille six cents vers, a été réduit à un seul mot: "Entbindung" qui possède une infinité de sens, résumant la destinée humaine. Le troisième, un Urugayen, écrit ses poèmes en fabriquant des vers avec des mots n'ayant aucun rapport logique entre eux. La quatrième, un émigré russe, arrive avec son recueil et prétend que la poésie naît d'une collaboration entre l'auteur, qui suggère, et le lecteur, qui intègre. Aussi se borne-t-il à écrire des titres de poèmes dont le premier est "Sieste du rossignol abandonné". Après quoi, Gog refuse de voir le cinquième poète et abandonne son idée.
Il ne faut d'ailleurs pas croire que la satire soit purement négative; voici ce que Papini pense de la poésie et de ses rapports avec notre temps: "On ne fait pas de poésie sans une foi solide. Et l'homme, désormais, ne croit qu'en lui-même -mesure et loi de toutes choses... L'homme après avoir fui Dieu, se fuit lui-même; il s'enfuit désespéré, se servant des machines qui lui donnent l'illusion d'annuler le temps et l' espace; il s'enfuit dans l'abîme de la pensée pure qui lui donne l' illusion d'annuler le monde pratique et vivable; il s'enfuit dans les hallucinations qu'il provoque; celles-ci lui cachent pour quelques instants, sa sordide indigence. Et le fuyard sait hurler, mais il ne chante pas."
L'ouvrage "Le livre noir" (1951) est la suite de "Gog", mais cette série de brèves et souvent brillantes esquisses, offre moins de mordant même si elle a plus d'humour. M. Gog, milliardaire, a continué de voyager à travers le monde, après comme avant la dernière guerre. Il a interviewé des hommes aussi divers que Molotov, Garcia Lorca, Dali, Valéry, Hitler, Huxley. Gog est-il fatigué de voyager? Il ouvre sa collection d' autographes et nous livre des divertissants pastiches d'auteurs qui vont de Gervaise à Kafka, en passant par Stendhal, Browning, Léopardi, William Blake. Et il s'ensuit une série de tableaux statiques, où Papini ne se contente pas de se moquer de son temps, mais, interrogeant les pouvoirs de la culture et de l'exercice de la pensée, retourne son humour contre lui-même. C'est ainsi que dans "Conversations avec Paul Valéry", Papini fait dire au poète: "Tout homme qui sort du commun découvre que la plus haute opération possible est celle de la pensée désintéressée, qui ne s'abaisse pas à servir aux dogmes de l' Etat, ou à consoler les failles des terreurs. Mais la pensée pure est un microscope qui brûle et consume ce qu'il devrait nous faire voir. A force d'analyses, d'approfondissements, de critique, et de décomposition, la pensée la plus indépendante et la plus courageuse se ronge, se mine elle-même, s'aperçoit de sa propre fragilité et inutilité, dissout et détruit l'objet qu'elle se propose. Toute pensée qui ne connaît pas la peur finit toujours par se suicider. La seule activité qui vaille la peine d'être cultivée conduit donc au désespoir et au néant."
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