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Publications de Lansardière Michel (148)

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12273400471?profile=original

La roche volcanique tient le gaz en maraude
Et quand il se libère, l’espace emplit d’eau chaude
Reçoit par gravité, en couches horizontales,
Une gelée de silice qui donne la calcédoine.
12273400886?profile=originalSi tu vois un caillou, brun chocolat, ridé,
Que tu le trouves moche et le laisse tomber,
T’es passé à côté d’une merveille de la terre ;
Un bijou délicat, c’est « un œuf de tonnerre » !
12273401271?profile=originalAu contraire, intrigué par ta belle découverte,
Découpe la roche en deux pour en polir les faces :
Une étoile à cinq branches, tu découvriras la trace
Ou peut-être un tableau, lequel te déconcerte…12273400895?profile=original

Suzel Swinnen

Légendes :


En-tête : agate à eau, Brésil. Agate enhydre (ou aérohydre), où une cavité centrale (géode) conserve un peu de la solution originelle piégée lors de sa formation et laissant affleurer une bulle de gaz mouvante lorsque on la remue. La silice (calcédoine) a quant à elle précipité en couches concentriques.
Une explication bien prosaïque pour un effet magique.
Poètes, c’est ce qu’on peut appeler l’odyssée de l’eau mère.


12273401697?profile=originalCalcédoine (agate), lithophyse « œuf de tonnerre” (thunder egg), Oregon (Etats-Unis). Quand une étoile éclot dans la rhyolite*…


12273402272?profile=originalLithophyse « œuf de tonnerre » (agate), Sankt Egidien (Saxe, Allemagne). Comme une fleur pétrifiée laissée par la lave refroidie.


12273402657?profile=originalLithophyse (agate) faisant apparaître à notre imagination exaltée (paréidolie) l’image étrange d’un « monstre », la bête de Gévaudan peut-être…

12273402100?profile=original Calcédoine enhydre (Indonésie)
Au centre, la cavité montre une solution biphasée (liquide et gazeuse) mobile.

L’eau est bien un minéral (que l’on aperçoit par transparence),

elle est restée cloîtrée après que la silice se soit cristallisée,

plus ou moins colorée en brun, rouge ou beige par le fer

selon sa concentration.

Cette eau a donc l’âge de la formation de la pierre.

Comme un reliquaire conservant l’eau primordiale,

l’humeur vitrée de l’œil de la terre.

Michel Lansardière : titre, légendes, photographies

* Roche volcanique acide.

12273402473?profile=originalOui, ouvrons l’œil…

12273402865?profile=original … et même les deux

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Terres sacrées, pierres de légendes

12273388053?profile=originalCoup de foudre sur la sierra
(paesine, marbre de Florence)

Pouvoir incantatoire des pierres, puissamment évocateur, jeux de la nature, obsidienne, miroir fumant de l’Aztèque, larmes d’Apache, agate, lithophyse, œuf de tonnerre, fulgurite, céraunie, glossopètre, pierre de foudre, cristal de roche, marbre, pietra paesina


Dans ces messages codés, ces signaux de fumée, ces traces laissées par le temps, j’y ai vu d’étranges correspondances…

12273388283?profile=original Pluie de cendres sur un monde perdu
Gioacchino Toma (1836-1891)
(huile sur toile, détail ; La pioggia di cinere a Napoli)

« Les roches elles-mêmes semblent bavarder, fraternelles,
débordantes de sympathie.
Ce qui n’a rien d’étonnant,
nous avons tous les mêmes père et mère. »,
                                                                                               John Muir (1838-1914)

Dès lors poursuivons le dialogue.

12273388656?profile=originalCoup de tonnerre sur les Chiricahua Mountains

(paesine, marbre de Florence)

Il y a très longtemps, par une violente nuit d’orage, Eclair à plusieurs reprises frappa Femme Peinte en Blanc. C’est ainsi qu’elle donna le jour à Enfant de l’Eau. Quand Eclair jugea qu’Enfant de l’Eau était digne d’être son fils, il lui fit don d’une telle force qu’Enfant de l’Eau put anéantir Géant. Ainsi le Peuple des Forêts, tels que les Apaches se nommaient eux-mêmes, put vivre tranquillement, chassant, cueillant pour subvenir à ses besoins.

(Légende apache)

 

On dirait une terre d’orage

Levée en plein ciel

Une terre de rouille et de ruine

D’ombre

Et de marbre

 

Quelque chose de brutal et d’injuste

En pleine nature

Presque une vengeance       sauvage

De l’homme

Comme revenu de lui-même

Arnauld Pontier, Marbre, 2007

 

12273388869?profile=originalTerre apache

(paesine, marbre de Florence)

Cette pierre, née du hasard, ressemble étrangement au mont Graham.

Même profil que cette montagne sacrée, le « Mont Assis » des Apaches,

 Dzit Ncha Sí Án

« Ici, sur cette terre éternellement jeune et formidablement ancienne, [l’homme] se sent à la fois plus petit et plus grand. Ses yeux ont une portée exceptionnelle, car ils sont confrontés avec des choses qui se trouvent dans l’espace depuis des millions d’années. »,

                                                                                         Elliott Arnold (1912-1980)

« Les actes accomplis et les mots prononcés se sont immédiatement pétrifiés, comme l’exigeait une loi mystérieuse,

à jamais incompréhensible. »

id.

 

12273388696?profile=originalLe chant de la foudre

(paesine, marbre de Florence)

C’est aux sommets des monts Graham, Turnbull, Chiricahua et White Mountain, avec le grondement du tonnerre, que viennent se réfugier les nuages et les Êtres Tonnerres. C’est à eux que les Apaches adressent leurs prières. Gibier, récoltes, pluie, longue vie…

Alors les Gans, les Esprits de la Montagne, « ceux qui ne meurent pas », les envoyés d’Usen, le Grand Esprit des Apaches, le donneur de vie, purent danser.

(d’après les textes recueillis et traduits par Claude Dordis, in Voix des Apaches)

 

12273389874?profile=original Crown Dancer

Septaria (San Sebastian, Guipuscoa, Espagne)

(concrétion marneuse indurée dont les veines de rétractation sont emplies ici de calcite)

Le danseur couronné incarne le Gan, l’Esprit de la montagne.

Il « invoque et danse autour du feu et éloigne la maladie.

Il chasse le maléfice et apporte le bien. »,

Elliott Arnold.

Je suis l’Eclair éblouissant et éclatant,

La vie se tient là, dans sa coiffe,

Dans le cliquetis de ses pendentifs il y a la vie,

On entend ce bruit et il résonne

Et mon chant entoure les danseurs

Et les protège.

C’est le chant de la vie sous le soleil.

 

12273390098?profile=original Hilili

Bois flotté (ramassé pour être honnête sur une plage de Crète)

Les Crown dancers sont souvent cinq, quatre Gans représentent les points cardinaux et un clown sacré.

Koyemsi, le clown sacré des Hopis, introduit d’un cri l’entrée du

maître de cérémonie, Hilili

Riez, tremblez…

 

12273390688?profile=originalGrés de Kanab

(Utah, Etats-Unis)

 

12273390490?profile=originalMonument Valley

(Agate paysage du Brésil)

Vision panoramique, profondeur de champ, dans un technicolor éblouissant, on se projette dans un film de John Ford. Les vastes étendues entre Arizona et Utah, tout ça dans moins d’un millimètre d’épaisseur et dans la dimension d’une vignette (4 x 2,8cm).

 

« C’est un miroir merveilleux qui, à un moment donné,

a reçu l’empreinte et reflété l’image d’un grand spectacle…

la vitrification de notre planète. »,

George Sand (1804-1876)

 

12273391673?profile=original Esprit de la Montagne

Bout de terre sacrée

Grès de Monument Valley ramassé au pied d’une butte au cœur du

 Territoire Navajo.

 « Le moindre caillou, niché au fond d’une poche, peut représenter un instant de mémoire absolu. »,

Maurice Rajsfus (1928-2020)

 

 

 12273391295?profile=originalPeinture sur sable Navajo

Phil & Lucinda Benally, Indiens navajos de Shiprock (Nouveau-Mexique)

Le peuple Navajo croit en un monde d’équilibre.

Mais l’homme peut le renverser, provoquant désastre ou maladie. L’homme-médecine peut tenter de rétablir cet équilibre naturel et guérir celui qui y a contrevenu par des herbes, des prières, des peintures sur sable qui seront dispersées par le vent.

Et des chants.

Ho – Na – Dzon – Age – Ne – Yo

Où sont passés tous les miens ?

Chant de Geronimo

 

12273392669?profile=originalYo – l’oiseau

Agates (lithophyses de l’Esterel, Var)

 

12273393684?profile=originalKokopelli

Fac-similé d’un pétroglyphe anasazi incisé dans le grès acquis auprès d’un indien Hopi au Canyon de Chelly (Nevada, USA).

Courbé par la vieillesse et jouant de la flûte, Kokopelli symbolise la virilité masculine autant que l’humidité bienfaisante et féconde de la saison des pluies pour les peuples indiens du sud-ouest des Etats-Unis.

 

12273393890?profile=originalKachina

Hopi (XXe siècle. Racine de yucca, plumes, cuir)

Kachina-Aigle (?).

Les Kachinas-Oiseaux sont des esprits intercesseurs des dieux très aimés des Hopis. Ils dansent en poussant des cris stridents lorsqu’ils entrent dans la kiva (espace cérémoniel).

Ces poupées magiques fascinèrent les surréalistes, notamment Max Ernst et André Breton. Ce dernier, en juillet 1945, sillonna le Nevada, l’Arizona et le Nouveau Mexique, rencontra les Indiens Hopi, collecta ces Kachinas. Effigies des forces de la nature, règnes animal, végétal, minéral.

 

 

12273394478?profile=original Three Mesas, les ruines d’un monde

ou les veines ouvertes de l’Amérique indienne

Septaria

(les fentes de rétractation sont ici juste saupoudrées de pyrite)

 

 

12273395077?profile=originalCrépuscule indien

Jaspe paysage

Comme dans le Joueur de flûte de Hamelin,

 traités et promesses ne furent guère tenus.

On finit par les parquer dans des réserves

Terme de la Longue Marche Tragique

des Navajos et des Apaches

Piste des larmes

des Cherokee

Soleil Hopi.

12273395469?profile=originalPointe de lance indienne

Jaspe.

Utah

 

12273395500?profile=originalGrés paysage

Finitude d’un monde enclavé, étranglé

sur lequel je pleure.

12273395895?profile=original Politique de la terre brulée

Un monde aujourd’hui renait, déterminé.

Grés (Etats-Unis)

 

Apache sèche tes pleurs

Sur la piste

une étoile

a déposé

une fleur

un calice

Pour qu’au firmament

Terre et Hommes puissent

Passer la voute du temps.

M. L.

 

12273396690?profile=originalThunder egg

(lithophyse « œuf de tonnerre », Oregon)

 

12273397478?profile=originalGrés

Mais que sont les mots pour le temps…

 

12273397885?profile=originalLithophyse

Ce temps qui, tel Cronos le Titan, dévore ses enfants.

Cronos armé de sa faucille, Zeus tenant la foudre.

Tous les hommes sont de la même terre pourtant.

 

« Les oiseaux quittent la terre avec leurs ailes,

et nous, les hommes, pouvons également ce monde,

non pas avec des ailes, mais avec l’esprit. »,

Black Elk (1863-1950),

homme-médecine des Lakota oglala

 

Pour vous conter cette histoire j’ai nourri mon imaginaire de ces curieuses formes minérales, quand « la nature imite si bien les productions de l’art » (Patrin) autant que l’art semble imiter la nature.

12273398098?profile=originalPierre de Florence (Pietra paesina)

Peint par Jacques Deseve, gravé par Gérard-René Le Villain pour l’

Histoire naturelle des minéraux de Eugène-Melchior-Louis Patrin (1742-1815)

 

Michel Lansardière

(texte et photos)

 

Glossaire :

Obsidienne : roche volcanique vitreuse

Miroir fumant : miroir divinatoire en obsidienne destiné à invoquer le dieu Tezcatlipoca.

Larme d’Apache : obsidienne guttulaire.

Agate : quartz microcristallin, une calcédoine déposée en couches très graphiques et aux couleurs contrastées.

Lithophyse : nodule d’origine volcanique empli d’agate.

Œuf de tonnerre : lithophyse où l’agate forme souvent une étoile à cinq branches (thunder egg de l’Oregon).

Fulgurite : tube de silice creux formé par la foudre frappant le sable.

Céraunie : objet que l’on croyait d’origine céleste (cela pouvait être une hache de pierre préhistorique, un minéral comme la marcassite, une météorite, un fossile, bref une étrangeté dont on ne comprenait pas l’origine).

Glossopètre : encore un objet que l’on croyait tombé du ciel (nous sommes Gaulois que diantre ! Il s’agissait en fait d’une dent de requin fossile ou d’une pointe de flèche du temps d’avant Taranis).

Pierre de foudre : synonyme de céraunie.

Cristal de roche : quartz transparent et incolore.

Marbre : calcaire métamorphique, cristallin.

Pietra paesina : la paesine (ou pierre de Florence) est une forme de marbre au graphisme pouvant évoquer une ville en ruine (« pierre aux masures », marbre ruinatique). Très prisée à la Renaissance, on la trouvait fréquemment dans les cabinets de curiosités.

 

Nota : Murillo a peint sur obsidienne, des « miroirs fumants » d’origine aztèque ; Orazio Gentileschi, Antonio Carrache, le Cavalier d’Arpin ou Antonio Tempesta sur lapis-lazuli ; Filippo Napoletano, Francesco Ligozzi, Jacques Stella sur paesine… Après tout où trouver plus belle palette que notre planète.

Dans mes compositions seule la nature a œuvré (un sciage a suffi pour en révéler la subtilité, et un polissage parfois pour en sublimer la beauté), laissant libre-cours à l’imagination.

12273398875?profile=originalPeinture sur paesine (Toscane, début XVIIe)

« Il n’y a pas de miracles.

Plutôt tout est miracle. »,

                                                                                        Saint François d’Assise

M. L.

 

 

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12273380088?profile=originalTabatière chinoise en calcédoine et agate mousse
Un nodule d'agate mousse (la chlorite qui la colore s’étant concentrée dans le noyau) dont le cœur a servi au lapidaire pour sculpter une grenouille sur une feuille de lierre flottant dans un torrent, les légères ondulations de la calcédoine blanche, qui donne corps à cette folle fiole, suggérant le courant. Une fois encore l’artiste a épuisé toutes les ressources de la matière.
La grenouille est par ailleurs considérée comme un porte-bonheur,

une offrande propitiatoire toujours appréciée.
Reine des rainettes sur l’onde voguait…
En poche, succès apportait.

« La grenouille selon la tradition extrême-orientale (les Japonais ont aussi beaucoup d’amitié pour les grenouilles et les crapauds) est une vivante invite à l’insouciance et à la liberté. »,
                                                                                                          François Cheng

Et, comme nous l’allons voir, les histoires dont ces batraciens sont les héros abondent. Crapauds ou grenouilles, la mare grouille…
Saute grenouille !

12273380885?profile=originalTabatière chinoise en fluorite et turquoise
Comble de raffinement, virtuosité, préciosité digne du palais d’Eté, ce flacon allie la fluorite et la turquoise pour figurer un crapaud gobant une libellule en plein vol.
Objet impropre à un usage quotidien qui fit le bonheur du mandarin, du lettré dans son cabinet. Et, comme souvent, ces petites choses sont de grandes inspiratrices d’histoires. Il suffit juste de savoir les écouter…


Croyez-moi, surtout si vous entendez une grenouille ou son coassocié coasser…

12273381275?profile=originalTabatière chinoise en fluorite et turquoise
La grenouille est en fluorite bicolore. Pierre fine de la plus belle eau, elle a été sculptée dans un seul et même bloc. La zone violacée a servi à tailler la grenouille, la partie blanche et translucide a permis de façonner les feuilles
et la grappe de raisin blanc.
La fluorite, longtemps appelée spath fluor (appellation toujours employée en métallurgie, où le spath est utilisé comme fondant), est un minéral assez tendre mais difficile à travailler car son clivage (fracturation selon un plan octaédrique) est parfait, ce qui la rend particulièrement fragile.
L’artiste doit donc déployer des trésors d’ingéniosité, de méticulosité pour la tailler. Une prouesse tant technique qu’esthétique. Il est toutefois évident que cette précieuse fiole n’a jamais contenu de tabac, destinée qu’elle était à orner une vitrine.
Pour un obligé, le présent rêvé destiné à son protecteur.
Pour un courtisan l’assurance d’être remarqué.

La grenouille offerte en cadeau diplomatique
(pochade surprise)

Pas plus grosse qu’un œuf elle flattera tout un aéropage
Tout bourgeois qui veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince ayant des ambassadeurs,
Tout marquis voulant avoir des pages.
Mais gare ! on voit que de tout temps
Les petits ont pâti des sottises des grands
Car si le Soleil se pique,
Il leur fera sentir :
La République aquatique
Pourrait bien s’en repentir.
La louange la mieux ourdie
Peut nuire à son inventeur ;
Et souvent la perfidie
Retourne sur son auteur.

A l’eau du spath, pour un pauvre animal,
Grenouille, à mon sens, ne raisonnait pas mal.


M. L.*1

12273381496?profile=originalTabatière chinoise en fluorite et turquoise (détail)
Plutôt qu’une grenouille, il peut bien s’agir d’un alyte (crapaud) accoucheur, symbole de fécondité, dont les œufs tombèrent du ciel,
frai comme la rosée…
Ou même de Jin Chan (ou Chan Chu), le crapaud d’or à trois pattes,
gage de bonne fortune, quoique avide et pour tout dire un peu pingre.
Il est l’acolyte de Liu Hai, « crapaud marin », l’immortel,
le pourvoyeur de richesse.
Il éloigne également le mauvais sort et stimule la fertilité.
On dit qu’il vivrait sur la lune, qu’il l’engloutit un jour d’éclipse,
et qu’il pourrait bien vous aider à la décrocher…
Liu Hai (ou Liu Haichan ou Haichanzi) est parfois assimilé aux huit immortels. Alchimiste, ce demi-dieu, patron des marchands, éternellement jeune et facétieux, était accompagné du crapaud à trois pattes qu’il avait attrapé au fond d’un puits, l’attirant grâce à une ligature de sapèques (les anciennes pièces chinoises, percées en leur centre, étaient liées pour leur transport), car pas plus que les mouches le vinaigre ne l’affriole. Notre crapaud n’est pas sans défauts*2… comme nous allons le voir dans Le crapaud à trois pattes.

12273381097?profile=originalPoids à papier en forme de crapaud, Chan Chu.
Le genre d’objet que l’on trouvait dans le studio du lettré chinois.
Aujourd’hui c’est un talisman censé vous protéger, dans le fengshui,
une forme ancestrale de géomancie où pullulent les charlatans.
Voyez sur le net, Chan Chu n’éloigne pas tous les esprits malveillants !
Les orbes de la pierre évoquent la peau verruqueuse de l’animal
« mangeur de lune », garant de chance, longévité, prospérité.
Document reproduit avec l’amicale autorisation de Jacqueline De Ro,
que je remercie ici et à qui je dédie le petit texte qui suit :

Le crapaud à trois pattes

L’avare n’est que le gardien,
non le maître de son argent

Tombé dans le lacs par la soif de l’or,
sauvé par l’appât du gain,
curieux coup du sort…
Un fil à la patte que tu perdis
par ton inconséquence, pardi
Insensée gloutonnerie.
Que cet avis ne soit pas vain
Crapaud d’argent retient ceci :

Il ne faut pas s’engager à la légère
dans les affaires.


M.L.*3

Non, tout compte fait l’hôte des marais a bien ses quatre pattes,
pourtant le charme opère encore,
- quatre n’est-il point chiffre propice en Chine ? -
la fable était trop belle pour n’être pas contée.

12273381681?profile=original

Tabatière chinoise en fluorite et son bouchon de turquoise
Objets réalisés pour le seul plaisir des yeux et du cœur


«Ce sont des bijoux comme les libellules affairées sur les rivages d’automne.  »,

                                                                                                     Yan Shu, 991-1055

12273382256?profile=originalLibellule stylisée (bouchon)

La libellule est en turquoise, un phosphate de cuivre et d’aluminium,
minéral très apprécié en Chine comme dans tout l’Orient.
Le bouchon forme ici le parfait complément du flacon, le tout donnant
une sculpture animalière originale, réaliste et animée.
La libellule ce sont les beaux jours revenus,
mais aussi le signe d’une certaine versatilité.

12273382484?profile=originalStylisée, mais finement observée...

Il s’agit certainement de la libellule déprimée que l’on trouve jusqu’en

Asie centrale.

Libellule déprimée mâle à l’abdomen bleu turquoise

(couleur plus intense encore chez sa cousine l’agrion jouvencelle)

(photo T. Bekaert, captée sur le net)

La libellule s’envole insouciante

        et tu restes là, dernier lotus,

                   sur ta tige tremblante.

                                                         Bing Xin (ou Pingh Hsin, 1900-1999)

 

Nous envions ces fragiles insectes

Dont, consommé le seul accouplement,

Ou affronté l’unique péril,

S’achève la merveilleuse vie.

                                                 Feng Zhi (1905-1993)

 

Saisissant de vie

La mort fauchant

Cycle naturel

Cœur copulatoire

                                 M.L.

12273382273?profile=originalCrapaud en améthyste (XVIIIe ou XIXe s.)
Bouchon de tabatière sculpté améthyste représentant un crapaud posé sur une fleur de lotus. Ce fécond amphibien est l’emblème même de la fertilité, son possesseur jouirait donc d’une bonne nature et se préserverait ainsi, grâce à une nombreuse progéniture, des injures du temps.

12273382684?profile=originalQi Baishi (1864-1957)
Grenouilles et têtards
(encre sur papier ; photo captée sur le net)

En médecine chinoise traditionnelle, la chair du crapaud luttait contre la dénutrition infantile ou était prescrite en cas de digestion difficile.
Mais comment réduire au silence ces infernaux batraciens pendant la saison des amours ?! Simple, en voilà l’admirable secret, d’après Albert le Grand (ca 1200-1280) : prendre de la graisse de crocodile et l’incorporer à de la cire blanche, puis placer le mélange dans une lampe à huile que vous placez près de la mare, allumez-là et le silence se fera.
Fin de ce carillonnant sabbat.

Michel Lansardière

*1 Adapté d’extraits en italique de La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf (Livre premier. Fable 3) ; Les deux taureaux et une grenouille (Livre second, Fable 4) ; Le Soleil et les grenouilles (Livre douzième, Fable 24) ; La grenouille et le rat (Livre quatrième, Fable 11) ; Le Soleil et les grenouilles, première du nom (Livre sixième, Fable 12). Rendons à La Fontaine… mais lui-même ne puisait-il pas à d’autres sources ?

*2 On appelle « crapaud » un défaut dans un diamant, « Crapaudine » une pierre utilisée en joaillerie, que l’on croyait autrefois provenir de la tête d’un crapaud, en fait une dent de poisson fossilisée. Un peu comme les « glossopètres » que l’on pensait être des langues de serpents ou de dragons et qui étaient en réalité des dents de squales pétrifiées, ou les « acétabules », dents fossiles en forme de cupules, les « bézoards » des concrétions se développant dans le corps de certains ruminants et non des pierres magiques autant que précieuses supposément être de puissants antidotes aux poisons. La crapaudine fut aussi appelée « batrachite » ou « bufonite », que l’on retrouve dans bufo bufo, le nom scientifique de notre crapaud commun, ou dans la bufoténine, un alcaloïde secrété par la peau du crapaud. La crapaudine était sertie dans le chaton d’une bague pour se protéger des miasmes, montée en pendentif contre la fièvre quarte.
Ah les vieilles croyances populaires et les vieux dictionnaires, tel celui d’Elie Bertrand auquel je me réfère. C’était le bon temps où la géologie, la minéralogie et la paléontologie confondues, sciences encore balbutiantes, s’appelaient encore « oryctologie ».


*3 En exergue, cette maxime (Avarus auri custos, non dominus) figurait à l’origine en en-tête dans Le renard et le dragon (Livre IV, Fable XVIII) de Phèdre (ca 14 av. J.-C., 50 apr. J.-C.). Accessoirement, il est curieux de constater que libellule, que notre grenouille avale goulûment, se dit dragonfly (dragon volant) en anglais. En pied du Crapaud à trois pattes, la morale finale, elle est tirée de Les grenouilles à l’étang desséché d’Esope (ca 620-564 av. J.-C.).

12273383098?profile=originalL’art, la main, la matière…
Mais de quoi est faite cette tabatière ?

Pour aller plus loin… crapahutons ensemble sur un chemin caillouteux :
Fluorite : CaF2 ; classe III : halogénures ; système cristallin : cubique ; dureté : 4 ; densité : 3,1 ; habitus : cubique, octaédrique… ça c’est pour la science.
Quelques exemples…

12273382898?profile=originalOctaèdre de fluorite obtenu par clivage.
Fragile et clivable comme un bloc d’halite
(sel gemme, un autre halogénure et homophone de notre alyte rencontré plus haut),
imaginez la difficulté pour sculpter une grenouille dans une masse
qui se réduit en lames suivant de tels plans !

12273383866?profile=originalFluorite rose cristallisée en octaèdre sur quartz.
Un faciès, quoiqu’assez rare, parfaitement naturel !
Les Droites, Mont Blanc (France)

12273383692?profile=originalFluorite verte cristallisée en octaèdres
parfaitement développés en provenance de Russie.

12273384455?profile=originalRare forme de fluorite en agrégats botryoïdaux (forme arrondie en « grappe »)
provenant de Chine. Une structure naturelle là encore.

Michel L.

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12273375864?profile=original


Saltimbanques, mes frères itinérants


12273376079?profile=original
« En tenant son sac sur le dos,
De l’aurore jusqu’au couchant,
Et sa guitare sous le paletot,
Avec sur la lèvre un doux chant ;
Il allait parcourant la terre
Traversant la ville ou les champs…


12273376699?profile=originalBenjamin, c’est une prière :
Joue-nous donc un air entraînant !

L’arbre qu’on avait abattu
Vibre à travers son instrument.
Quand il joue au coin d’une rue,
Il fait chanter le bois d’antan
Et sa musique nous enlève
Chagrins d’amour, chagrins d’enfant…


12273377288?profile=originalEn nous offrant autant de rêves,
Tu nous fais bien passer le temps…

Un jour un mendigot jaloux
A brisé l’archet qui frissonne
Alors qu’il jouait un air doux
Ne faisant de mal à personne…
Et cette jalousie infâme
Faillit détruire le troubadour.


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Mais avec l’aide d’une femme,
Il a trouvé le grand amour…

12273377860?profile=originalViola da braccio

Avec Benjamin, la bergère
Nous chante des airs entraînants ! »


Suzel Swinnen

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Et claquent les galoches !
En avant la bamboche !

Un partenariat A&L : Michel Lansardière pour le titre, le texte additionnel et les photographies (Montluel, Bergen, Stockholm, Prague) sur un poème de Suzel Swinnen.


12273378281?profile=originalA la bohème… 


A tous les saltimbanques, intermittents, chemineaux, traineux, folkeux ou en queues-de-pie, trouvères ou troubadours, artistes de tous pays… que le spectacle recommence !


Aussi pour terminer je vous dédie ce pot-pourri d’Un gas qu’a mal tourné :


Et, gueux d’argent, riche d’espoirs,
J’allais chanter dans les manoirs,
Devant les dames aux yeux noirs
Dont les barons faisaient compagne…


Gaston Couté (1880-1911), Le vieux trouvère

J’entends les violons… Marie
Va petiote que j’aimais bien
Moi, je n’ai plus besoin de rien !
Va-t’en danser à la frairie
J’entends les violons… Marie !...


Id., Va danser


Frairie : fête de village.

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Dis, sais-tu ma jolie
En revenant du bal danser
On a pris les sentiers.
Dis, sais-tu ma jolie
Où s’en vont les petits sentiers ?


Id., Brin de conduite

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12273376684?profile=originalPapou ? pas papou ? petit papou du papa poule ?
(agate onyx œillée, photo L. M.)

La pierre ? Un bijou !

Rassemblés en colonies
Qu’on surnomme « roquerie »
Les manchots papous font leur cour
Prolongent la race et l’amour…

12273377077?profile=originalPetit manchot papou
(photo captée sur le net)

Sais-tu que le manchot papou
Drague en offrant de beaux cailloux ?
Cadeau obligé : un galet
Pour celle qu’il a choisi d’aimer…

12273376881?profile=originalSur la banquise, ce manchot-là est bien adroit…
Elle ne reste pas de glace… elle fond… elle craque.
(agate, photo L.M.)

Afin de séduire la femelle
Il construit un beau nid de pierres
Pas manchote, la donzelle,
Garnit aussitôt la litière.

12273377672?profile=originalRire… sardonyx (photo L. M.)
Le choix de Séléna, 7 ans et pas manchote
L’élu ? Bien Malouin qui peut le dire !

Au cœur des îles Malouines,
Le pingouin n’est pas fou !
Pour sa tendre Valentine,
Il offre une pierre : « un bijou » !

12273377482?profile=originalTransi, givré… mais content
Elle aime son gorfou des Terres australes,
tous ses papotages et ses papouilles.
Papa papou il est dans l’coup
(agate, photo L.M.)

 12273378082?profile=originalAmical clin d’œil…
Bijou, caillou, papou, scoubidou, fou…
(agate, photo L.M.)

12273378658?profile=originalCe conte poético-humoristique intergénérationnel vous est présenté en exclusivité pour A&L par Suzel Swinnen pour le texte en italique et Michel Lansardière pour les photos et légendes.

12273378482?profile=originalEn habit, prêt pour un voyage de noces.
L’île de Pâques pour nos épousailles ça te dit ?
Mais oui, on emmène le poupard, on pourra pouponner.
Et prends tes bijoux…
(photo Suzel)

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12273371882?profile=originalPrimevères au rendez-vous du Printemps

 

Primevère, la printanière.

 

Primevère, petite fleur printanière

Tu parsèmes nos jardins, nos couverts

Discrète, tu réjouis les espaces verts

Le trille de la mésange charbonnière

Egaie nos vies mornes et confinées

Herbes folles, végétation spontanée

Haies, taillis, halliers, graminées

Rêvez, plantez, semez, laissez aller

La biodiversité ne se réduit aux cimetières

Vous serez mieux en pré qu’en terre*.

 

Michel Lansardière

 

* Plutôt cueillir le jour… Herbicides et pesticides sont interdits dans les cimetières depuis 2015, tandis que le glyphosate reste autorisé dans nos champs jusqu’en 2023. Carpe diem.

 

12273372472?profile=originalMésange charbonnière et mésanges bleues

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12273366467?profile=originalRêve d’idéal

  

      Aux « quatre tentations de l’homme », le vin, les femmes, la richesse et la colère, qui, selon la tradition chinoise, sont les vices communs des mortels qui, en outre, les empêchent de demander l’inspiration au rêve.

      A Pékin, je vous parle de l’ancien Pékin pas de la moderne Beijing, on retient toujours le chiffre quatre : les « Quatre Grands Maîtres Yuan » (les peintres Huang Gondwang, Wu Zhen, Ni Zan, Wang Meng), les « Quatre Bonheurs » en cuisine, les « Quatre Génies » d’un sanctuaire, les « Quatre Professions » pour les classes sociales (de l’aristocratie aux vils marchands, en passant par les paysans et les artisans), les « Quatre Plantes souveraines » (prunier, bambou, chrysanthème, orchidée), les « Quatre grandes inventions » (boussole, papier, imprimerie, poudre noire), les « Quatre Trésors » du lettré (pierres, encre, pinceaux, papier), les « Quatre Livres extraordinaires » (Au bord de l’eau, Les Trois Royaumes, La pérégrination vers l’Ouest, Fleur en fil d’or, ou, selon l’époque pour ce dernier, Le Rêve dans le Pavillon rouge), jusqu’aux « Quatre Livres » de l’enseignement confucéen (La Grande Etude, L’Invariable Milieu, les Entretiens de Confucius et de Mencius) ou les « Quatre Nobles Vérités » révélées par le Bouddha (la douleur ; la racine de la douleur qui est le désir ; la douleur peut être vaincue en atteignant le nirvana ; pour le gagner il faut suivre la voie de la sagesse, de l’éthique, de la méditation) en passant par les « Quatre Montagnes Sacrées » du bouddhisme  (les monts Wutai, d’or, représentant la sagesse, Putuo, d’argent, la compassion, Emei, de bronze, la pratique,  Jiuhua, de fer, le vœu)

La forme la plus pure de poésie chinoise classique est le quatrain. La part belle y est faite aux images simples et spontanées comme fleurs des champs, mais rigoureusement réglée selon quatre figures ou tons. Forme qui évoluera en huitain (qi lü).

      Et même aux temps nouveaux des lendemains qui devaient chanter, aux « Quatre Vieilleries » selon Mao (vieilles idées, cultures, coutumes, habitudes) succédèrent les « Quatre Modernisations » (agriculture, industrie, science, défense) de la Chine Populaire de Zhou Enlai et Deng Xiaoping.

Chute de la Bande des Quatre.

Quatre restera le chiffre de la prospérité. Dans le respect évidemment des « Quatre Grands Principes fondamentaux » inscrits dans le préambule de la Constitution de 1982 : le Socialisme, la Dictature démocratique populaire (admirez l’oxymore), le rôle dirigeant du PCC, le marxisme-léninisme et la Pensée du Grand Timonier.

 

      Humblement, je m’en suis donc remis à une pierre de rêve (mengshi). Celle-ci m’a suggéré quatre textes purement imaginaires que j’ai réunis ici afin substituer aux quatre funestes tentations ces Quatre visions de la porte Vénération des Lettres : Poème visuel, Abolir le temps, L’esprit est un miroir brillant et Essence de vie.

Toutes s’inspirent des Quatre Vertus, les principes fondamentaux du tch’an,  harmonie, respect, pureté, sérénité.

Se retrouvent ainsi les « trois enseignements » de Bouddha, Kongzi (Confucius) et Laozi (Lao-Tseu), piliers de culture chinoise traditionnelle. Du moins vus par un occidental réduit à interpréter des signes, un promeneur qui tente de traduire l’intime et sensible relation qui se crée entre l’homme et la nature. Un peu comme le ferait un moine errant en robe pourpre vagabondant sur le sentier de la longévité.

 

 

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Les Quatre visions de la porte Vénération des Lettres (Chongwenmen*)

 

 

Poème visuel

 

Quand les mots ne suffisent plus

Quand le mystère est trop grand

Que même la pierre ne peut exprimer l’indicible

Que ma plume s’assèche en attendant le jour

Que l’hiver espère un nouveau printemps

Alors la nature toute entière se grave dans ma mémoire

Comment s’en détacher ?

Et je pleure sur le monde d’hier.

 

12273366898?profile=original 

Abolir le temps

 

Il s’assit alors sous le pin de la longévité,

dans cet entredeux, cet entrelacs,

ne servant à rien,

ne faisant rien

Sublime oisiveté

Il n’eut plus ni passé

ni présent

Il ne pâtit de rien

Suprême liberté

Tel le phénix,

oiseau de paradis,

vit au loin un rocher d’éternité

et, passant au-delà de sa psyché,

 il entra dans le domaine où il n’existe ni vie ni mort

Infinie félicité.

 

En italique : Tchouang-tseu (ou Zhuangzi, IVe s. av. J.-C.)  

 

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L’esprit est un miroir brillant

 

Maîtrise de l’esprit sur la matière

En laissant chanter la pierre

Abolir le temps, l’espace

Se soustraire au monde.

 

Juste une sensation de fraîcheur

Un bouquet d’arbres, en fleurs

Un reflet de lune pâle

Saisie d’une caresse magique.

 

Pure jouissance esthétique

Le goût subtil de l’inutile

Du lointain éclat de l’opale

Astre d’une nuit magnétique.

 

« L’esprit est comme un miroir brillant », Shen-hsiu (ou Shénxiù, ca 607-706).

 

 

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Essence de vie

 

Chef-d’œuvre non signé

Chef-d’œuvre d’humilité

Saisir la beauté et la sublimer.

 

Harmonie, respect, pureté, sérénité

 

Humanité délivrée

Simplicité inspirée

Complicité, spontanéité.

 

Transcender l’ordinaire

Creuser aux racines

Pour atteindre l’universel.

 

Conscience, essence de vie

Sincérité de cœur et d’esprit.

 

Ainsi la fleur de cerisier s’abandonne au vent

Gagne l’onde, quitte le réel pour l’éternel.

 

En italique : Sen no Rikyū (1522-1591)

 

 

Michel Lansardière

 

 

A-t-on jamais entendu pareille pierre muette parler ?

A-t-on déjà vu chose inerte ainsi inspirer ?

Une certaine sagesse immanente, sidérale peut-être…

Tout est possible, surtout si l’artiste se fait démiurge, le minéral illusionniste, le poète visionnaire.

 

 

      Voilà, j’ai ici groupé mes quatre « poèmes visuels » pour former un cinquième billet. Cinq comme le sont en Chine les cinq éléments (bois, feu, terre, métal, eau), les cinq couleurs primaires (rouge, jaune bleu, blanc, noir), les cinq saveurs (âcre, aigre, amère, douce, salée), mais aussi les Cinq Classiques (les Livres des Mutations, de l’Histoire, des Odes, des Rites, les Annales du Printemps et de l’Automne) qui forment le canon confucéen à la base de la culture chinoise, les Cinq Dynasties (907-960), les Cinq Empereurs de l’âge d’or du bon gouvernement qui honorèrent le mieux les cinq vertus confucéennes (humanité, intégrité, sagesse, justice, persévérance), les cinq bénédictions (longue vie, richesse, santé, amour, fin heureuse)… Poèmes traditionnellement composés de cinq (quatrain) à sept (huitain) caractères, musique savante.

Si pour les Chinois cinq est un chiffre parfait… pour nous cinq est un nombre premier et six un nombre parfait (c’est la somme de ses diviseurs en-dehors de lui-même).

Cela m’a semblé idéal pour fêter la fin du Nouvel an chinois et clore un mois de février « parfait » lui aussi : quatre semaines commençant par un lundi et se terminant par un dimanche.

 

 

Pour connaître le vertige de la liste (Umberto Eco), la griserie des mots d’un Li Yi-chan (ou Li Shangyin, 813-858) dans ses Notes, comme dans sa litanie des

 

Choses agaçantes :

Des arbres dont l’ombrage coupe la vue

Un mur si haut qu’il cache une montagne

Pas de vin à la saison des fleurs…

et approcher de l’ivresse d’un Li Bai (ou Li Po, 701-762)…

Trois coupes et je maîtrise le Tao

Une jarre pleine et je fais corps avec la nature

 

Quand les coupes d’or se rempliront-elles à nouveau

Sur ces routes qui mènent au Mont de la Porte des pierres ?

 

Les oiseaux s’effacent en s’envolant…

 

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Fond opalescent, ciel bleu :

nuit après nuit, je songe

hiver, lune pâle

merles d’or qui chantez,

versez vos pleurs

abreuvez les dernières fleurs.

Michel Lansardière

(pastiche de Li Yi-chan)

 

 

* Dans le vieux Pékin, au début du XXe siècle, la porte « Vénérations des Lettres » ou « de la Culture » (Chongwenmen, ou Hademen ou Hatamen, ou Wenmingmen sous la dynastie Yuan, 1279-1368) ouvrait sur des quartiers populaires animés par de nombreux artisans.

« Le quartier était habité par des artisans, des petits commerçants,

des porteurs de palanquins, des coolies et quelques rares riches commerçants ou des prostituées. »,

Deng Youmei

Cette porte, connue pour sa tortue marine en fer (dans le temple Zhenhai) qui protégeait la ville fut démolie dans les années soixante.  C’était «  le lieu de prédilection des artistes qui travaillent le jade, l’ivoire, le feutre, le strass et autres matériaux plus humbles. » (id.)

La porte « Vénérations des Lettres » est une des trois voies d’accès internes qui faisaient communiquer la « Ville tartare » (ou « mandchoue », soutiens de la dynastie en place, dite encore, à tort, « mongole », ou « Ville intérieure ». Elle protège la « Ville impériale » - ou « Ville jaune » ou Houang-tchen - avec ses temples et pagodes, ses jardins et lacs, ses hauts dignitaires, qui elle-même enclave la « Cité interdite » - « Ville rouge », Houang-chan-ti-kong - , le Palais impérial) et la « Ville chinoise » (ou « Ville extérieure »).

C’est près de cette porte, à l’intérieur de la « Ville tartare », que s’installeront les légations étrangères à partir de 1860, chacune dans une résidence princière ou Fou (le Tsing-kong-fou, pour le palais de la légation française).

Au sud, près de Suzhou la cité des mille canaux, nous dit Yuan Hongdao (1568-1610) en adepte du bouddhisme tch’an amoureux des paysages, nuages, montagnes et pierres, « Le Kiosque de la Littérature est lui aussi admirable. »

Pour lui, comme l’eau vive « la littérature s’élabore par la concentration et s’exprime par le souffle. »

« Rien, sous le ciel, n’est plus proche de la littérature que l’eau. Elle part soudain tout droit, ou soudain change de cours. ]…[ Rapide ou lente, nonchalante ou brusque, elle jaillit sous dix mille formes. »

C’est quand même fou ce qu’une pierre a à transmettre !

M. L. (texte, notes, photos)

 

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Illustration de tête : Léonard (détail ; fresque murale réalisée par Nadège Dauvergne et Fabrice Minel/Captain’Baf, Méru, Oise)

 

 

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12273371693?profile=originalStatuette en « rubis-zoïsite »

(7x7 cm)

 

      Il a d’abord fallu trouver la pierre. Une roche unique, l’anyolite, trouvée au pied du Kilimandjaro dans la mine Mundarara, près de Longibo en Tanzanie, pays des éléphants. Cette roche est constituée de zoïsite chromifère, d’un beau vert pomme (silicate), de rubis, un corindon auquel le chrome donne sa couleur rouge, et de tschermakite noire (un silicate riche en calcium du groupe des amphiboles).

Puis la pierre a voyagé jusqu’en Inde, pays à culture millénaire, pays légendaire…

 

12273371899?profile=originalLe maître et l’élève.

Lapidaire cinghalais et son apprenti (ca 1910)

 

      Là un lapidaire a repéré un rubis suffisamment gros pour y sculpter un personnage, en appréhender la forme, la position, l’environnement qui lui conviendrait selon l’emplacement du corindon dans le bloc de zoïsite verte. Œil expert, science de la matière.

 

12273372866?profile=originalStatuette en « rubis-zoïsite », détail.

 

Il a choisi Ganesh, le fils de Shiva et de Parvati. Ganesh, le dieu de la sagesse et de la connaissance du panthéon hindouiste. Symbole de l’union entre le macrocosme et le microcosme, il est traditionnellement figuré avec un gros corps de couleur rouge, une tête d’éléphant portant une seule défense et quatre bras. Il tient un aiguillon à éléphant dans sa main avant droite pour maîtriser le monde, une mangue, une offrande, dans la gauche qui récompensera celui qui cherche la vérité. Ses deux autres mains tiennent respectivement un nœud coulant pour capturer l’erreur et un trident (trishula, l’arme de Shiva), l’arme qui détruira la convoitise. Il est représenté assis en tailleur sur son trône de lotus, une couronne sur la tête, une jambe repliée, et entouré de cobras royaux (nagas).

 

12273373099?profile=original Ganesh est souvent accompagné de Mûshika, le rat qui lui sert de véhicule.

 

Ganesh comprend le monde. Le lapidaire comprend Ganesh. Le lapidaire connait et maîtrise la pierre.

Toute une éducation.

 

12273373890?profile=originalGanesh, sagesse et éducation

 

Il sait tout de ses attributs. Il l’invoque avant d’entreprendre afin de lever tous défis qui s’imposent à lui. Et les difficultés ne manquent pas…

Le rubis est très dur (9 sur l’échelle de Mohs, 10, pour le diamant, étant le dernier échelon), et cette grosse masse d’un rose soutenu fera un dieu fort convenable, qu’il taillera dans cette riche matière. Un bout de la trompe de corindon, pur et incolore, achromifère, donnera même une illusion parfaite. La zoïsite (dureté 6-6,5), vert feuille de lotus, sera idéale pour le trône. Le noir de l’amphibole (dureté 5-6) pouvant évoquer la lutte entre le bien, l’intelligence, et le mal, l’ignorance.

Humble travail du lapidaire pour un dieu très populaire. Ganesh mérite bien sa réputation d’enlever les obstacles.

 

12273374475?profile=originalUn dieu populaire…

 

12273375057?profile=original… notamment lors des mariages.

Une prière est d’abord consacrée à Ganesh,

dieu de la chance et de la sagesse, gage d’un ménage heureux.

 

      L’hindouisme fait bon ménage avec l’ayurvéda, « science de la vie ». Si l’on peut accorder quelque crédit à la médecine ayurvédique, dont un avatar moderne est la lithothérapie auquel je n’en accorde aucun (au contraire de la phytothérapie)… mais après tout je vous ai bien donné à voir un éléphant rose…

 

12273375257?profile=original

 

      Quoi qu’il en soit donc, selon les textes védiques (le Garuda Purana et le Graha Gocara), le rubis (manikya) conférerait courage et fortifierait le cœur, améliorerait la circulation sanguine, tout en vous débarrassant de la tristesse et de l’emprise de la sensualité. Egalement prescrit pour traiter la paralysie, la schizophrénie… Souverain… ce « joyau rouge » (shona-ratna).

Légendes, magie, pragmatisme, les médecines traditionnelles procèdent souvent par analogie (la toile d’araignée, composante de certaines préparations, était ainsi réputée piéger la fièvre). Le rubis, dont la couleur la plus prisée est dite « sang de pigeon », variété que l’on trouve au Myanmar (Birmanie) à Mogok, est donc tout indiqué pour les maladies du sang.

 

12273375458?profile=originalCristal naturel de rubis (Mysore, Inde)

 

Dans le sous-continent indien on le trouve du côté de Mysore (Inde du Sud) et de Ratnapura (Sri Lanka). Là où le bât blesse encore c’est que le « rubis » (de ruber, rouge, rubeus, rougeâtre) est un nom autrefois donné à plusieurs pierres rouges avec qui il est confondu (le spinelle, de plus souvent trouvée dans les mêmes gisements comme à Mogok, anciennement dit rubis balais, voire le grenat, la rubellite…). C’est dire si son utilisation médicale relève de la science exacte.

 

12273375501?profile=originalSpinelle gemme dans sa gangue de marbre (Mogok, Myanmar)

 

On donne le nom de « gemme » à une pierre pure, noble, précieuse.

      Pour en revenir à notre « rubis », il ne peut pas être qualifié de "gemme", de pierre précieuse, au sens moderne en gemmologie ou en minéralogie. S’il en a la moelle il n’en a pas les qualités substantielles, la pureté et la transparence, quoique le cristal soit parfait et translucide.

Par contre, au sens ancien on donnait le nom de gemme à toutes pierres fines, montées en bijou ou ouvragées, coupes, aiguières, vases, nefs… ainsi parle-t-on des gemmes de Louis XIV ou de celles entrant dans les trésors des maharadjas.

 

12273375686?profile=originalChrist à la colonne

(anonyme, XVIIe siècle)

Héliotrope (jaspe sanguin ou « pierre de martyrs »), cristal de roche (colonne) et or émaillé (piédestal).

Cette extraordinaire statuette fit partie de la collection de gemmes de Louis XIV, grand amateur de pierres dures.

Même registre de couleurs, fond vert moucheté de rouge,

pour une pierre bien différente.

Les taches de sang ne sont pas appliquées, surajoutées, elles sont inhérentes à la pierre, constituantes du matériau. Le lapidaire a su faire ressortir et répartir les taches rouges naturelles et disséminées de la  pierre à dominante vert sombre pour figurer les stigmates de la flagellation. Il faut seulement être un sacré interprète de la pierre pour en traduire sa réalité.

« Pierre de sang »*, ou « jaspe d’Orient » comme on disait au temps du Roi Soleil, d'excellente qualité que l’on trouvait en Inde près de Rajkot sur la péninsule de Kathiawar.

Le Christ mesure 13 cm de haut.

(photo Louvre captée sur le net)

 

Quoiqu’iconoclaste, le rapprochement entre ces deux statuettes n’est pas fortuit. Le « rubis-zoïsite », de par sa couleur, se rapproche de la « pierre de sang » (pitoniya, ou « joyau de sang », raktamani), verte ponctuée de rouge, à laquelle en Inde on attache beaucoup d’importance. Son rouge est celui de la peau de Vala, un démon, que la divinité (Deva) du feu, Agni, transmua en « pierre de sang » et dispersa dans l’eau du fleuve Narmada, une des sept rivières sacrées. Une pierre donc censée apporter richesses et purifier le sang.

Par ailleurs, Indra, roi des dieux (devas), souverain du ciel, dieu du tonnerre et de la foudre, dans la tradition védique de l’Inde ancienne, est souvent représenté avec la peau rouge et montant son éléphant blanc, Airavata.

 

      Si le rubis, opaque (appelé parfois « racine de rubis »), comme la zoïsite verte (seule sa variété tanzanite, bleue, quoique souvent chauffée pour en rehausser le ton, peut être titrée « fine », « précieuse » ou « gemme ») de notre statuette ne peuvent être qualifiés de gemmes au sens strict, l’art consommé du lapidaire lui donne la noblesse d’une gemme digne d’entrer dans des collections princières.  Et suffisamment noble pour représenter un dieu.

Et le modeste et anonyme artisan capable de tailler un tel objet précieux peut bien être élevé au rang d’artiste.

 

12273376474?profile=originalUne autre statuette de Ganesh en « rubis-zoïsite »

(photo captée sur le net)

Forcément différent… selon la taille et la position du rubis

que le lapidaire découvrira… ou pas dans sa gangue verte.

S’il a ses codes, immuables, sa production ne peut pas être de série.

Créateur ou non ?

 

      En minéralogie, la couleur n’est pas non plus en soi un critère spécifique d’identification. Ainsi le corindon sera appelé en gemmologie « rubis » s’il est rouge, « saphir » bleu ou d’une autre couleur, à condition que le nom soit suivi de l’adjectif de couleur (saphir jaune, vert…), ou même rose-orangé pour le très rare « padparadscha », couleur fleur de lotus. Par ailleurs, l’émeri qui servait à polir les pierres, est constitué de corindon. Admettons qu’il est difficile parfois  de s’y retrouver dans cette toile.

La couleur, on l’a vu, est due à la présence de traces généralement métalliques, le chrome par exemple pour le rubis. La zoïsite quant à elle sera verte en présence de chrome, rose en présence de manganèse (elle est alors appelé thulite, qui n’en est donc qu’une variété), bleue en présence de vanadium (et alors appelée tanzanite)…

 

12273377055?profile=originalRoses pourpres de pierre

comme un cœur en hiver.

Un autre exemple de ce qu’on peut obtenir avec cette pierre faite essentiellement

de corindon rouge (rubis) et de zoïsite verte…

 

Sculpteur ou lapidaire ?

      Le sculpteur travaille généralement le calcaire, le marbre en particulier, pierres tendres. Le lapidaire façonne les pierres dures. La dimension de l’œuvre peut permettre de les distinguer, monumentale pour l’un, miniature pour l’autre.

Différences qui souffrent de si nombreuses exceptions que l’on ne peut en tirer une règle.

Alors il faut bien admettre des critères distinctifs beaucoup plus subjectifs. Il manque peut-être à notre statuette la patine du temps, qui peut faire la valeur de l’objet. Surtout, défaut rédhibitoire, il lui manque une signature, qui fait le renom de l’artiste… et de son propriétaire. Et lorsque l’antique se conjugue à l’estampille on parlera plus volontiers d’objets d’art, d’exception. Prestige d’une particule.

Pas de vrai distinguo soit, mais d’aucuns sont plus distingués.

J’espère avec ce nouvel article vous avoir fait découvrir de toutes les couleurs, soyez indulgents toutefois, je n’ai pas quatre bras.

 

Michel Lansardière

(texte et photos coll. M.L.)

* Traduction littérale de l’Anglais « bloodstone ». Le plasma est un jaspe vert parfois tacheté de jaune, tandis que la sanguine, que peintres et dessinateurs connaissent bien, est un oxyde de fer, l’hématite ou oligiste.

 

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Essence de vie (poème visuel 4)

12273363072?profile=originalSous la lune, ce paysage est encore plus sublime ;

la face cachée des fleurs et des arbres,

l’humeur secrète des monts et des eaux

y ont une autre séduction.

Yuan Hongdao (1568-1610)

 

 

Essence de vie

 

Chef-d’œuvre non signé

Chef-d’œuvre d’humilité

Saisir la beauté et la sublimer.

 

Harmonie, respect, pureté, sérénité

 

Humanité délivrée

Simplicité inspirée

Complicité, spontanéité.

 

Transcender l’ordinaire

Creuser aux racines

Pour atteindre l’universel.

 

Conscience, essence de vie

Sincérité de cœur et d’esprit.

 

Ainsi la fleur de cerisier s’abandonne au vent

Gagne l’onde, quitte le réel pour l’éternel.

 

Michel Lansardière

 

 

« Harmonie, respect, pureté, sérénité » : principes du zen (tch’an en Chine) selon Sen no Rikyū (1522-1591), maître de thé japonais de l’école wabi. Comme lui, le lapidaire chinois, par un travail sur soi, solitaire, communie, interagit avec la nature. Sa pratique vient de l’Eveil.

      Au Japon, le wabi-sabi (wabi : solitude, nature, simplicité… et sabi : vieillissement, patine des objets…) est un concept esthétique et sentimental qui reflète le passage du temps, le travail des hommes, la modestie, la sobriété… que l’on peut trouver dans les choses simples (une pierre, un bouquet, un arbre - ikebana ou bonsaï -, un jardin sec, un parfum - kōdō -, ou la cérémonie du thé). Soif d’idéal.

 

« Quand arrive le printemps,

Je m’assieds dehors pour travailler

Et je ne m’ennuie jamais.

Avec un ciseau dans la main,

De la pierre je fais jaillir des fleurs. »

Anonyme japonais

(Poème du début du XVIe siècle figurant sur un rouleau illustré, ou emaki, le Sanjuniban Shokudin Uta-awase, réalisé suite à un concours de poésie, un uta-awase)

 

 

Illustration : Pierre de rêve (mengshi), détail.

Eau et rocher (montagne miniature du jardin chinois)

Vide médian/souffle/âme/respiration/énergie

 « La lune approfondit le chagrin de nos secrets enfouis. »,

Li Bai (ou Li Po, 701762)

 

La pierre est ordinaire, une couche de calcédoine blanche (cortex) fait ressortir le cœur (noyau ou nucléus) gravé par l’artiste anonyme.

Le banal ainsi est transcendé.

Une pierre dont la contemplation est décidément très inspirante.

 

Puisque au fond rien n’a d’existence,

au moins son cœur de silice résiste au feu

des passions qui nous consument.

M. L.

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12273359679?profile=original

L’esprit est un miroir brillant

L’esprit est comme un miroir brillant

Maîtrise de l’esprit sur la matière
En laissant chanter la pierre
Abolir le temps, l’espace
Se soustraire au monde.

Juste une sensation de fraîcheur
Un bouquet d’arbres, en fleurs
Un reflet de lune pâle
Saisie d’une caresse magique.

Pure jouissance esthétique
Le goût subtil de l’inutile
Du lointain éclat de l’opale
Astre d’une nuit magnétique.

Michel Lansardière

« L’esprit est comme un miroir brillant »,
                                                                       Shen-hsiu (ou Shénxiù, ca 607-706).


Ce à quoi Huìnéng (Eno pour les japonais), son maître, le sixième patriarche du bouddhisme tch’an (le Tch’an ou Chan en Chine devint le zen au Japon), répondit :
« Il n’y eut jamais… de miroir clair, l’Esprit est depuis l’origine Absence absolue ».
Huìnéng (638-713), illettré, mais à quoi bon quand l’écrit est impuissant à rendre les vérités profondes, était par ailleurs… graveur (sur bois).

12273360459?profile=originalComme un oiseau sur la branche
Détail (ca 3x3cm) d’une tabatière chinoise en calcédoine (agate) à deux couches.
La couche supérieure blanche a permis au sculpteur de faire ressortir ces motifs d’oiseaux dans des branches de prunus en fleur, tandis que le cœur gris-bleuté les met en valeur. L’oiseau et de la fleur de prunier symbolisent l’hiver.

En-tête : Pierre de rêve (mengshi) gravée, détail. Une pierre propice à la méditation.

Dans le souffle d’un Yuan Hongdao, j’ai voulu ces
« Propos inspirés par l’entente des cœurs dans une retraite campagnarde, paresseux et libres. »

M. L.

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Abolir le temps (poème visuel 2)

12273358878?profile=original« Nulle pierre ne peut être polie sans friction,

Nul homme ne peut parfaire son expérience sans épreuve.»,

Kongzi (Confucius)

Abolir le temps

Il s’assit alors sous le pin de la longévité,

dans cet entredeux, cet entrelacs,

ne servant à rien,

ne faisant rien

Sublime oisiveté

Il n’eut plus ni passé

ni présent

Il ne pâtit de rien

Suprême liberté

Tel le phénix,

oiseau de paradis,

vit au loin un rocher d’éternité

et, passant au-delà de sa psyché,

il entra dans le domaine où il n’existe ni vie ni mort

Infinie félicité.

Michel Lansardière

Une fin heureuse très inspirée (en italiques) de l’infinie sagesse de Tchouang-tseu (ou Zhuangzi, IVe s. av. J.-C.) et interprétée à la lumière de l’énigmatique calligraphie muette et minérale gravée par le lithoglyphe…

Illustration : Pierre de rêve (mengshi)

sur son support en bois réalisé sur mesure (daïza)

Calcédoine (agate)

La composition de l’œuvre respecte les principes de la peinture chinoise classique, celle d’un peintre et poète comme Ni Zan (1301-1374) par exemple, un des « quatre grands maîtres Yuan » : un arbre en avant, un rocher, une montagne en arrière-plan, coupés en leur mitan par un plan d’eau.

Ce plan d’eau, tel un silence dans une partition, c’est un souffle,

un vide animé, une onde qui relie et unifie le yin et le yang.

Recherche esthétique autant qu’éthique.

Le glypticien a travaillé ici en léger bas-relief pour le plaisir du lettré.

Objet de curiosité pour les uns, de méditation pour les autres.

Notes :

L’agate mesure 10,5 x 7,5cm, 12 cm de haut avec son support. Cette pierre de rêve aurait été réalisée, sublimée, dans une pierre locale assez banale (le Brésil devenant le premier fournisseur d’agate de très belle qualité dans les années1840) sous la dynastie mandchoue des Qing, probablement entre 1750 et 1850.

Glypticien : spécialiste de la gravure sur pierre (intailles et camées). On parlera indifféremment de glypticien, lapidaire, graveur, voire tailleur, ciseleur, sculpteur. Quant au lettré Littré, toujours distingué, il emploie le mot lithoglyphe. Pour le graveur sur cristal de roche (quartz) on utilise parfois le terme de cristallier, en Belgique notamment (un mot qui désigne aussi, dans les Alpes suisses ou françaises, le chercheur de cristaux). Quant au gemmologue (ou gemmologiste) c’est un spécialiste de l’étude des pierres précieuses.

Le phénix chinois, ou fenghuang, règne sur les autres oiseaux. Il symbolise les plus hautes vertus et, tout comme la grue blanche, emporte les défunts sur les îles des immortels pour l’éternelle sérénité.

M. L.

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Poème visuel (1)

12273355870?profile=original« Si l’on avait vaincu le secret de l’immortalité,
On ne compterait plus les allées et venues du printemps. »,

                                                                                      Anonyme chinois (XVIIIe s.)

Poème visuel

Quand les mots ne suffisent plus
Quand le mystère est trop grand
Que même la pierre ne peut exprimer l’indicible
Que ma plume s’assèche en attendant le jour
Que l’hiver espère un nouveau printemps
Alors la nature toute entière se grave dans ma mémoire
Comment s’en détacher ?
Et je pleure sur le monde d’hier.

                                                                                                    Michel Lansardière

Illustration : Pierre de rêve (mengshi)
Infinie terminologie faite de fantaisie et de poésie, on parlera de « pierres de rêve » (mengshi), « pierres étranges » (qishi), « pierres de couleurs » (caishi)… ou simples « pierres de décoration » (kazari-shi) toutes vous transportent et vous poussent à aimer.
Il s’agit d’une calcédoine (agate), polie comme un miroir,
finement ciselée et dorée sur tranche
(la tranche supérieure est en effet recouverte d’émail doré selon une technique, laque et or, proche du kintsugi, « jointure en or », japonais).

Ce que fit le lettré ?…

Il s’assit alors sous le pin de la longévité…

Le prochain billet lui sera consacré…


M. L.

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12273349882?profile=originalLapidaire

L’œil, la main, le lapidaire

(L’Art et la Matière)

Lapidaire, ca 1920, Allemagne (Idar-Oberstein ?, C.P.A.).

Intelligence de la matière et cœur de pierre

Où l’on verra que cela n’a rien de péjoratif…

 

« La promesse au tréfonds du caillou dessine en riant le ciel. »,

Jean-Pierre Luminet

 

Ce billet constitue le pendant du précédent, « L’œil, la main, le lapidaire » ( https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/l-il-la-main-le-lapidaire-l-art-et-la-mati-re ), dans lequel des explications complémentaires seront données sur les gemmes utilisées et l’art du tailleur de pierres, le tout agrémenté bien sûr de nouvelles illustrations.

Il y a tant d’histoires à raconter…

 

12273350461?profile=originalL’œil du maître

Aux yeux perçants d’une agate il faut le regard pénétrant du lapidaire… agate œillée ou niccolo (1,8 x 1,3cm ; Indonésie).

 

 

12273351259?profile=originalBouchon de flacon à tabac (Chine, XVIIIe ou XIXe s.) sculpté dans l’améthyste figurant un crapaud posé sur une fleur de lotus, le tout sur 23mm x 15mm ! Dire qu’en gemmologie un « crapaud » est un défaut dans une pierre précieuse !

 

12273351854?profile=originalLe travail des agates d’après le Journal d’un voyage de Cosimo Alessandro Collini (1776)

Le travail des agates à Idar-Oberstein, capitale européenne de la taille des pierres dures, exigeait la collaboration de quatre corps de métiers.

Les mineurs (achat-grübern) qui extraient l’agate des montagnes du Palatinat rhénan. Les tailleurs (achat-schleiffern) qui, penchés sur leurs meules, polissent la pierre. Les foreurs (achat-bohrern) qui percent et façonnent des ébauches que les maîtres-lapidaires parachèveront.

Sur l’illustration on notera :

En bas, à gauche, la meule de grès alimentée en eau ; au centre, le lapidaire couché en position de travail allongé sur son banc (kürass) ; à droite, détail du banc de travail.

Au centre, un touret à polir.

En haut, différents dispositifs pour percer, creuser ou polir au XVIIIe siècle.

 

 

12273352096?profile=originalYin-Yang

 Le grand commencement originel

Yin et yang dansant dans une agate (Indonésie). La glace et le feu, l’ombre et la lumière, le vide et le plein… effet obtenu d’un geste délié.

 

« Le Tao engendre l’Un

L’Un engendre le Deux

Le Deux engendre le Trois

Le Trois donna naissance aux Dix Mille Êtres

Les Dix Mille Êtres s’adossent au Yin

et serrent sur leur poitrine le Yang

L’harmonie naît au vide des souffles médians. »*

Lao Tseu

Pensée complexe dont j’essaie de suivre les méandres.

 

12273352663?profile=originalLa croix et la manière

Une croix se dessine et flotte telle une apparition dans l’agate (Indonésie).

Le lapidaire comme le photographe ou le peintre saisit l’image et de sa main l’impose à l’esprit.

 

12273352870?profile=originalLa montagne de la croix sacrée

Huile sur toile, 1875 (détail)

Thomas Moran (1837-1926)

Mount of the Holy Cross (Colorado) qu’avait photographié pour la première fois en 1873 William Henry Jackson (1843-1942).

Les deux artistes accompagnaient la mission géologique de Ferdinand Vandeveer Hayden (1829-1887) de 1871. Ces trois-là furent à l’origine de la création du premier parc national, celui du Yellowstone.

Art et géologie se recoupent.

 

 

12273353459?profile=originalFigure taillée en bas-relief comme pour un camée dans une moldavite.

La moldavite (de la Moldau pour les Allemands, ou Vlatvite, de la Vlatva pour les Tchèques) est une tectite (ou impactite), c’est-à-dire un verre d’impact dû à la chute d’un bolide de grande taille sur la Terre il y a 15 millions d’années.

Le travail du lapidaire est remarquable de finesse, jouant de la couleur, de la transparence, de l’épaisseur de la pierre pour modeler un visage empreint de noblesse. Bel exemple de glyptique.

 

12273353687?profile=originalMoldavite (ou vlatvite) de Bohème (République tchèque)

telle que le ciel et la terre nous l’ont donnée ! brute !

Cette pierre, quasi extra-terrestre, sans être une météorite mais le résultat de son impact, un métamorphisme de choc, se trouve en Bohème (région de České Budějovice), alors que l’astroblème (le Nördlinger Ries en Bavière) d’où elle a été éjectée se situe en Allemagne à 300 kms !

 

12273354076?profile=original« Monument Valley » 

Agate paysage du Brésil, taillée à Idar-Oberstein en Allemagne. Vision panoramique, profondeur de champ, dans un technicolor éblouissant, on se projette dans un film de John Ford. Les vastes étendues entre Arizona et Utah, tout ça dans moins d’un millimètre d’épaisseur et dans la dimension d’une vignette (4 x 2,8cm).

 

« C’est un miroir merveilleux qui, à un moment donné,

a reçu l’empreinte et reflété l’image d’un grand spectacle…

la vitrification de notre planète. »,

George Sand

 

12273354459?profile=original« La mare au diable »

 Agate paysage (Inde). Des inclusions d’oxydes et d’hydroxydes de fer et manganèse forment ce paysage fantasmé. Ce « dessin » (2,2 x 2cm) est produit de façon naturelle par la croissance fractale d’oxydes. La nature n’a pas de dessein, mais l’homme par son intention révèle l’œuvre. George Sand appréciait tout particulièrement les dendrites. A sa mémoire, c’est donc à un voyage au cœur du cristal que je vous invite ici.

 

12273354875?profile=originalPetite coupe en agate mousse (Inde)

La ‘mousse’ est due à des inclusions de chlorite, un silicate.

Travail particulièrement délicat qui montre toute l’habileté du lapidaire.

 

 

Photos coll. M. L.

 

* Le Tao-tö king, dont cette citation est extraite  est un texte bien obscur pour nous, sujet à controverse. Me référant notamment à François Cheng, il peut s’interpréter ainsi : « Le Vide originel engendre le Souffle originel qui engendre les souffles vitaux, les principes complémentaires du Yin et du Yang s’associent au vide médian faisant naître l’ensemble de la Création. »

 

Notes :

  • Toutes les pierres présentées sont entièrement naturelles, sans traitement (ni colorées artificiellement, ni traitées thermiquement), si ce n’est la taille et le polissage. La nature dans ce qu’elle a de plus beau et de plus secret. Si vous voulez en savoir davantage reportez-vous à la note suivante.
  • Calcédoine, agate, cornaline sont en fait synonymes. On parlera d’agate pour des calcédoines colorées et rubanées (le terme de calcédoine étant souvent réservé pour les couleurs grise ou bleue, de cornaline pour une pierre d’un rouge-orangé, alors que la sardoine est brun-rouge, d’onyx pour une alternance de couches blanches et noires, chrysoprase pour la calcédoine verte… Finalement ce n’est qu’un code de couleurs pour une même matière, un quartz microcristallin. Si l’agate est translucide, le lapidaire doit se montrer extralucide. Connaissance, clairvoyance, il est en intelligence avec la matière. Quant au jaspe c’est un quartz microcristallin opaque associé à d’autres minéraux, des oxydes de fer notamment, qui lui donnent des couleurs souvent vives et variées comme dans l’héliotrope, ou jaspe sanguin, vert moucheté de rouge, ou le plasma, vert tacheté de jaune, la lydienne, charbonneuse, noire... C’est la pierre de touche des orfèvres. Des minéraux à aspect amorphe, de même composition (SiO2) et de même dureté (7) que le quartz qui cristallise dans le système rhomboédrique, formant des prismes hexagonaux avec une terminaison sommitale en pyramide à six cotés.

« Les pierres sont des maîtres muets »,

Johann Wolfgang von Goethe

Chaque pierre a son histoire sans paroles…

… il faut savoir écouter, le lapidaire est volubile.

Sur cet oxymore j’ajouterai que la goethite a été dédiée à Goethe (1749-1832) et que cet oxyde de fer se trouve souvent en fines inclusions. Dendrites et inclusions, tout un monde en soi que j’espère vous faire découvrir un jour…

 

Notes et légendes Lansardière Michel

  

 

12273355865?profile=originalLapidaires et leurs tours à archet

“ Grinding gems –garnets, rubies, sapphires and moonstones,

at Ratnapora, Ceylon “

 (« Le meulage des gemmes-grenats, rubis, saphirs et pierres de lune à Ratnapura », Sri Lanka, ca 1910).

Petits métiers d’art du coin de la rue…

Le procédé est archaïque, mais le résultat obtenu souvent spectaculaire.

 

Lien : "Le luxe, le goût, la science..." Neuber, orfèvre minéralogiste à la Cour de Saxe.

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/exposition-le-luxe-le-go-t-la-science-neuber-orf-vre-min

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L’œil, la main, le lapidaire

(L’Art et la Matière)

12273353284?profile=original

L’œil appréhende, examine, perce, envisage
Dans l’inerte, le brut, la trace de quelque visage
Pierre roulée amasse dendrites, inclusions, formes
Mémoire des temps immémoriaux, informes.

12273353861?profile=originalDevant l’innommable, l’inconnu, l’étrange
La main soupèse, évalue, espère et tranche
La tête sur le billot, la silhouette, le paysage
Certains voient dans cette révélation un présage.
12273353875?profile=originalDans l’ombre de l’atelier le lapidaire est un expert
Hasard ou intuition, heuristique et probabilité
Il discerne, interprète, modèle l’objet à façonner
Qui sans lui ne serait que galet, caillou sans vie.
12273354267?profile=originalEn la matière, sa savante lecture des pierres
Taille, clivage, sciage, polissage et manière
Mettent en lumière et offrent à l’imaginaire
Du cristal inanimé, son âme, ses mystères.

12273354660?profile=originalArtiste obscur, artisan habile et téméraire
Devin, maïeuticien d’une réalité augmentée
Pour nos sens à jamais émerveillés, ravis
De ce tour d’où jaillit l’étincelle, l’esprit.

Michel Lansardière
(photos coll. M. L.)

12273354884?profile=original

Si vous voulez tout savoir sur les pierres présentées en interlignes tels des culs-de-lampe historiés et le travail du lapidaire, je vous convie à lire le billet suivant :

« Voyage au cœur du cristal »

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/voyage-au-c-ur-du-cri...

12273355292?profile=original

12273355076?profile=originalJe dédie ce poème aux artisans d’art, et plus particulièrement à mon grand-père.

Penché sur son banc de finition, cette photo ancienne d’un lapidaire allemand me le rappelle.

Mêmes gestes, même attitude, même silhouette, même amour du travail bien fait, même air bienveillant. Flamand (de Lede), il fit la guerre de 14-18, qui le rendit antimilitariste, s’installa et se maria en France.

Il m’éleva avec ma grand-mère jusqu’à son décès en 1966. Il était artisan-bottier.

Il s’appelait Petrus Flonius Bijl (Pierre Byl pour l’état civil français, mais il resta Belge jusqu’au bout),

ma grand-mère l’appelait Floni.

Je pense souvent à lui.

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Raphaël : un trait de génie

12273335101?profile=originalLa Vierge assise avec l’Enfant et le petit saint Jean-Baptiste
Dessin préparatoire pour La Belle Jardinière,
un chef-d’œuvre exposé au Louvre.

      Inutile de vous présenter Raffaello Sanzio (1483-1520), il est un des artistes les plus célèbres de la Renaissance italienne, de la Sainte-Trinité de Vinci, Michel-Ange, Raphaël. Laissez-vous simplement guider par la main du Maître dont on fête cette année le cinq centième anniversaire de la disparition.
Tout paraît en effet si simple, si évident, il est si doué. Il a tout compris, tout assimilé, tout est allé si vite, mort si jeune, à 37 ans tout juste, il a tant produit…
Alors juste s’attarder sur son trait, avec en contre-point quelques tableaux, dont les trois conservés, véritable trésor, par le musée Condé de Chantilly (Oise). Et comme une exceptionnelle exposition, la seule organisée en France à cette occasion, lui est consacrée jusqu’au 20 août 2020, profitons-en…

12273336085?profile=originalUn ange passe…
Trois études d’un ange volant.
Sanguine

Grâce (grazia) et équilibre.

      Tel pourrait se qualifier le style de ce maître de la Renaissance italienne. Et le cabinet d’art graphique du château de Chantilly où ces dessins sont réunis nous donne l’occasion de flâner.
Aussi, comme je l’ai dit, je ne m’attarderai pas sur sa biographie, pas davantage sur l’œuvre peinte, sa technique… Non, juste rêver en sa compagnie.

« La Nature l’offrit au monde : déjà vaincue par l’art de Michel-Ange,
elle voulut l’être à la fois par l’art et la bonne grâce avec Raphaël. »,

Giorgio Vasari (1511, 1574)

12273336269?profile=originalMadone d’humilité couronnée par deux anges

Divine harmonie.

      Ces dessins c’est la genèse de l’œuvre. Action et réflexion. Une plongée dans l’esprit, dans l’intimité du peintre. Un moment de création partagé, au-delà du temps, de l’espace, dans le langage universel. Une connivence s’installe dans la pénombre propice, comme lorsqu’on vous chuchote un secret à l’oreille. Moment rare, privilégié, ces dessins ne sont jamais exposés, ils restent dans l’ombre, les cartons, à l’abri.

12273336876?profile=originalEtude pour Dispute du Saint-Sacrement
La Dispute (au sens de discussion) est la première des grandes fresques
qu’il exécuta pour le pape Jules II à Rome.

12273337657?profile=originalLa Dispute du Saint-Sacrement
Détail : partie inférieure gauche
Chambre de la Signature du Vatican.

12273337876?profile=originalEtude pour le Banquet des dieux aux noces d’Amour et Psyché
(Les Heures jetant des fleurs)
Sanguine

Suprême élégance, dolce maniera.

      Nous avons là des études, Raphaël préparant notamment ses fresques, elles serviront de modèles aux nombreux aides qui les exécuteront sous l’œil aguerri du maître.

12273338091?profile=originalHomme à demi drapé portant un fardeau
Etude préparatoire à la sanguine pour L’Incendie de Borgo

12273338677?profile=originalL’Incendie de Borgo
Chambre de l’Incendie de Borgo (Vatican)
Où l’on retrouve notre figure en bas à gauche de la fresque.

Deux fragments d’un grand carton préparatoire pour une fresque inconnue…

12273339075?profile=originalDeux enfants nus montés sur des sangliers et jouant à la lance
Fragment d’un grand carton pour une fresque perdue
(ca 1502)

12273339296?profile=originalDeux enfants nus montés sur des sangliers et jouant à la lance
Raphaël, d’une grande culture picturale et s’intéressant aux artistes de son temps, s’inspire ici pour le sanglier d’une gravure de Dürer.
Fragment d’un grand carton pour une fresque perdue
(ca 1502)

12273339888?profile=originalIb. : Deux enfants nus montés sur des sangliers et jouant à la lance
Le maître d’Urbino connaissait aussi bien les artistes de Florence, Rome ou Venise, mais aussi ceux d’Europe du Nord, ici il emprunte une figure à Dürer,
là à Van Eyck…
Détail

12273340075?profile=originalLa Vierge de la maison d’Orléans (1506)
(Musée Condé, Chantilly)
La nature morte (non visible sur la photo) derrière la figure de la Vierge
est un hommage rendu à Van Eyck,
une image tirée de son Saint Jérôme.
La culture, l’iconographie se diffusent…

12273340270?profile=originalJeune moine, vu de face, lisant un livre
Raphaël aussi étudiait beaucoup.

12273340691?profile=originalTête d’homme de trois-quarts

      Mais je ne saurai vous laisser sans présenter les trois tableaux de Raphaël que possède le musée Condé, réputé être en France le plus riche après celui du Louvre.

      A commencer par le plus célèbre, modèle de grâce et d’équilibre justement…

12273340877?profile=originalLes Trois Grâces (ca 1505)

Une renommée qui n’a cessé d’être reproduite, inspirant les artistes les plus divers.

12273341664?profile=originalHélie Poncet ( ?-1667)
Les Trois Grâces
Email de Limoges
(Musée national de la Renaissance, Ecouen)

12273341288?profile=originalLa Madone de Lorette (ca 1510)
Saint Joseph regarde la Vierge
qui couvre l’Enfant Jésus comme d’un linceul…

      J’ai voulu ne sélectionner que des œuvres autographes de Raphaël, mais vous découvrirez dans cette exposition d’autres dessins de son entourage, maître ou condisciple (Pietro di Cristoforo Vannucci, dit Le Pérugin ; Bernardino di Betto, dit Pinturicchio) et élèves ou collaborateurs (Piero di Giovanni Bonaccorsi, dit Perino del Vaga ; Polidoro Caldara, Polidoro da Caravaggio ; Giulio di Pietro di Filippo de Gianuzzi, dit Giulio Pippi ou Giulio Romano ou, pour les francophones, Jules Romain).
      Ces dessins, outre leur fragilité et quelques prêts, ne quittent jamais le château, le duc d’Aumale qui légua l’ensemble du domaine de Chantilly à la Fondation de France laissa des dispositions testamentaires strictes en ce sens.
      D’autres œuvres ne sont jamais montrées au public au-dehors du lieu où elles sont fixées, ce sont les fresques, j’aurai le plaisir de vous en présenter quelques-unes parmi les plus fameuses…
Pour patienter, une dernière œuvre de Raphaël que vous ne risquez pas de voir, sinon…

12273341887?profile=originalLe jugement de Pâris, 1562
Léonard Limosin (ca 1505-1576)
Email de Limoges
(Musée national de la Renaissance, Ecouen)
D’après une gravure de Marc-Antoine Raimondi
exécutée d’après un tableau perdu de Raphaël.
Et comme le château d’Ecouen, où est installé le
Musée national de la Renaissance,
n’est qu’à 20 kms de celui de Chantilly,
libre à vous de poursuivre la promenade.
Si en plus vous voulez trouver un peu de fraîcheur
dans un havre de paix et de culture…

Michel Lansardière (texte et photos)

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12273350479?profile=originalEmilio Baz Viaud

Mexico, 1918-1991

Autoportrait de l’artiste adolescent

(aquarelle et brosse, 1935)

 

« Que dire de ce que l’on aime

et comment le faire aimer ? »,

André Breton

(préface au catalogue de l’exposition « Mexique », 1939)

 

Avec les Contemporáneos d’autres figures s’imposent…

 

      Trois billets pour faire pendant aux « Trois Grands », voilà qui n’est finalement pas trop pour une telle mosaïque de talents. Et atteindre « la réalité magique d’une autre culture » perçue par Antonin Arthaud.

      En marge du muralisme, on trouve les Contemporáneos, moins idéologues, poètes sans papiers. Alors on colle des étiquettes. Bien pratique pour écrire mon papier, le rendre apparemment plus cohérent, mais pas toujours très juste. On adhère ou pas, les groupes sont poreux, les artistes  évoluent et sont souvent inclassables, à contre-courants.

A défaut on parlera de modernisme, teinté de régionalisme, pour un peintre comme Jesús Helguera (1910-1971) par exemple, d’un symbolisme très nationaliste.

 

12273351096?profile=originalJesús Helguera

Patrie

(photo captée sur le net)

 

Mais place à deux représentants dûment estampillés Contemporáneos :

 

12273352067?profile=originalFrancisco Zúñiga Chavarria

San José (Costa Rica), 1912-Mexico, 1998

Nus au drap

(huile sur toile, ca 1938)

 

12273351895?profile=originalAlfonso Michel

Colima, 1897-Mexico, 1957

Nature morte

(huile sur masonite, 1956)

 

12273353093?profile=originalAlfonso Michel 

Nature morte

 (huile sur toile, 1954)

 

Parallèlement on croise des surréalistes ou apparentés, dont nous avons déjà rencontré quelques porte-paroles. Ici, avec ce « sens inné de la poésie, de l’art » (Breton), la terre est fertile.

 

12273353676?profile=originalManuel Rodriguez Lozano

Mexico, 1896-1971

Nu

(huile sur toile, 1935)

 

« Ô ciel de terre ô mer agile
Encerclée de corps
Ô légitime soif pavée de courbes
Timide si la peau qui brille
Perle en toute délectation
Sous la fumée vibratoire de la chaleur des étoiles
Invisibles »
,

César Moro

 

12273354272?profile=originalGunther Gerzso

Mexico, 1915-2000

Paysage

(huile sur masonite, 1955)

« Dans chaque tableau de Gerzso, il y a un secret invisible. »

« Géométries de feu et de glace bâties sur un espace qui se déchire :

 suspension des lois de la pesanteur. »,

Octavio Paz

 

Auxquels on pourra ajouter Jesús Reyes Ferreira (1880-1977), dit Chucho Reyes, autodidacte à la verve poétique.

 

      Jusqu’à… la Ruptura. Groupe aux contours flous d’artistes qui voulaient simplement affirmer leur liberté de créer, offrant ainsi des perspectives quelque peu discordantes et novatrices. 

 

12273354489?profile=originalAlberto Gironella

Mexico, 1929-1999

Reine à la tête de chien

 (huile sur toile, 1961)

Peintre du « radicalisme passionnel » selon Octavio Paz,

« meurtres et résurrections » seraient les « rites interminables de la passion », « une étreinte qui serait un combat »,

pratiquant l’art du détournement

 (ici de La reine Marianne d’Autriche de Diego Vélasquez),

 un peu à la manière de l’Espagnol Antonio Saura,

sans parler de Picasso, ou du Britannique Francis Bacon.

Ou déviant peut-être même Francis Picabia (1879-1953) dessinant « Le portrait de la reine du Pérou » et décrivant ces chiens qui « n’eurent bientôt d’autre ressource que de manger leurs maîtres », lorsque « l’un d’eux apporta dans la hutte de Dingue la tête de l’Indienne dont il était amoureux. » « Alors, prenant la tête de la femme de la gueule du chien, il s’amusa à la lancer. » Association inconsciente ? Hasard objectif ? Travail onirique ?

Le fait est que La reine Mariana de Gironella, un assemblage très Dada comprenant une tête de chien naturalisée, et Le double monde de Picabia ornaient le mur de l’atelier d’André Breton.

Association libre

Apparentement terrible

Etrange coïncidence…

12273355072?profile=originalQuentin Garel (né en 1975)

Orang-outan

(bronze, 2014)

 

Refermons notre polyptyque consacré au Mexique. Mais, avant cela…

Quid du Mexique aujourd’hui ? Que dire qui n’ait déjà été dit ?

 

      Mexico, cœur palpitant d’une autre Amérique, n’en finit pas d’inventer son propre langage pictural et il faut au moins citer d’autres de ses enfants turbulents de l’art contemporain, tels Juan Soriano (1920-2006), Pedro Coronel (1923-1985), son frère Rafael Coronel (né en 1931), qui fut le gendre de Diego Rivera, Manuel Felguérez (né en 1928), José Luis Cuevas (1934-2017),  un « tempérament extraordinaire, doublé d’une maîtrise innée » (O. Paz), Gabriel Mocotela (né en 1954), Julio Galán (1958-2006), Gabriel Orozco (né en 1962)…

      Une nouvelle génération, de peintres juchitecos notamment (les Juchitecos de l’état d’Oaxaca forment une communauté de langue zapotèque. Une société matriarcale où la femme gère la cité aussi bien que le foyer), assure également la relève. Parmi eux, mentionnons Francisco Toledo*1 (1940-2019), Oscar Martinez Olivera (né en 1951) ou Sabino Lόpez Aquino (né en 1960).

Sans compter les graffeurs et leurs muraux que nous avons découverts au précédent chapitre.  De nouvelles fenêtres s’ouvrent en ce vingt-et-unième siècle. Murs et façades se couvrent de soleils aérosols.

 

Gaffe... des graffeurs fous, des graines d’Aztèques vous brusquent de frasques en fresques…

« Pour la fierté de ton peuple, sur le chemin des anciens et la mémoire des oubliés. »

12273355481?profile=originalTlacolulokos (Dario Cánul et Cosijosea Cernas)

(acrylique sur toile, 2017)

(photo captée sur le net)

12273328286?profile=original

Les murs qui, chacun sait, ont des oreilles questionnent comme le fit Atahualpa Yupanqui (1908-1992) dans ses Preguntitas sobre Dios*2

« Grand-père est mort dans les labours

Sans prière ni confession

Et les Indiens l’ont enterré

Flûte de roseau et tambour. »

 

12273356893?profile=originalSaner

 (photo Steve Welnik)

 

      Parmi ces agitateurs de l’art urbain contemporain mexicain, Edgar Flores, né en 1981, alias Saner, est sans doute l’un des plus en vue avec ses personnages aux couleurs vives, ses masques et crânes inspirés d’un folklore local revisité. Il a collaboré avec Carlos Alberto Segovia Alanís, connu sous le pseudo de Sego (ou Ovbal pour ses œuvres abstraites), qui, quant à lui, hachure des créatures très organiques assez proches de ce que réalisait Mœbius (Jean Giraud dit, 1938-2012), lui-même imprégné par les paysages désertiques du Mexique, pays où longuement il séjourna. Une mention pour Stinkfish, né au Mexique en 1981 également, qui pratique une forme de guérilla urbaine dans un style « tropical psychédélique » à partir de photos détournées d’anonymes, mais il vit et travaille essentiellement en Colombie.

      Je taguerai quand même que de trouble à l’ordre public avec ces vandales, on est passé de perturbateurs à animateurs de cités ayant, pour certains, pignon sur rue. Des excitateurs d’un marché toujours très réactif qui mettent en effervescence les investisseurs, puisque parait-il, je ne suis ni critique ni conseilleur, c’est de la bombe.  « İ Santa Tortilla ! », comme dirait Speedy Gonzales.

 

12273357653?profile=originalSego y Ovbal

 

      Signalons enfin un peintre à l’hyperréalisme assez bluffant, Omar Ortiz, né en 1977 à Guadalajara, la capitale de l’Etat de Jalisco au centre-ouest du Mexique, et, dans un style assez proche, Enrique García Saucedo, né en 1971. A côté de ces artistes déjà confirmés, d’autres peintres émergent, tels Guillermo González Elizondo, Fernando Islas Cervantes, Diana Obdulia Montemayor Chapa, Diego Salvador Rios. Ou, dans le sillage de Posada, le prometteur illustrateur Carlos Lara, né en 1985. Etc. Cha-cha-cha.

 

      Voilà, en dix longs articles et une centaine d’illustrations, un tableau, ma foi assez complet (un bon gros livre en somme, inédit, accessible, libre et gratuit), de la peinture mexicaine au vingtième siècle, qu’il ne faut certes pas réduire à une ou deux figures plus charismatiques ou médiatiques, encore moins à une vision uniquement tournée sur l’Europe ou lorgnant exclusivement vers les Etats-Unis. On a trop chanté le parisianisme et l’Amérique. C’est aussi notre façon de faire tomber les murs (seules valent les cimaises, pas les cloisons), nuancer notre point de vue, réviser nos codes. Alors…

On oublie tout.

Sous le beau ciel de Mexico

Pour connaître…

Une aventure mexicaine
Sous le soleil de Mexico…

 

Mexico, Mexico...
Sous ton soleil qui chante,
Le temps paraît trop court
Pour goûter au bonheur de chaque jour.

Raymond Ovanessian, dit Vincy (1904-1968)

Adios amigos…

 

12273358055?profile=originalFrancisco Ángel Gutiérrez Carreola

Oaxaca, 1906-Mexico, 1945

L’adieu

(La despedida ; huile sur toile, 1939)

Dans le jargon tauromachique, la despedida

c’est aussi l’adieu du torero à l’arène.

Finie la corrida, il se fait alors couper la coleta,

une mèche derrière le col, signe distinctif de sa corporation.

 

Quoique, avant de tirer ma révérence, j’aimerais tant voir Veracruz et

« Les chiens noirs du Mexique

Qui dorment sans rêver. »

Boris Vian (1920-1959)

Quand les Juchitecos pensent que les chiens hurlent à la mort quand ils sentent la présence du démon et que fumer une cigarette éloigne le mal… Lointaine réminiscence de cette légende aztèque qui voulait que le xoloitzcuintle, ce chien nu mexicain qui était censé conduire les âmes jusqu’au Mictlan, le territoire des morts, et dont le nom même dérive du dieu cynocéphale Xolotl.

« La mémoire peut être un piège :

elle se croit réminiscence alors qu’elle est prémonition.

Il y a des moments où nous confondons nos souvenirs avec nos désirs. »

Carlos Fuentes (1928-2012)

 

Michel Lansardière (texte et photos)

 

*1 L’artiste juchiteco  Francisco Benjamin Lόpez Toledo s’est éteint le 5 septembre 2019 à Oaxaca alors qu’une vaste rétrospective (« Toledo Ve », « Toledo voit »), lui était consacrée au Musée National des Cultures Populaires de Mexico. Une reconnaissance pour ce peintre discret, la culture et la terre zapotèque qu’il défendait.

12273357892?profile=originalMe quito y me pongo arrugas como quiero

Petit hommage en images à celui qui décollait et avait des rides sous les yeux :

12273358489?profile=originalAutoportrait

*2 Ces Questions concernant Dieu du poète argentin ont été popularisées au Mexique par la grande Chavela Vargas (1919-2012). Elle fut l’amie de Diego Rivera et de Frida Kahlo.

 

Ce billet clôt, après plus de trois ans de recherches, une série de dix sur l’Ecole mexicaine de peinture, présentés en exclusivité sur Arts et Lettres. Ces dix billets couvrent près de deux siècles de peinture mexicaine, de 1850 à 2020 là où les meilleurs catalogues ne prennent en compte que la période 1900-1960.

Donc, si vous voulez voir ou revoir…

Une présentation générale de la peinture mexicaine du vingtième siècle :

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/los-tres-grandes-rivera-orozco-siqueiros-1-re-partie-que-viva

Les « Trois Grands » :

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/diego-rivera-los-tres-grandes-2e-partie

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/jos-clemente-orozco-los-tres-grandes-3e-partie

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/david-alfaro-siqueiros-los-tres-grandes-4e-partie

Frida Kahlo et les autres femmes peintres du Mexique :

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/femmes-fi-res-et-mexicaines-1-re-partie-frida-kahlo

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/femmes-fi-res-et-mexicaines-2e-partie-frida-mar-a-olga-rosa-et-c

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/femmes-fi-res-rebelles-3e-parie-alice-lilia-leonora-remedios-au

Les autres peintres mexicains du vingtième siècle et au-delà, le muralisme, le surréalisme, le stridentisme… :

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/diego-jos-david-et-les-autres-que-viva-mexico

 https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/los-otros-para-nosotros-diego-jos-david-et-les-autres-que-viva

 

Fin

« Les mexicains aiment avoir le cœur brisé. Ça leur fait ouvrir de grands yeux et ça les rend tristes… et ils aiment ça. »,

Elliott Arnold (1912-1980)

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Gemmes, l’imaginaire, le savoir-faire

12273328462?profile=original

Gemmes, l’imaginaire, le savoir-faire

Dans cet entrelacs minéral primaire
Par un patient travail, le lapidaire
Ondulant d’imaginaire en savoir-faire
(intelligence du geste,
art modeste)
Offre un unique exemplaire
Que l’œil a inventé
(un éclair,
effet Schiller)
La main a sublimé
12273328674?profile=originalPosséder son métier
En bon ouvrier
Là est sa fierté.

Michel Lansardière

En-tête : Taillerie de Royat (Puy-de-Dôme ; ca 1900) : La taille et le polissage des améthystes, rubis, saphirs, émeraudes…
La Société Anonyme des Pierres Précieuses d’Auvergne, « La plus intéressante curiosité du pays » disait la réclame, est fermée depuis 2004. On n’y travaillait plus guère, on ouvrait le patrimoine à la visite… Les prolétaires de la terre ont perdu leur fierté. Hommage leur soit rendu, ils sont dignes d’éloges.


Au centre : petite coupe en agate mousse (pierre provenant d’Inde, mais probablement taillée en Allemagne à Idar-Oberstein). La « mousse » est due à des inclusions de chlorite, un silicate. Travail particulièrement délicat qui montre toute l’habileté du lapidaire.

On appelle « effet Schiller » (ou adularescence, labradorescence, iridescence, opalescence) une interférence, c’est-à-dire une propriété optique obtenue par la réflexion de la lumière sur la structure interne de la pierre et que la taille en cabochon et le polissage révèlent. Plus simplement on peut parler de chatoiement ou de miroitement. On trouve cet effet dans certains feldspaths (labradorite, pierre de lune, pierre de soleil) ou la nacre.


12273328867?profile=originalLabradorite de Madagascar montrant l’effet Schiller.

Convenez que ce miroitement, ce battement d’ailes, est finalement plus séduisant que l’ « effet papillon » qui vous transmet un virus en clin d’œil et sème chaos et désolation.

(photos coll. M. L.)

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12273324895?profile=originalCarlos Mérida
Quetzaltenango (Guatemala), 1891-Mexico, 1984
Projection d’une chasse
(huile sur toile, 1938)

      İ Caramba ! il ne faudrait pas que ces trois grands chênes d’Amérique que sont Rivera, Orozco et Siqueiros cachent une forêt de talents. Aussi poursuis-je ici la revue des troupes de cette armée mexicaine de peintres dont le talent mérite d’être signalé.

      A commencer par des peintres muralistes ou rattachés à ce mouvement pictural. Ainsi rendons justice à : Ramόn Cano Manilla (1888-1974), Ernesto El Chango García Cabral (1890-1968), Carlos Mérida (1891-1984), Amado de la Cueva (1891-1926), Emilio García Cohero (1895-1939), Xavier Guerrero (1896-1974), Manuel Guillermo de Lourdes (1898-1971), Emilio Luis Amero Mimiaga (1901-1976), Juan O’Gorman (1905-1982), Julio Castellanos González (1905-1947), Francisco Montoya de la Cruz (1907-1994), Jorge González Camerena (1908-1980), Alfredo Zalce Torres (1908-2003), Luis Arenal Bastar (1909-1985), José Chávez Morado (1909-2002), Fancisco Eppens Helguera (1913-1990), Raúl Anguiano (1915-2006), Fernando Castro Pacheco (1918-2013), Francisco Pancho Mora (1922-2002), Arturo Monroy Becerril (né en 1924), Arturo Estreda Hernández (né en 1925), Arturo García Bustos (1926-2017) ou Guillermo Bravo Morán (1931-2004), pour simplement les nommer car trop souvent ignorés même de volumineux traités (cf. Les précurseurs dans un précédent chapitre).

Comme si, lorsqu’on est provincial, certains étaient actifs à Durango par exemple, il était difficile de retenir l’attention. Hors les murs de Mexico point de salut.

Ou, guère plus valorisant, relégués au rôle d’assistants, ombres de la main du Maître. Maître à qui on attribue le mérite. Et dans l’ombre de son ombre il est pourtant patent que la première muraliste fut une femme, Aurora Reyes Flores (1908-1985), peintre et poétesse. Tant, ainsi que le disait María Izquierdo (1902-1955), « Ce n’est pas facile d’être une femme et d’avoir du talent », ou, pour Camille Claudel en 1913 depuis son asile-exil, « C’était bien la peine de tant travailler et d’avoir du talent pour avoir une récompense comme ça. »  

 

12273325292?profile=originalJuan O’Gorman
Coyoacán, 1905-Mexico, 1982
Projet de monument pour La Naissance de Vénus
(détrempe sur contreplaqué, 1976)
Où les mânes du Facteur Cheval, Dada et le Surréalisme, planent…
Comme dans le jardin tropical de Las Pozas d’Edward James.

Aussi et avant tout architecte, il réalisa notamment la villa de San Ángel

pour Diego Rivera (la maison rose) et Frida Kahlo (la maison bleue).

Ces maisons jumelles et fonctionnalistes sont devenues un

 musée dédié aux trois artistes, le

Museo Estudio Diego Rivera de San Ángel, Mexico.

12273326058?profile=originalFaites entrer la lumière :

fonctionnelle avec ses deux ateliers indépendants, construite en 1933 par Juan O’Gorman selon des principes établis notamment par Le Corbusier (1887-1965), Walter Gropius (1883-1969), le fondateur du Bauhaus, ou Ludwig Mies van der Rohe (architecte allemand naturalisé américain, né en 1886 comme Diego Rivera à qui il ressemblait étrangement, mort en 1969).

Vingt ans plus tard, dans le même quartier de San Ángel, O’Gorman construisit une autre maison, inspirée cette fois du Palais idéal de Ferdinand Cheval (1836-1924).

La Maison Picassiette (Raymond Isidore, 1900-1964) n’est pas loin non plus.

Cette deuxième maison à San Ángel sera démolie en 1969.

Du fonctionnalisme au surréalisme…

Curieuses correspondances

 (photo captée sur le Net)

      Libérateur, le mouvement muraliste, né de la Révolution, porté par les « Trois Grands », devint école. Ecole qui se transforma rapidement en système, avec ses commandes publiques. Système qui entraîna la sclérose lorsque « La charge idéologique et didactique devient l’obstacle qui s’interpose fréquemment entre le spectateur d’aujourd’hui et les peintures de Rivera, d’Orozco et de Siqueiros. », Octavio Paz.

12273326456?profile=originalCarlos Mérida
Quetzaltenango (Guatemala), 1891-Mexico, 1984
Scène vaudoue
(huile sur toile, 1929)

« Ne vois-tu pas que le ciel est rouge ?
et jaune est le pré
Que les oranges ont un goût de rose. »
                                                                                  José Moreno Villa (1887-1955)

« Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange. »

Louis Aragon (1897-1982)

Alors se dégagent de nouvelles forces libératoires qui feront des années trente les plus bouillonnantes et les plus fécondes artistiquement. Et change la vision des choses.
       Certains feront des détours du côté du surréalisme (un surréalisme souvent de circonstances), Mérida toujours, ou Rufino Tamayo (1899-1991), qui fit l’essentiel de sa carrière aux Etats-Unis (déjà rencontré dans le billet consacré à son rival, Siqueiros). Et autres « Peintres de Mexico » (appellation d’origine contrôlée par Breton), Roberto Montenegro Nervo (1885-1968), Antonio ‘El Corcito’ Ruiz (1892-1964), Augustín Lazo Adalid (1896-1971), Manuel Rodríguez Lozano (1896-1971), Guillermo Meza Álvarez (1917-1997).

12273326490?profile=originalCarlos Mérida
Quetzaltenango (Guatemala), 1891-Mexico, 1984
L’amour est libre
(huile sur toile, 1940)
On peut penser à Mirò,
à Buñuel (mort au Mexique en 1983) et à Dalí,
à Un chien andalou
mais peut-on y penser en se rasant ?...

      En 1940 une « Exposiciόn internacional del surrealismo » se tint à la Galeria de Arte Mexicano avec des artistes tant européens (Ernst, Magritte, Mirò, de Chirico, Picasso, Dalí, Tanguy…) que locaux (Lazo, Lozano, Montenegro, Meza et Ruiz, ainsi que Mérida, bien que d’origine guatémaltèque, et José Moreno Villa, d’origine espagnole), cantonnés parmi les « Peintres de Mexico ». Kahlo, Rivera, pourtant peu « surréalistes », étant intronisés dans la section internationale. Le tout coordonné par Wolfgang Paalen et le poète péruvien César Moro*1, évidemment adoubé par Breton qui entend éminemment voir démontrée son intuition que « le Mexique tend à être le lieu surréaliste par excellence ».
Lieu que le poète et mécène Edward James (1907-1984) investit, installe et met en scène folies, ménagerie et sculptures pour en faire le jardin surréaliste idéal à Las Pozas sur la commune de Xilitla dans la Sierra Madre orientale. Utopie qui fit dire à son ami Salvador Dalí qu’il était « le seul fou authentique », « plus fou que tous les surréalistes réunis. » Et la jungle de La Huasteca devint son paradis, sa cité perdue, son « Xanadu surréaliste », le palais d’un Grand Khan émerveillant le Marco Polo de passage en ces lointaines et mystérieuses contrées.
Alors le Mexique, surréaliste ? Oui, si on veut, mais en Union libre,


« Ma femme à la langue d’hostie poignardée
A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
A la langue de pierre incroyable. »
                                                                                                    André Breton, 1931

12273327054?profile=originalAntonio Ruiz
Texcoco, 1892-Mexico, 1964
Le rêve de La Malinche
(huile sur masonite, 1939)
Ecartelée entre le songe et la réalité…
Car tout est bon pour s’aliéner les naturels.
Le rapt destiné à former des interprètes par « truchement »,
l’alcool, le travail forcé, la spoliation, le massacre pur et simple,
mais aussi le métissage. Ainsi Hernán Cortés et la Malinche,
Garcilaso de la Vega et la princesse inca Chimpu Ocllo,
John Rolfe et Pocahontas…
Enracinée, car ici le surréalisme est bien ancré dans le réel.

« Oh, mes enfants ! Où pourrais-je vous emporter pour ne pas vous perdre ?» se lamentait la déesse Cihuacόatl lors de la Conquête du Mexique.
Une histoire qui, mêlée à celle de la Malinche, est à l’origine de la légende de La Llorona, « La Pleureuse » déambulant vêtue de blanc.
Qui ne sait rien de l’amour, Llorona
Ignore ce qu’est le martyre.

Ce qui n’empêche pas un certain humour noir, si prisé des surréalistes en général et de Breton en particulier qui en fit une anthologie. Aussi auraient-ils sûrement apprécié l’esprit de ce quatrain extrait d’une ballade traditionnelle mexicaine, Rosita Alvirez, inspirée d’un fait divers survenu en 1883 (ou 1900 selon la chanson).


« La nuit qu’on la tua,
Rosita eut de la chance :
Des trois balles qu’elle reçut,
Une seule était mortelle. »


Fatalisme latino-américain… Une mort vaut bien quatre vers pour qu’elle rengaine. Et Rosita aimait danser, alors pensez, trois balles.
Laissons passer cette oraison funèbre…

« Toi comme moi avons l’œil terne, pierre
Comme moi tu rêves d’un cataclysme
Parmi l’humidité la sécheresse ou le temps indifférent
Une même soif nous accable
Pareil destin : la terre l’ennui
De trop t’avoir fixée ô pierre
Me voilà dans l’exil
Parlant un langage de pierre
Aux oreilles du vent… »
                                                                                 César Moro, Pierre mère, 1943

12273327086?profile=originalJuan Carlos Bracho
Cosautlán de Carvajal, 1899-Mexico, 1966
La Race
Onyx-calcaire vert du Mexique, 1938
Où le festonnage de la pierre évoque nos circonvolutions,
la persistance de la mémoire.
Quand le rêve s’inscrit dans le marbre…
Nul besoin d’interprète, de divan.
Ou, pour paraphraser Magritte,
« L’art, tel que [les artistes mexicains] le conçoi[vent], est réfractaire à la psychanalyse. »
Il n’empêche, le sculpteur a ici habilement su jouer sa partition,
conjuguant son vocabulaire à l’écriture de la pierre,
ce qui n’aurait pas été non plus sans déplaire à Roger Caillois*2.

D’autres se tourneront vers le cubisme ou l’abstraction…

12273327673?profile=originalFernando García Ponce
Mérida, 1933-Mexico, 1987
Présence III
(acrylique, 1973)

      On peut dire que les Street artists contemporains, de Jean-Michel Basquiat à Kara Walker, en passant par la Renaissance de Harlem pendant l’entre-deux guerres, doivent beaucoup aux muralistes mexicains.
       Au Mexique même, un renouveau de l’art mural et de son esprit communautaire a vu le jour avec notamment le collectif d’artistes Tlacolulokos d’Oaxaca, animé par Javier Dario Cánul Melchor et Cosijosea Eleazar Cernas García, dont l’objectif est de redonner la parole au peuple indigène et de lutter contre les trafics, la corruption et la discrimination qui gangrènent le pays.
Ou encore Spaïk, les duos Cix Mugre, aux couleurs électrisantes, et Duek Glez avec qui il collabore généralement signant Cix&Duek, ou Octavio Alegria qui travaille avec l’Espagnole Ester del Prado pour former Alegria del Prado. Modernes et colorées leurs œuvres monumentales sont fortement ancrées dans la tradition et la mythologie préhispanique, avec cette touche de fantastique, de surréalisme qui fait souvent le charme du street-art. Avec eux le muralisme s’ouvre au XXIe siècle, de nouvelles pages s’écrivent sur les murs de nos villes. La rue est devenue livre ouvert sur le monde.
Et Mexico, une nouvelle Roma*3 ?
Roma ville ouverte, Roma sous les bombes de graffeurs fous qui signent généralement d’un pseudo (Andrik Noble, Franc Mun, Neza, Revost, Sego y Ovbal, Saner, Smithe, mais aussi Jorge Telleache). Et si, dans les quartiers, les hommes dominent, des femmes (Paola Beck, María Antonieta Canfield, Sofía Castellanos, Paola Delfín, Lourdes Villagόmez), teintes souvent plus douces et sensibilité environnementale plus affirmée, sont également très actives. Galeristes, spéculateurs et tour-opérateurs sont déjà en embuscade.
Les murales s’offrent une nouvelle jeunesse.

Passant, rafraîchis-toi…
Sirop de la rue, urbaine liqueur, les graffeurs investissent les rues
et nous interpellent avant que la police ne le fasse.

12273328286?profile=originalTlacolulokos (Dario Cánul et Cosijosea Cernas)
Para entrar al barrio (Pour entrer au quartier)
(fresque, Tlacolula de Matamoros, Oaxaca, 2017)
L’état d’Oaxaca, dont Tlacolula de Matamoros est aujourd’hui le chef-lieu, fut le cœur de la civilisation zapotèque. Avec cette expression d’une fierté revendiquée on est loin du stupide graffiti laissé par un tagueur qui n’exprime au mieux que son ego. Ici couleurs vives et messages forts sont des moyens de lutte contre la violence et l’illettrisme qui règnent dans le pays.
(photo captée sur le net)

      Tous ont aussi une dette envers la photographe Lola Álvarez Bravo*4 (née Dolores Martinez de Anda, 1903-1993), connue pour ses reportages et ses portraits de Frida Kahlo, qui innova en réalisant en 1948 les premiers muraux à partir de montages photographiques (elle mit également sur pied la seule exposition personnelle consacrée à Frida Kahlo de son vivant et dans son propre pays, au printemps 1953).

Les stridentistes enfin, groupe formé par le poète Manuel Maples Arce le 31 décembre 1921, avec des peintres tels Ramόn Alva de la Canal, vu au chapitre précédent, Germán Cueto, peintre et sculpteur, Fírmin Revueltas (1901-1935), ou Leopoldo Méndez (1902-1969).
Ce dernier, graveur digne successeur de Posada, fonde en 1937 l’Atelier Graphique Populaire (TGP) avec Pablo O’Higgins (1904-1983) et Luis Arenal Bastar (1909-1985).
       Le Taller de Gráfica Popular est un véritable chaudron où, autour de Méndez toujours très activiste, on conspue le fascisme, le capitalisme, le cléricalisme… et burine à tout va son effroi dans de féroces charges.
Une auberge (posada) mexicaine où gravitent graveurs et peintres en colère de Dieu tels Ignacio Aguirre (1900-1990), Everardo Razmírez Flores (1906-1992), Ángel Bracho (1911-2005), Antonio Pujol Jiménez (1913-1995), Jesús Escobedo Trejo (1918-1978), Gonzalo de la Paz Pérez (1919- ?), Francisco Pancho Mora (1922-2002)… pour ne citer que les moins connus.

12273328299?profile=originalAffiche réalisée par le TGP pour la Fédération des Travailleurs en soutien à Adolfo Ruiz Cortines (1889-1973).
Président du Mexique de 1952 à 1958, il poursuivit une politique d’industrialisation.
1952 est aussi l’année où les Mexicaines obtinrent le droit de vote.
(photo captée sur le net)

      On pourrait croire cet univers exclusivement masculin. Il n’en est rien. Fréquentèrent ce milieu de nombreuses graphistes. Œuvrant pour la liberté je ne saurai sans les nommer vous parler d’elles.

12273329090?profile=originalSarah Jiménez Vernis
Guyen Van Troy (xylographie, 1966)
Nguyễn Văn Trỗi (1940-1964) était un combattant Viêt-Cong pour le Front national de libération du Sud Viêt Nam. Il fut exécuté après une tentative d’attentat contre le Secrétaire à la Défense des Etats-Unis et l’ambassadeur américain. Contre l’impérialisme, il brandit une affiche à la gloire du Président de la République démocratique du Viêt-Nam, Hô Chi Minh.
(photo captée sur le net)

Sans plus de protocole, voici donc Elena Huerta Muzquiz (1908-1997), également muraliste ; Elizabeth Catlett Mora (1915-2012), d’origine afro-américaine elle fut aussi sculptrice et l’épouse du peintre Francisco Mora cité plus haut ; Celia Calderόn (1921-1969), par ailleurs aquarelliste ; Fanny Rabel*5 (née Rabinovitch, 1922-2008), excellente dessinatrice et pionnière du muralisme ; Mariana Yampolsky Urbach (1925-2002), américaine de naissance elle fut de plus une personnalité majeure de la photographie mexicaine ; Andrea Gόmez y Mendoza (1926-2012), pour le reste muraliste ; Sarah Jiménez Vernis (1927-2017), à la pointe sèche et acérée. Ou encore la plasticienne Leticia Ocharán (1942-1997)… Souvent restées dans l’ombre, elles poursuivirent néanmoins leurs desseins et prirent toute leur place dans la révolution plastique (et politique) de leur pays.

12273329262?profile=originalSarah Jiménez Vernis
Ferrocarrileros (Travailleurs du rail)
Combattantes sur tous les fronts, solidaires de toutes les causes du peuple,
comme ici des cheminots, les femmes…
(gravure sur linoléum, 1957)
(photo captée sur le net)

      Des listes qui peuvent sembler fastidieuses mais toutes et tous méritent une mention dans l’histoire de l’art, leurs œuvres d’être diffusées. Une énumération comme lieu de mémoire pour une posthume gloire. Une incantation pour la postérité et provoquer ce vertige poétique cher à Umberto Eco, comme on peut éprouver le syndrome de Stendhal.

12273329867?profile=originalLeopoldo Méndez
Mexico, 1902-1969
Le manège
(gravure sur linoléum, 1944)

« En route vers d’autres rêves nous sommes sortis avec la fin du jour ;
une étrange aventure nous a effeuillés dans le bonheur de la chair. »
                                                                              Manuel Maples Arce (1898-1981)

      La vie est un manège, un théâtre de marionnettes, aussi tournons cette page pour revenir à Germán Cueto et son épouse Lola pour un dernier tour et nous enivrer au son strident du limonaire.

12273329890?profile=originalGermán Cueto
Mexico, 1893-1975
Tête cubiste
(huile sur fibracel, 1948)

Germán Cueto fut également marionnettiste
avec sa femme Lola (née María Dolores Velásquez Rivas, 1897-1978),
exploitant la puissance subversive de leurs fantoches.
Je vais vous les présenter…

12273330859?profile=originalMarionnettes de Lola et Germán Cueto
Comme la caricature, le pamphlet, le street-art
la marionnette cogne sur le pouvoir.
Ainsi font font font Guiñol et Gnafron.

12273330699?profile=originalDebout devant la Casa Azul de Frida Kahlo à Coyoacán

(aujourd’hui Museo Frida Kahlo)


« Devinez, devinez qui je suis
Derrière mon loup, je fais ce qui me plaît… »*6
(photo captée sur le net)

12273331462?profile=originalÁngel Zárraga y Argüelles (1886-1946)
La femme et le pantin
(huile sur toile, 1909)

Rideau !
Toutefois, afin de montrer toute la diversité de la peinture mexicaine du XXe siècle et que la terre ne tourne pas autour du seul axe Paris/New-York, un dernier billet sera consacré aux Contemporáneos
Quant à la première partie de cette série, c’est ici :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/diego-jos-david-et-les-autres-que-viva-mexico

Michel Lansardière (texte et photos)

*1 César Moro (Alfredo Quíspez Asín, dit ; 1903-1956), poète surréaliste, résida au Mexique de 1938 à 1948, il y développa son langage, devenant également le porte-parole du mouvement.


*2 Roger Caillois (1913-1978), compagnon de route des surréalistes, auteur, entre autres, de Pierres, L’écriture des pierres, Pierres réfléchies. Pour lui :
« Laisser passer en soi la nature, ce n’est pas pour l’homme tenter ou feindre de retourner au nerf ou à l’inerte, ni essayer de se démettre des pouvoirs qui lui sont échus.
C’est, au contraire, les approfondir, les exalter et les contraindre à de nouveaux devoirs. »
Ce que fit l’artiste, plier la pierre calcaire à son imaginaire, donnant à La Race indigène ce port fier et accomplissant ainsi cette formulation de son compatriote Octavio Paz :
« La fonction de l’art est nous ouvrir les portes qui donnent de l’autre côté de la réalité. »
A propos d’onyx, il en est de deux sortes, sans rapport aucun si ce n’est une certaine analogie de forme. L’onyx, une calcédoine ou agate, généralement à deux couches, blanche et noire, de la silice (SiO2) donc qui sert notamment à confectionner des camées. Et l’onyx, une sorte de marbre plus ou moins rubané et translucide, une calcite (CaCO3) en conséquent, utilisé pour la décoration ou la statuaire. En outre, la première est dure et résistante, la seconde tendre et cassante. Dans le cas de la pierre employée ici par le sculpteur on doit parler de marbre-onyx ou onyx-calcaire.


*3 Roma est un quartier de Mexico très investi par les street artists. Avec toutes ces infos gringos vous voilà tout de go un peu devenu Chilango (terme familier pour natif de Mexico, un peu comme en argot Parigot).


*4 Lola Álvarez Bravo fut d’abord l’assistante puis l’épouse, de 1925 à 1934, du célèbre photographe mexicain Manuel Álvarez Bravo (1902-2002). Deux autres photographes aujourd’hui renommées, Graciela Iturbide (née en 1942) et Flor Garduño (née en 1957) furent également ses assistantes. Toutes trois ont su saisir la tension entre tradition et modernité et capter l’attention d’un vaste public. Elles prolongent en quelque sorte le travail de Tina Modotti (née à Udine en Italie en 1896, morte à Mexico en 1942). Sensibilité à fleur de pellicule, perspective moderniste, révolutionnaire, elle immortalisa notamment les femmes de la petite communauté matriarcale de Tehuantepec dont je vous ai brièvement entretenu dans mon article « Femmes, fières, rebelles. » Elles sont d’indispensables témoins de leur temps. Cette note complète donc mon billet-hommage aux femmes peintres auquel je vous renvoie :

https://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/femmes-fi-res-rebelles-3e-parie-alice-lilia-leonora-remedios-au


Objectif en bandoulière, qu’il me soit permis d’ajouter ici dans un champ de vision élargi, Kati Horna (1912-2000), d’origine hongroise, mexicaine d’adoption décédée à Mexico, la Suissesse Eva Sulzer (1902-1990), autre « sorcière » du surréalisme qui réalisa un reportage en 1939 pour la revue DYN dirigée par Wolfgang Paalen, et Mariana Yamposky Urbach (1925-2002), graveuse et photographe d’origine américaine. Sans oublier Gisèle Freund (1908-2000), la « sociologue de l’image », qui passa au Mexique deux ans de sa vie, ce pays « où rien n’est médiocre ni insignifiant ». Toute une bande sensible qui a su aller au-delà de la surface et tirer leur vérité des épreuves.


*5 Fanny Rabel fut l’élève de Frida Kahlo, elle formait avec Arturo Monroy Becerril, Arturo Estreda Hernández et Arturo García Bustos, ceux que Frida appelait malicieusement los Fridos.


*6 … David Bowie
(photographie de Fernando Aceves, 20/10/1997). Germán Cueto, qui séjourna à Paris entre 1927 et 1932 avec sa femme Lola, créa de nombreux masques, en métal ou en terre-cuite, alliant cubisme et traditionalisme. Une coutume bien établie au Mexique où ils sont souvent réalisés en papier mâché. Et que l’on ne me dites pas comme Martine Aubry que « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup », les paroles sont de La compagnie créole. Derrière mon écran, cet autre masque, je contrôle tout.

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Hymne à la Terre nourricière

12273322268?profile=originalHymne à la Terre nourricière

 

Bombe, navette, javelle, fuseau,

fils de feu, pétrifiante parabole,

tissent leur voile au point de croix.

Terre terreur sème ses cataclysmes,

laisse sa trame cataplasme

grains de riz ou marasme

croute de pain, sel de cette sphère

qui en son cœur puise ses ressources

où la vie paie son tribut au destin

Couleur du sang séché

qui abreuve nos sillons,

coulées de boue issues du flanc

de montagnes de cendres

Chant des soldats du sein

de notre mère la Terre

Nuées ardentes, prières de pierres

Désert d’où surgira demain.

 

Michel Lansardière

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Pentes prospères des volcans aux pieds desquels les Anciens s’établirent, à Pompéi ou ailleurs. Ainsi, sur l’île de Pâques, les immenses moaï sculptés par les Rapanuis, du début du XVIe siècle (ou XIe siècle selon les hypothèses) jusqu’à leur déclin dans la première moitié du XVIIe, étaient taillés dans la roche volcanique (tuf) issue de la carrière creusée dans le volcan Rano Raraku (carrière de Puna Pau, à une douzaine de kilomètres de la première, pour les coiffes, pukao, de tuf rouge). Ces idoles étaient tout à la fois des sculptures rituelles et bornes fertilisantes grâce aux sels minéraux (calcium, phosphore) et autres oligo-éléments qu’elles concentrent, maintenant par ailleurs l’hydratation des sols. Une vénération qui vous revitalise. « Il est, paraît-il,
des terres brûlées donnant plus de blé
(ou, en l’occurrence, bananes, taros ou patates douces) qu'un meilleur avril. » Il n’en demeure pas moins vrai que la surexploitation de l’île est devenue emblématique de la catastrophe écologique. «  Neuf cent millions de crève-la-faim, et moaï et moaï et moaï. » Je n’irai pas plus loin.

 

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Photos M. L. :

  • Moaï de l’île de Pâques (Musée du Louvre, Paris) ;
  • Bombe volcanique en fuseau (Chaîne des Puys, Auvergne). Pour obtenir cette forme en navette, il faut que la lave projetée soit encore assez fluide, visqueuse, pour, en tournoyant dans l’air, prendre cette allure fuselée, puis suffisamment refroidie pour ne pas s’écraser au sol comme une bouse. La bombe affecte alors cette allure caractéristique, mais pas si courante, d’un grain de blé, promesse peut-être de moissons futures ;
  • « Pour qu’un ciel flamboie le rouge et le noir ne s’épousent-ils pas ? », (J. Brel). Eruption nocturne du Stromboli dans les Îles Eoliennes.
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L’éternel sacrifice

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L’éternel sacrifice

(ou L’effusion des sentiments)

 

Face cachée, part des ténèbres

Mystère sacré, halo de lumière

Chimie des corps

Alchimie de cœurs

Education et société, dorure

Faux-semblants ou nudité, fêlure

Comme une source à son griffon

s’écoule de nos jours la lave

mêlant au rouge du tison

la sève qui dans l’orage

donnera les floraisons

jaillies d’un cri d’espoir,

de sueur, sang et suie noire

retombées de nos nuits ardentes,

fleurs de passions et artifices,

pour cette illusion permanente

qu’est l’amour, éternel sacrifice.

Michel Lansardière

 

 

Cœur de lave, Napau crater, Kilauea, Hawaï (photo, libre de droit, captée sur le net)

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