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12273380088?profile=originalTabatière chinoise en calcédoine et agate mousse
Un nodule d'agate mousse (la chlorite qui la colore s’étant concentrée dans le noyau) dont le cœur a servi au lapidaire pour sculpter une grenouille sur une feuille de lierre flottant dans un torrent, les légères ondulations de la calcédoine blanche, qui donne corps à cette folle fiole, suggérant le courant. Une fois encore l’artiste a épuisé toutes les ressources de la matière.
La grenouille est par ailleurs considérée comme un porte-bonheur,

une offrande propitiatoire toujours appréciée.
Reine des rainettes sur l’onde voguait…
En poche, succès apportait.

« La grenouille selon la tradition extrême-orientale (les Japonais ont aussi beaucoup d’amitié pour les grenouilles et les crapauds) est une vivante invite à l’insouciance et à la liberté. »,
                                                                                                          François Cheng

Et, comme nous l’allons voir, les histoires dont ces batraciens sont les héros abondent. Crapauds ou grenouilles, la mare grouille…
Saute grenouille !

12273380885?profile=originalTabatière chinoise en fluorite et turquoise
Comble de raffinement, virtuosité, préciosité digne du palais d’Eté, ce flacon allie la fluorite et la turquoise pour figurer un crapaud gobant une libellule en plein vol.
Objet impropre à un usage quotidien qui fit le bonheur du mandarin, du lettré dans son cabinet. Et, comme souvent, ces petites choses sont de grandes inspiratrices d’histoires. Il suffit juste de savoir les écouter…


Croyez-moi, surtout si vous entendez une grenouille ou son coassocié coasser…

12273381275?profile=originalTabatière chinoise en fluorite et turquoise
La grenouille est en fluorite bicolore. Pierre fine de la plus belle eau, elle a été sculptée dans un seul et même bloc. La zone violacée a servi à tailler la grenouille, la partie blanche et translucide a permis de façonner les feuilles
et la grappe de raisin blanc.
La fluorite, longtemps appelée spath fluor (appellation toujours employée en métallurgie, où le spath est utilisé comme fondant), est un minéral assez tendre mais difficile à travailler car son clivage (fracturation selon un plan octaédrique) est parfait, ce qui la rend particulièrement fragile.
L’artiste doit donc déployer des trésors d’ingéniosité, de méticulosité pour la tailler. Une prouesse tant technique qu’esthétique. Il est toutefois évident que cette précieuse fiole n’a jamais contenu de tabac, destinée qu’elle était à orner une vitrine.
Pour un obligé, le présent rêvé destiné à son protecteur.
Pour un courtisan l’assurance d’être remarqué.

La grenouille offerte en cadeau diplomatique
(pochade surprise)

Pas plus grosse qu’un œuf elle flattera tout un aéropage
Tout bourgeois qui veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince ayant des ambassadeurs,
Tout marquis voulant avoir des pages.
Mais gare ! on voit que de tout temps
Les petits ont pâti des sottises des grands
Car si le Soleil se pique,
Il leur fera sentir :
La République aquatique
Pourrait bien s’en repentir.
La louange la mieux ourdie
Peut nuire à son inventeur ;
Et souvent la perfidie
Retourne sur son auteur.

A l’eau du spath, pour un pauvre animal,
Grenouille, à mon sens, ne raisonnait pas mal.


M. L.*1

12273381496?profile=originalTabatière chinoise en fluorite et turquoise (détail)
Plutôt qu’une grenouille, il peut bien s’agir d’un alyte (crapaud) accoucheur, symbole de fécondité, dont les œufs tombèrent du ciel,
frai comme la rosée…
Ou même de Jin Chan (ou Chan Chu), le crapaud d’or à trois pattes,
gage de bonne fortune, quoique avide et pour tout dire un peu pingre.
Il est l’acolyte de Liu Hai, « crapaud marin », l’immortel,
le pourvoyeur de richesse.
Il éloigne également le mauvais sort et stimule la fertilité.
On dit qu’il vivrait sur la lune, qu’il l’engloutit un jour d’éclipse,
et qu’il pourrait bien vous aider à la décrocher…
Liu Hai (ou Liu Haichan ou Haichanzi) est parfois assimilé aux huit immortels. Alchimiste, ce demi-dieu, patron des marchands, éternellement jeune et facétieux, était accompagné du crapaud à trois pattes qu’il avait attrapé au fond d’un puits, l’attirant grâce à une ligature de sapèques (les anciennes pièces chinoises, percées en leur centre, étaient liées pour leur transport), car pas plus que les mouches le vinaigre ne l’affriole. Notre crapaud n’est pas sans défauts*2… comme nous allons le voir dans Le crapaud à trois pattes.

12273381097?profile=originalPoids à papier en forme de crapaud, Chan Chu.
Le genre d’objet que l’on trouvait dans le studio du lettré chinois.
Aujourd’hui c’est un talisman censé vous protéger, dans le fengshui,
une forme ancestrale de géomancie où pullulent les charlatans.
Voyez sur le net, Chan Chu n’éloigne pas tous les esprits malveillants !
Les orbes de la pierre évoquent la peau verruqueuse de l’animal
« mangeur de lune », garant de chance, longévité, prospérité.
Document reproduit avec l’amicale autorisation de Jacqueline De Ro,
que je remercie ici et à qui je dédie le petit texte qui suit :

Le crapaud à trois pattes

L’avare n’est que le gardien,
non le maître de son argent

Tombé dans le lacs par la soif de l’or,
sauvé par l’appât du gain,
curieux coup du sort…
Un fil à la patte que tu perdis
par ton inconséquence, pardi
Insensée gloutonnerie.
Que cet avis ne soit pas vain
Crapaud d’argent retient ceci :

Il ne faut pas s’engager à la légère
dans les affaires.


M.L.*3

Non, tout compte fait l’hôte des marais a bien ses quatre pattes,
pourtant le charme opère encore,
- quatre n’est-il point chiffre propice en Chine ? -
la fable était trop belle pour n’être pas contée.

12273381681?profile=original

Tabatière chinoise en fluorite et son bouchon de turquoise
Objets réalisés pour le seul plaisir des yeux et du cœur


«Ce sont des bijoux comme les libellules affairées sur les rivages d’automne.  »,

                                                                                                     Yan Shu, 991-1055

12273382256?profile=originalLibellule stylisée (bouchon)

La libellule est en turquoise, un phosphate de cuivre et d’aluminium,
minéral très apprécié en Chine comme dans tout l’Orient.
Le bouchon forme ici le parfait complément du flacon, le tout donnant
une sculpture animalière originale, réaliste et animée.
La libellule ce sont les beaux jours revenus,
mais aussi le signe d’une certaine versatilité.

12273382484?profile=originalStylisée, mais finement observée...

Il s’agit certainement de la libellule déprimée que l’on trouve jusqu’en

Asie centrale.

Libellule déprimée mâle à l’abdomen bleu turquoise

(couleur plus intense encore chez sa cousine l’agrion jouvencelle)

(photo T. Bekaert, captée sur le net)

La libellule s’envole insouciante

        et tu restes là, dernier lotus,

                   sur ta tige tremblante.

                                                         Bing Xin (ou Pingh Hsin, 1900-1999)

 

Nous envions ces fragiles insectes

Dont, consommé le seul accouplement,

Ou affronté l’unique péril,

S’achève la merveilleuse vie.

                                                 Feng Zhi (1905-1993)

 

Saisissant de vie

La mort fauchant

Cycle naturel

Cœur copulatoire

                                 M.L.

12273382273?profile=originalCrapaud en améthyste (XVIIIe ou XIXe s.)
Bouchon de tabatière sculpté améthyste représentant un crapaud posé sur une fleur de lotus. Ce fécond amphibien est l’emblème même de la fertilité, son possesseur jouirait donc d’une bonne nature et se préserverait ainsi, grâce à une nombreuse progéniture, des injures du temps.

12273382684?profile=originalQi Baishi (1864-1957)
Grenouilles et têtards
(encre sur papier ; photo captée sur le net)

En médecine chinoise traditionnelle, la chair du crapaud luttait contre la dénutrition infantile ou était prescrite en cas de digestion difficile.
Mais comment réduire au silence ces infernaux batraciens pendant la saison des amours ?! Simple, en voilà l’admirable secret, d’après Albert le Grand (ca 1200-1280) : prendre de la graisse de crocodile et l’incorporer à de la cire blanche, puis placer le mélange dans une lampe à huile que vous placez près de la mare, allumez-là et le silence se fera.
Fin de ce carillonnant sabbat.

Michel Lansardière

*1 Adapté d’extraits en italique de La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf (Livre premier. Fable 3) ; Les deux taureaux et une grenouille (Livre second, Fable 4) ; Le Soleil et les grenouilles (Livre douzième, Fable 24) ; La grenouille et le rat (Livre quatrième, Fable 11) ; Le Soleil et les grenouilles, première du nom (Livre sixième, Fable 12). Rendons à La Fontaine… mais lui-même ne puisait-il pas à d’autres sources ?

*2 On appelle « crapaud » un défaut dans un diamant, « Crapaudine » une pierre utilisée en joaillerie, que l’on croyait autrefois provenir de la tête d’un crapaud, en fait une dent de poisson fossilisée. Un peu comme les « glossopètres » que l’on pensait être des langues de serpents ou de dragons et qui étaient en réalité des dents de squales pétrifiées, ou les « acétabules », dents fossiles en forme de cupules, les « bézoards » des concrétions se développant dans le corps de certains ruminants et non des pierres magiques autant que précieuses supposément être de puissants antidotes aux poisons. La crapaudine fut aussi appelée « batrachite » ou « bufonite », que l’on retrouve dans bufo bufo, le nom scientifique de notre crapaud commun, ou dans la bufoténine, un alcaloïde secrété par la peau du crapaud. La crapaudine était sertie dans le chaton d’une bague pour se protéger des miasmes, montée en pendentif contre la fièvre quarte.
Ah les vieilles croyances populaires et les vieux dictionnaires, tel celui d’Elie Bertrand auquel je me réfère. C’était le bon temps où la géologie, la minéralogie et la paléontologie confondues, sciences encore balbutiantes, s’appelaient encore « oryctologie ».


*3 En exergue, cette maxime (Avarus auri custos, non dominus) figurait à l’origine en en-tête dans Le renard et le dragon (Livre IV, Fable XVIII) de Phèdre (ca 14 av. J.-C., 50 apr. J.-C.). Accessoirement, il est curieux de constater que libellule, que notre grenouille avale goulûment, se dit dragonfly (dragon volant) en anglais. En pied du Crapaud à trois pattes, la morale finale, elle est tirée de Les grenouilles à l’étang desséché d’Esope (ca 620-564 av. J.-C.).

12273383098?profile=originalL’art, la main, la matière…
Mais de quoi est faite cette tabatière ?

Pour aller plus loin… crapahutons ensemble sur un chemin caillouteux :
Fluorite : CaF2 ; classe III : halogénures ; système cristallin : cubique ; dureté : 4 ; densité : 3,1 ; habitus : cubique, octaédrique… ça c’est pour la science.
Quelques exemples…

12273382898?profile=originalOctaèdre de fluorite obtenu par clivage.
Fragile et clivable comme un bloc d’halite
(sel gemme, un autre halogénure et homophone de notre alyte rencontré plus haut),
imaginez la difficulté pour sculpter une grenouille dans une masse
qui se réduit en lames suivant de tels plans !

12273383866?profile=originalFluorite rose cristallisée en octaèdre sur quartz.
Un faciès, quoiqu’assez rare, parfaitement naturel !
Les Droites, Mont Blanc (France)

12273383692?profile=originalFluorite verte cristallisée en octaèdres
parfaitement développés en provenance de Russie.

12273384455?profile=originalRare forme de fluorite en agrégats botryoïdaux (forme arrondie en « grappe »)
provenant de Chine. Une structure naturelle là encore.

Michel L.

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Commentaires

  • Merci Jacqueline pour cette nouvelle photo qui enrichit notre bestiaire.

  • Un petit souvenir de Saint Petersbourg de la collection "Grenouilles" de mon époux .
    Merci pour le petit texte crapaud à 3 pattes.

  • 9192626687?profile=RESIZE_710x

  • Un peu de candeur, beaucoup de curiosité, le goût des autres, des choses et de la nature, voilà le meilleur moyen pour garder un coeur d'enfant. Merci Jacqueline.

  • J'ai voulu donner un petit supplément de vie à la libellule, ce vorace de batracien ayant tout  absorbé.

    Merci Suzel pour ton attention et ton soutien.

  • Enfant, grande découverte et fascination autour de la mare, quel beau royaume,

    les chinois et l'art de tout sublimer quel merveille,

    toutes tes recherches acharnées pour nous offrir encore de belles découvertes et enrichir nos connaissances, merci Michel, je me suis à nouveau régalée.

  • Un grand merci Suzel pour cette chanson de Steve Waring, que je ne connaissais pas. Elle doit dater de sa période "enfantine". Des copains s'échinaient les doigts sur ses tablatures ou sue celles celles de Marcel Dadi. Toute une époque... N'étant par très doué de mes doigts, à la guitare j'ai préféré la contemplation le soir à la veillée.

  • Lisette, Rosyline, merci pour votre fidélité et votre soutien.

  • Il y a plus mélodieux, mais c'est le chant de la vie et plutôt bon signe pour l'environnement.

    Merci Andrée.

  • Merci pour ce chaleureux message Louis.

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