Adieu les arbres et ce petit chateau aux allures de palais enfantin, là où rien n’a encore pollué l’air frais des saisons. Tout était beau et respirait le bonheur même si les premières rencontres avec la réalité des autres ont été difficiles, y revenir à chaque fin de journée fut un baume apaisant. Plus tard cette façon de vivre ne m’a jamais quitté : le feu le jour et la paix profonde, calme, régénératrice le soir. Les premières années de notre vie nous marquent à jamais et nous suivent comme des ombres tenaces. Adieu donc paradis de mon enfance, je ne t’oublierai jamais. J’entendrai toujours tes piaillements, tes bruits de charrue quand arrive le printemps et la neige l’hiver sur l’étendue déserte des champs faisant penser à des mondes inexplorés, tes chênes gigantesques que j’avais appris à gravir et qui me faisaient découvrir le village au loin comme un monde hostile au bonheur.
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Mes parents poursuivaient l’aventure sans l’électricité et l’eau courante et pour mieux bercer mes rêves la proximité presque à bras tendu d’une ligne de chemin de fer ! Ce fut donc l’éclairage à la bougie et l’eau au puits laquelle était d’une fraîcheur et d’une limpidité sans nulle autre pareille. Le train de marchandises faisait ses aller-retours incessants faisant trembler la maison à chaque passage. C’était comme un rituel devenu nécessaire. A 10h le soir, de mon lit, je voyais le fanion rouge du dernier wagon qui annonçait le dernier train et le dernier tremblement. Je pouvais alors me glisser sous la couverture avec le transistor, magique irruption du progrès, entrer dans le monde de la radio avec ses animateurs, puis découvrir ce que je n'avais jamais entendu : la musique .
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Je m’éveillais au modernisme et déjà les réclames pour le ” génie sans bouillir ” , le cassoulet “william saurin “, le banania ou les cures à Evian vagabondaient dans ma tête la nuit. C’était un nouveau refuge tout aussi extraordinaire de par la force de la découverte, un monde tout aussi irréel où la chicorée Leroux, la quintonine et la boldoflorine allaient bercer mes soirées dès la fin du dernier wagon. C’était une révolution que ce poste à transistor, il remplaçait cette lourde machine aux nombreuses lampes grésillantes qu’était la radio d’après guerre, logée dans une boîte en bois et où de multiples stations du bout du monde nous faisaient craindre de mauvaises nouvelles . Cette radio de bois je ne l’ai connue que plus tard car elle fonctionnait à l’électricité et est devenue comme tout les vestiges objet de collection chez les antiquaires. Le transistor, lui, allait partout, au jardin, à l’atelier, à la cuisine, au lit. Nous étions ainsi poursuivi par la réclame partout et presque tout le temps car il fonctionnait tout le temps !
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A force d’entendre toutes ces réclames, il devint normal de vouloir se les procurer. Le désir de consommer était né et comme tout désir il fallait l’assouvir. Un nouveau baume à souffrances était né : la publicité. Une page était tournée, celle de la vie sauvage, une autre s’ouvrait : celle des achats pour la plupart inutiles. Bizarrement, alors que l’achat inutile faisait son apparition, beaucoup le trouvèrent utile et se précipitèrent pour l’acquérir. Je me suis mis à aimer l’ambiance qui régnait à la supérette du quartier. J’y trouvais la chicorée en question et la boldoflorine. Je pouvais ainsi toucher de mes propres doigts ce qui sortait de ma radio, cela me rendait riche à mes yeux. Un sentiment d’être le bienvenu dans un nouveau monde avec de beaux emballages, de belles formules de bonheur, de beaux sourires permanentés à la sortie du magasin et avec la pensée prémonitoire qu’au vu de tout ce monde heureux il faudrait rapidement agrandir la supérette et acquérir de nouvelles sacoches à vélo pour tout transporter !