Il s'agit d'un ouvrage historique de Jacques Bainville (1879-1936), publié en 1935. On ne trouvera point dans ce livre d'étude politique approfondie de la dictature et de l'évolution de ses formes à travers les siècles. Il s'agit d'une oeuvre de vulgarisation: l'auteur se contente de raconter la vie des dictateurs, laissant au lecteur le soin de méditer sur les similitudes qui rapprochent les tyrans de l'antiquité et les monarques absolus du siècle classique des dictateurs de 1935. L'argument du livre est que la dictature est le fruit naturel de la démocratie, qu'elle apparaît dans l'histoire des régimes démocratiques selon une sorte de "loi de retour éternel" (ce sont les mots mêmes de Bainville). La dictature n'est pas une mode: elle peut répondre à des nécessités, à l'exigence des faits, et c'est pourquoi, par exemple, les Romains l'avaient légalisée en certaines circonstances. Les causes immédiates de son apparition peuvent être néanmoins très diverses: nécessité de salut public, pour parer à une invasion étrangère, -réaction contre l' anarchie et la ruine, -mouvement de défense sociale contre le communisme: ou bien encore, la dictature peut être la forme extrême et violente prise par la démocratie égalitaire pour vaincre ses adversaires. A Athènes, dans l' antiquité, ce sont, avec l'accroissement des richesses, l'élévation de la bourgeoisie et l'abaissement de la classe pauvre, les luttes sociales acharnées qui introduisent la dictature: les deux partis, épuisés, prenaient l'habitude de s'en remettre à un tiers pour juger leurs différends. Le dictateur est alors surtout un légiste. Mais on voit aussi, avec Pisistrate, apparaître le "tyran" plus proche de nos dictateurs modernes, car il prétend toujours s'appuyer sur le peuple et n'assure son pouvoir que par la démagogie et la violence. A Rome, le sénat, aristocratique, craignait par dessus tout l'élévation trop rapide d'un homme politique: cependant, voulant corriger les défauts de la République par l'autorité, le sénat avait prévu et légalisé la dictature au nom du salut public en cas de guerre extérieure ou civile.
Le moyen âge ignore la dictature et celle-ci, ce qui confirme la thèse de Bainville, ne reparaît qu'en Angleterre, précisément pays de système parlementaire, avec Cromwell. En Europe continentale, avec le "ministériat" de Richelieu et la dictature royale d'un Louis XIV, on est en présence, au XVIIe siècle, d'un système autoritaire absolu, mais ces dictatures, sont dominées, animées, réglées par l'idée royale et nationale. Le "despotisme éclairé" est une sorte de dictature "dictatique" et "pédagogique": il s'agit, renforçant le pouvoir royal, d'imposer de vive force les "lumières" à la masse du peuple, et, pour cela, de briser les résistances des vieux "préjugés" et de leur citadelle, la religion... La dictature de Robespierre, qui rappelle la dictature romaine car elle est exercée au nom du "salut public", s'apparente aussi à ce "despotisme éclairé": car il s'agit bien d'une dictature "pédagogique" (comme sera plus tard également la dictature soviétique) où la Révolution est identifiée à un homme et à un bureau politique. Les dictatures napoléoniennes nous découvrent une constante de la politique française: les 18 brumaire ne sont possibles en France qu'à ceux qui détiennent déjà une part du pouvoir.... Après avoir envisagé rapidement les diverses dictatures de l' Amérique latine, Bainville en arrive aux dictatures contemporaines: celle d' Ataturk qui rappelle le "despotisme éclairé" d'un Pierre le Grand ou d'une Catherine II et qui a mis au service du mimétisme occidental toutes les ressources du despotisme oriental; le fascisme, pour lequel Bainville nourrit une certaine sympathie, et dont il condamne ici les pseudo-imitations françaises que préparaient alors certains. Dans le fascisme, Bainville voit autant un mouvement de réaction contre l' anarchie que l'ultime règlement de compte entre les "interventionnistes" et les "neutralistes" de 1915, ces derniers étant restés au pouvoir, malgré l'entrée en guerre de l'Italie et la victoire. S'il s'attaque vivement à Hitler, Bainville montre au contraire la plus grande sympathie pour la dictature de Salazar, au Portugal.
Notons, pour conclure, que si Bainville considère avec une certaine satisfaction les dictatures d'avant-guerre comme une revanche des systèmes d'autorité que les hommes de Versailles avaient prétendu bannis à tout jamais par le "progrès", il voit cependant plus loin et s'efforce de montrer que les dictateurs ne sont point des sauveurs, mais bien les expressions les plus féroces et les plus dégénérées du gouvernement "démocratique" qu'il a toujours vivement critiqué et combattu.
Commentaires
La thèse de Jacques Bailly selon laquelle la dictature serait le fruit naturel de la démocratie est à mon sens sans fondement historique, et je réfute par ailleurs cette idée que la dictature soit nécessaire, inévitable et puisse se justifier dans certains cas. Je dis cela tout simplement parce que les mots ont un sens, et qu’il faut savoir de quoi l’on parle quand on veut traiter de dictature et de démocratie. Depuis l’antiquité, il n’y a pas d’exemples significatifs où la démocratie à savoir le pouvoir d’un peuple sur sa destinée ait été expérimenté quelque part. Depuis des siècles et des siècles, c’est la même histoire qui se répète, à savoir la dictature d’un contrat social qui fait des dominants et des dominés, des exploiteurs et des exploités, des oppresseurs et des opprimés. C’est la dictature d’un contrat social qui fait des chefs, des commandeurs, des castes de privilégiés au détriment de populations condamnées à les servir, à se faire voler, détrousser de tous leurs droits d’exister, de vivre dignement, condamnées à des guerres, à mille misères, à quantités de supplices, de sacrifices absurdes. Qui ne voit pas que la dictature est inhérente à la notion même de pouvoir quand ce n’est que vanité, arrogance, prétention de fortunes, de carrières, de postérités et quand on utilise toutes sortes de méthodes innommables de ségrégations, de discriminations ethniques, sexistes, culturelles pour diviser les gens, pour maintenir, sacraliser une hiérarchie sociale sans légitimité d’aucune sorte et pour écrabouiller tout ce qui peut déranger, contester cette hiérarchie. Qui ne voit pas tout ce qu’on peut infliger à toutes les époques à des populations pour les piller, pour les transformer en armées supplétives d’esclaves, de domestiques, pour exclure ou tuer ceux qui n’obéissent pas. Qui ne voit pas ce qu’il advient de toute velléité de révolte populaire traitée par nombre d’Etats par quantités de lois archaïques et scélérates et bien plus encore par la violence, la répression, l’assassinat de masse, la sauvagerie. En tout cas, je n’adhère pour ma part à une aucune théorie qui puisse justifier, légitimer la dictature ou l’expliquer de façon délirante comme une forme dégénérée de la démocratie, alors que la démocratie reste encore à inventer.
Merci Mr Robert Paul,
voici un bel article qui nous éclaire un peu plus sur la dictature.
Bon dimanche à vous.
Rosyline