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Certes mon quotidien ne manque pas de charmes.

Sensible à la beauté qui égaye ma vie,

Libérée des corvées, préservée des alarmes,

Face à mon jardinet, je suis souvent ravie.

Ne pouvant me résoudre à me sentir éteinte,

Je me parle en pensant, pour écouter ma voix.

Je remercie le sort car ma joie n'est plus feinte

Le désir de chanter me revient maintes fois.

Ma voix fut un atout, il y a fort longtemps,

Quand j'existais ailleurs, élégante, brillante.

Nul ne savait alors combien j'étais souffrante.

Un vrai chagrin d'amour est toujours accablant.

Inévitablement s'anime l'espérance

Dans la splendeur d'un lieu où l'on se dépayse.

Je devins créative en croyant à la chance,

La Nature parfois compense ou indemnise.

J'ai cessé de rêver pensant à la magie:

Engendrer le sublime en unissant des mots!

Quand mon âme exaltée appelle un bon génie

De ma muse j'entends quelques charmants propos.

1/ 04 /2014

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La mort de mon père

 

Mon père est mort sans savoir que ma femme était morte depuis plus de six mois et que les nouvelles que je lui donnais à son sujet étaient fausses. Lorsqu'il croisait l'infirmière dans le salon, il me disait:

- Durant quelques minutes, je ne l'ai pas reconnue.

- Elle a changé, comme nous tous. C'est l'âge.

- C'est l'âge, oui.

Il retournait se mettre au lit. L'infirmière pouvait faire sa toilette et lui donner ses médicaments. La plupart ne servaient à rien mais durant des années il avait eu chez lui sur une console devant le poste de télévision, une grande  variété de flacons dont il avalait le contenu, liquides ou pilules, dans un ordre déterminé et selon un horaire précis. Si l'infirmière avait cessé de lui en donner, il en aurait été profondément perturbé.

Il n’avait plus pour longtemps à vivre, le médecin me l'avait laissé entendre

Il avait commencé à déraisonner d'une manière étrange mais est-ce qu'il en est qui ne le sont pas? Une nuit, il avait ouvert la fenêtre de sa chambre et il avait crié qu'il ne se rendrait pas.

- Vous ne m’aurez pas. Jamais.

Je me suis souvent demandé quels étaient les monstres qui encombraient sa mémoire. C'est un de ses voisins qui m'avait téléphoné le lendemain matin. J'ai persuadé mon père de venir vivre chez moi. Après quelques jours il a retrouvé sa sérénité et j'ai eu le sentiment qu'il était heureux.

A midi nous nous attablions dans la cuisine pour manger. Souvent, lorsqu'il était en face moi, il me regardait attentivement et il secouait la tête.

- Quel âge as-tu? Laisse-moi deviner. Tu as déjà quarante ans. Est-ce que Thérèse va venir nous rejoindre ?

- J'ai cinquante cinq ans, papa. Thérèse n'est pas là.

La scène se répétait régulièrement mais je m'efforçais de ne pas m'énerver. Ensuite, c'était pareil à chaque fois, il me racontait en détail des évènements survenus durant sa jeunesse en accordant autant d'importance à des vétilles qu'à des incidents qui avaient marqué sa vie. Tous les vieillards atteints de la même affection agissent ainsi, m'a-t-on dit. C'est le début de la sénilité. Est-ce que moi aussi je finirai comme lui?

Parfois en revanche il me faisait des reproches avec animosité. Il me reprochait d'avoir été un mauvais fils, de ne l'avoir jamais aimé. Je lui répondais avec véhémence jusqu'à ce que je me souvienne qu'il était malade.

- Oui papa, tu as raison.

Thérèse était morte depuis six mois. Je le lui avais annoncé par téléphone le jour de son décès et il avait pleuré. A l'époque, il était encore chez lui et je lui téléphonais tous les jours.

Mon père était veuf depuis vingt ans. Il vivait seul. J'étais sa principale distraction. J'ai compris que sa santé mentale se dégradait lorsqu'il m'avait demandé des nouvelles de Thérèse quelques jours après que je lui avais annoncé qu'elle était morte. A chaque fois que je l'appelais, il me disait:

- Oui, je me souviens bien d'elle. Comment va-t-elle?

Si bien que je répondais qu'elle allait bien.

- Comme d'habitude.

Et il arrivait que je lui donne des détails quant à ce qu'elle avait fait ou ce qu'elle avait dit. Il m'arrivait de penser que ce n'était pas seulement à lui que je m'adressais. Je n'inventais pas ce que je lui disais. Les faits que je lui relatais, et à moi aussi par conséquent, étaient réels. Ils s'étaient produits lorsqu'elle vivait encore.

Lorsque le voisin de mon père m'a appelé pour me dire que mon père perdait la raison, j'en ai été heureux. Chez moi désormais chacun d'entre nous poursuivait le monologue qui lui tenait à cœur sans que l'autre n'en soit surpris. Il parlait de lui et de sa femme. Il la dépeignait avec amour. Il répétait qu'elle était belle. Ou bien il m'interrogeait sur Thérèse et Thérèse avait la vie que je lui inventais au travers de mes réponses. Etait-ce de l'invention ?

Thérèse était née le 14 septembre. Le jour de son anniversaire, j’ai débouché une bouteille de champagne et j'ai demandé à mon père s'il voulait que je l'aide à se lever. Son regard était plus vif qu'à l'habitude.

- Est-ce que Thérèse est là?

- Thérèse est morte, papa. 

Mon père dépérissait. Je ne sais pas si j'appréhendais sa mort ou si je la souhaitais. Je ne comprenais pas qu'un vieillard puisse vivre plus longtemps qu'un être jeune qui est censé avoir une longue vie devant lui pour accomplir, plus tard sans doute, ce qu'il n'avait pas eu le temps d'accomplir durant sa jeunesse. En réalité, je lui reprochais la mort de Thérèse qu'il aurait pu échanger contre la sienne.

- Thérèse est morte, papa. Tu entends, elle est morte.

 J'ai répété:

- Elle est morte, morte.

J'ai dû le faire entrer à l'hôpital où il attendrait sans souffrir la fin qui était proche. Il disposait d'une chambre pour lui seul et une infirmière le veillait constamment. C'était une jeune femme attentive et d'une santé triomphante.

Ce soir-là le médecin m'avait fait savoir que mon père ne passerait probablement pas la nuit et j'ai décidé de veiller à ses côtés. Je lui serrais le poignet pour lui transmettre les flux de ma propre vie. J'avais la sensation qu'il en avait conscience.

- C'est la fin.

L'infirmière était penchée au dessus de lui. A travers sa blouse de nylon je distinguais son corps. Je ne sais pas si c'était l'atmosphère de cette chambre, la lumière mate qui venait du mur et marquait d'ombres nos visages, l'odeur de désinfectant et la présence de ce cadavre qui avait été mon père mais je voyais sa lourde poitrine à peine dissimulée par un mince soutien, ses cuisses pleines et serrées et j'avais envie de la toucher. Elle m'a regardé un moment, peut-être qu'elle attendait quelque chose, j'ai pensé à Thérèse puis elle s'est écartée en disant:

-Il est mort.

 

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Dans une harmonie souveraine


 

Je suis devenue assagie.

Résignée, je dis: plus jamais!

À des images resurgies

Du temps où mon ami m'aimait.

Je n'attends plus rien du hasard.

Me plais à demeurer passive.

Ne me passionne plus pour l'art.

Ai cessé d'être créative.

Ce jour ma soucoupe est posée

Dans une harmonie souveraine.

Mon âme y demeure exposée

Et de tendresses se sent pleine.

Silence et immobilité.

La neige resplendit sans traces.

Mon esprit erre en liberté

En s'ensoleillant dans l'espace.

31 mars 2014

 

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Hommage de Norge

 

 

Elskamp de bois

 

« J’ai triste d’une ville en bois,

J’ai mal à mes sabots de bois »

(Max Elskamp)

 

 

Le petit bonhomme de bois

Dans sa chair taille un poème

Et sa chair est aux abois,

Cet arbre doux, ce bon chêne,

Ce lisse pommier, donneur

De rondes pommes amènes

Est une pulpe souffrante.

Ah, le bois taillé de main

Ferme saigne quand il chante !

Une sève de carmin

Colore toute l’image

Où le monde est engravé.

Et le savent à douleur

Ceux de dur et franc lignage,

Sans Pater et sans Ave,

Que rouge est couleur du cœur.

Et lors, grands âges qui vibrent :

Un petit homme benoît

Pénètre d’amour pour toi,

Pour moi,

Tant la rime que la fibre.

O petit homme de bois

De foi,

O petit homme de croix

De bois.

 

Norge

 

 

 

Hommage de Marie Gevers :

 

Max Elskamp

Naissance : 5 mai 1862. Mort : 10 décembre 1931 .

Centenaire : 5 Mai 1962.

 

 

Le jour de la naissance.

 

Max Elskamp pensait-il au jour de son centenaire en publiant l’un de ses principaux recueils de poèmes : « Enluminures » ? Il n’avait alors que trente-six ans… Les premiers vers sont émouvants à citer aujourd’hui :

 

Ici, c’est un vieil homme de cent ans

Qui dit, selon la chair, Flandre et le sang :

Souvenez-vous en, souvenez-vous en,

En ouvrant son cœur de ses doigts tremblants.

 

Toujours, nous retrouverons son cœur dans ses poèmes à la fois tendres, discrets, intenses, réservés, douloureux et d’une valeur poétique et littéraire absolue.

S’il parle de ses cent ans dès 1898, i chantera sa naissance bien plus tard, en 1922, déjà touché alors par la maladie qui devait peu à peu l’étreindre, puis l’éteindre. Néanmoins, dans « La Chanson de la Rue Saint-Paul », il s’écrie qu’il est né à la marée haute, sur le ton joyeux dont on dirait : « Je suis né coiffé ! »

 

C’est ta rue Saint-Paul

Celle où tu es né

Un matin de mai

A la marée haute !

 

Pour pouvoir évoquer avec précision, aujourd’hui, en souvenir du poète, son jour de naissance, je me suis adressée au savant météorologue « Star », qui a bien voulu me donner les indications nécessaires :

La marée haute natale de Max Elskamp, le 5 mai 1862, eut lieu à 8.06h. Les gens qui n’ont jamais vécu au bord d’un fleuve soumis à la marée ignorent ce que signifient ces mots « Marée haute ! ». Certes, il y a de l’inquiétude, les jours de gros temps où la poussée de l’eau menace, mais que d’allégresse par les jours ensoleillés d’azur !. Le ciel se berce largement à fleur des rives, le clapotis anime les pierres des quais et une activité règne au port. A la marée haute, les sirènes mugissent ou sifflent, car les bateaux chargés se confient au courant qui les entraînera vers l’estuaire, tandis que les navires amenés par le flot attachent les amarres et jettent l’ancre.

Or, en 1862, le mois de mai fut l’un des plus beaux du siècle et, les 5 et 6 mai, les plus chauds du mois. Toute l’œuvre du poète sera sillonnée de navires, de matelots, de nostalgie maritime, et soulevée par le désir de la mer.

M. Louis, Jean, François Elskamp, propriétaire d’un brick nommé l’Ortélius et d’un trois-mâts carré baptisé « Le Louis », fut le père de Max et l’un des notables de la rue Saint-Paul. Nous aimons à croire que l’un de ses deux vaisseaux, quittant le quai, vogua vers sa destination maritime au moment om l’enfant commençait son voyage sur l’océan des jours.

Le voisinage apprit vite que la jeune dame Elskamp venait de mettre au monde un fils, mais nul ne se doutait que l’enfant serait poète. Cependant, Elskamp lui-même pensait que –peut-être- la poésie s’était emparée de lui dès avant sa naissance. Il nous suggère cette idée dans l’une de ses chansons :

 

Un pauvre homme est entré chez moi

Pour des chansons qu’il venait vendredi Comme Pâques chantait en Flandre

Et mille oiseaux doux à entendre,

Un pauvre homme a chanté chez moi.

 

Si humblement, que c’était moi

Pour les refrains et les paroles

A tous et toutes bénévoles,

Si humblement que c’était moi,

Selon mon cœur, comme ma foi.

 

Ainsi Elskamp s’identifiait-il à l’Homme aux Chansons, venu dès Pâques, célébré le 20 Avril de celle année-là. Son poème « A ma mère » confirme qu’il croit devoir sa plus intime sensibilité et ses dons poétiques à l’amour de sa mère :

 

O Claire, Suzanne, Adolphine,

Ma mère qui m’étiez divine

 

Comme les Maries et qu’enfant,

J’adorais dès le matin blanc…

 

 

C’est ta rue Saint-Paul

Blanche comme un pôle…

 

Le soleil reluisait à toutes les façades repeintes à neuf dès le début du printemps, comme il se devait dans une rue « Dévote, marchande –Trafiquante et gaie, Blanche de servantes- Dès le jour monté. » Cette rue, orientée du sud-est au nord-ouest, court droit sur le fleuve. Les matinées y sont donc triomphantes de lumière et nous devinons ce que fut le premier baiser de la jeune mère à son nouveau-né, en ce beau matin clair :

 

« O ma mère, avec vos yeux bleus,

Que je regardais comme cieux,

Penchés sur moi tout de tendresse… »

 

Le soleil monta, évoluant dans le plus merveilleux des azurs : celui du printemps, près d’une grande eau mouvante.

Ce jour-là, le vent venait du côté du fleuve. Il entrait librement et caressait d’une souple haleine les maisons de la rue Saint-Paul. Elskamp s’est toujours souvenu de l’air que l’on y respirait, aux temps de son enfance :

« Maritime en tout – L’air qu’on y boit – Sent avec la mer – Le poisson sauré… »

Ensuite, le soleil fléchit en direction des polders de la rive d’en face. Les transbordeurs allaient, venaient, sans cesse, battant des aubes pour faire passer le fleuve aux gens qui, journée finie, rentraient au logis. La nouvelle marée monta. Elle fut haute à 20.15 h. Ramenait-elle au port l’Ortélius ou Le Louis ? Qui le dira ? Mais nous savons que la première nuit du poète se glissa doucement dans « sa rue bien-aimée ». Il dormait, dans son berceau fanfreluché, près de sa mère. « O ma mère, dans mon enfance, - J’étais en vous et vous en moi ».

Dans son recueil : « Dominical » Max Elskamp se présente « avec les enfants du dimanche ». Sans doute eût-il préféré naître « un dimanche à midi », comme Mélisande ? Mais c’était un lundi –jour de la lune- et la lune est bonne aux poètes. Celle du 5 mai 1862 (premier quartier le 6) ne se couchera qu’après minuit. Elle entrera du côté du fleuve, comme le vent et le parfum de l’eau, elle aura eu tout le temps de baigner de rêve la maison de la rue Saint-Paul. C’est à elle sans doute que Max Elskamp doit d’avoir connu l’illusion, Maya :

 

Maya, l’illusion,

Vous ai-je assez aimée ?

 

 

La lettre à Van Bever

 

L’influence de la rue Saint-Paul occupe vraiment toute l’œuvre de Max Elskamp. Il le sait. Il l’écrit dans une lettre très importante pour lui, puisqu’elle est destinée à préciser son travail et son inspiration en vue de la fameuse Anthologie de Van Bever et Léautaud.

 

(Date de la poste : 20 juin 1907)

« Je crois que j’ai été très influencé par ces choses qui datent de ma petite enfance. Après la vie m’a pris, plus neutre, me semble-t-il, et à part la pratique des métiers, et ce qui touche à l’âme traditionnelle du peuple, peu de choses ont réagi sur moi. »

Sa mère tant aimée n’a pu lui donner l’âme traditionnelle du peuple de la rue Saint_paul, car elle venait d’ailleurs :

O Claire, Suzanne Adolphine – O ma mère des Ecaussines, mais il lui doit la sensibilité nécessaire à l’avoir ressentie, comprise, assimilée. Il a pu en nourrir sa poésie, au point d’être parvenu à lui donner une langue différente de celle que lui offrait la rue Saint-Paul. Je crois d’ailleurs qu’une telle métamorphose fut favorable à la magie si particulière à l’œuvre de Max Elskamp.

L’âme traditionnelle du peuple, le poète ne peut l’avoir reçue que des servantes. A cette époque, et dans toute la bourgeoisie, les enfants étaient, presque totalement, élevés par les servantes. Elskamp s’en souvient : « Bonne nuit, les hommes, les femmes  -bras en croix sur le cœur ou l’âme  - et rêve aux doigts en bleu et blanc – les servantes près des enfants ».

Retrouver comptines, proverbes, locutions originaires de la rue Saint-Paul, dans les poèmes d’Elskamp formerait l’élément d’une étude bien intéressante. De la nourrice de Juliette aux servantes, qui scandaient pour Max Elskamp l’histoire d’Anna-la-lune, en passant par celles dont Chateaubriand nous donne le souvenir dans les « M »moires d’Outre-tombe », que de vigueur, que de poésie leur ont dû nombre de grands écrivains !

Elskamp a reçu du petit peuple de son enfance le goût du folklore, et sa magnifique collection d’objets patiemment rassemblés forme le fonds du Musée d’Anvers. Sa naissance ensoleillée ? Nous aimons à supposer qu’elle soit au départ de sa passion pour les cadrans solaires… Et là, sa sensibilité l’y portant, il fit don, en souvenir de sa mère des Ecaussines, des merveilles qu’il avait rassemblées, au Musée de la Vie Wallonne, à Liège.

 

Le Calvaire

 

« Notre maison, écrit-il encore à Van Bever, se trouvait pour ainsi dire  enclavée dans l’église Saint-Paul, et mon enfance s’est passée sous les cloches, au milieu des corneilles et tout contre un horrifique calvaire en grès et cendrée. » On voudrait citer ici tout le poème consacré au Calvaire

 

Mon Dieu qui mourez à Saint-Paul,

Un peu autrement que les autres…

Mon Dieu qui savez les étoiles

Qui fixent à chacun son lot…

 

Elskamp m’a écrit un jour : « Je crois aux étoiles ». Il croyait aussi à la mer, et le bonheur avait pour lui, comme symbole, un matelot : « Et c’est Lui, comme un matelot – c’est lui qu’on n’attendait plus, - et c’est lui, comme un matelot – qui s’en revient les bras tendus… »

Un matelot ne reste jamais longtemps au logis, si chaud si doux qu’il y fasse. Pour Max Elskamp, il l’a quitté, peu après qu’il eût lui-même quitté la chère rue Saint-Paul. Une grande douleur, une grande déception d’amour l’a emporté :

 

Un jour où j’avais cru trouver

Celle qui eût orné ma vie,

A qui je m’étais tout donné,

Mais qui, las ! ne m’a pas suivi…

 

Le père du poète a tenté de le consoler en lui offrant les vastes espaces maritimes : Elskamp, alors, a navigué :

 

Va, mon fils, je suis avec toi

Tu ne seras seul sous les voiles,

Va, pars et surtout garde foi,

Dans la vie et dans ton étoile !

 

Elskamp s’est attaché à corps perdu à ses parents, à sa sœur Marie. La mort les lui a enlevées :

 

C’est vous, mon Père bien aimé,

Qui m’avez dit adieu tout bas,

Vos yeux dans les miens comme entrés

Qui êtes mort entre mes bras.

 

A sa mère, il a dit :

 

Et lorsque vous êtes partie,

J’ai su que j’avais tout perdu.

 

Alors, le poète est entré en maladie.

J’ai dit ailleurs les circonstances de la mort de Max Elskamp, comment je l’appris, et quelles étaient les personnes rassemblées à la table de François Franck ce 10 décembre 1931. On soupait là, après la représentation à Anvers de l’Œdipe d’André Gide : pour cette première, Gide était présent, les Pitoeff, et quelques écrivains d’Anvers. En remémorant, aujourd’hui encore, après tant d’années, l’instant où Willy Konincks, en retard, entra en disant : « Max Elskamp est mort », je puis mesurer la puissance d’émotion soulevée par ces mots. Cependant, le poète en lui se taisait depuis des années… et ses voisins l’entendaient souvent crier dans ses délires… L’émotion fut si profonde, ce soir là, chez Franck, que le regard de Gide fit lentement le tour de la table, en la cueillant à chaque visage comme s’il avait voulu rassembler un herbier du souvenir d’un poète qu’il savait grand.

Je veux citer ici quelques lignes d’un article nécrologique que je possède, auquel manque la signature, mais que je crois dû à André Salmon : « S’exténuant à combattre le désespoir, il passe des années avec Bouddha, mais cette culture de l’idée du néant ne pouvait combler un tel poète. Il traversa le monde d’un pas tremblant – il nous quittait- il s’avançait seul dans la nuit. »

Aux fleurs d’émotion cueillies lors de la mort du poète, par André Gide, et puisque Max Elskamp aimait le folklore, les saints et les fleurs, je veux, à l’occasion de ce centenaire, ajouter deux fleurs qui le concernent particulièrement, il les doit à deux folkloristes : le Baron de Rheinsberg, et Isidore Teirlinck.

La fleur-marraine, offerte par son saint-patron, Maxime, est la « primula véris » ou primevère du printemps, et les servantes de son enfance lui auront dit qu’elle est une clef du Paradis, et vient droit de Saint-Pierre, grâce à qui elle germa dans l’humus des polders… Le 10 décembre, par quelle étrange coïncidence est voué au cyprès. Il figure au jour où le poète sombra dans la mort.

 

Marie Gevers, Mai 1962, in « Le Thyrse » revue d’art et de littérature, numéro consacré au centenaire de Max Elskamp.

 

 

 

 

Hommage de Robert Guiette

 

La Ville en Ex-voto

 

Sa « petite ville », Max Elskamp la chante dès « Dominical, « la ville de mes mille âmes ». Cette ville en bois, douce ville à bâtir, la ville en rond comme une bague, les bonnes madones aux coins des ruelles. Ce port marchand, cette ville très port-de-mer, il y montre des barques et des grands vaisseaux, et les bâtiments à voiles, les chapelles et les tours et les cloches, c’est toute sa longue litanie qu’il faudrait redire. Poésie frêle, à la voix fêlée. « Mes dimanches morts en Flandre » et « dans la paix bonne d’un pays tendre », avec les petites gens des beaux métiers, la mer à l’horizon.

C’est plus qu’un décor, cette ville, c’est un personnage avec lequel on cause gentiment, à voix basse, retenue, comme pour soi.

Max Elskamp était demeuré très attaché à son vieux quartier de la rue Saint Paul bien qu’il n’y habitât plus. Ecolier, il y retournait passer ses jeudis après midi. Avec son ami, Henri van de Velde, il allait, près de la grande écluse du Kattendyk, à marée haute, voir entrer les bateaux. Les deux amis se mêlaient à une foule affairée d’employés de la douane, de commis, d’affréteurs, de curieux et de femmes aux toilettes extravagantes. C’était parfois « un voilier gigantesque, fatigué et souillé, dont l’équipage composé de nègres agités ou d’hindous lents, n’attendait que d’avoir accosté pour offrir en vente : perroquets, singes, plumes de couleurs éclatantes, peaux d’animaux inconnus, os d’albatros ; ou au départ de pitoyables émigrants polonais ou russes qu’on descendait à fond de cale sans ménagement, avec enfants et bagages ! Spectacles qui fouettaient nos imagination en entraînaient nos pensées si loin, si loin… »

Plus tard, les travaux de rectification des quais entamèrent le plus ancien quartier de la ville, cette « ville en rond » dont il ne reste qu’un morceau. L’ancien pittoresque ne demeurait plus que dans le cœur et la pensée du poète : l’ancien « werf », les quais plantés d’arbres, la population même de ces rues étroites, besogneuses et joyeuses.

Lorsque le lecteur d’aujourd’hui découvre cette image dans les petits poèmes de Max Elskamp, il la compare à ce qu’il voit : la rive droite, tracée au cordeau, les entrepôts et les construction aujourd’hui démodés qui attestaient, vers 1910, la grandeur récente des firmes allemandes fixées à Anvers. Le poète écrivait : « les Rietdijk, les Frascati, toutes les belles prostitution d’antan sont abolies… » ; et depuis, le joli village de Tête-de-Flandre rasé, surgirent les tours, les tunnels et les buildings. Le lecteur se demande alors si, dans les poèmes, ce n’est pas une petite ville ou un village de la Flandre zélandaise que le poète aurait chantée, et non Anvers, cette actuelle grande ville moderne où les anciens monuments et même la cathédrale se trouvent dépaysés. La beauté du spectacle –beauté très réelle encore- est différente de ce qu’a dit le poète. Le fleuve seul, malgré la métamorphose de ses rives, est resté sans doute semblable à lui-même.

Comment imaginer que le poète pourrait encore dans le bruit et le mouvement que nous connaissons, aller bavarder avec les bateliers et les artisans, vanniers et cordiers pour lesquels il avait tant de sympathie ? Les vieux quartiers le voyaient passer, chaque jour, par leurs rues souvent solitaires comme des rues de béguinages, des rues où ne se rencontraient de loin en loin que des vieilles femmes sous leur mante. Elskamp ne se lassait pas d’errer par les vieilles impasses, les cours intérieures, voyant aux murs les madones entourées de guirlandes… Son petit chapeau rond et son macfarlane ne détonnaient pas dans les ruelles grises et mornes. Le poète y poursuivait sa longue méditation.

Que de fois je l’ai vu, vieillard, aller vers les quartiers de son enfance, comme enveloppé de solitude ! Une femme discrète et qui avait dû être très belle, l’accompagnait. Ils ne se parlaient pas. Ils allaient côte à côte, d’un pas sans hâte. Etait-ce « sa » rue Saint-Paul qui l’attirait ? Pensait-il à son poème, à l’église et au calvaire, à ses morts et à son passé ? Voyait-il revivre ses chers fantômes ? Ou bien poursuivait-il sa longue recherche de la Voie ? Refaisait-il la longue route des saints naïfs et des processions, celles des philosophes qu’il avait étudiés, celle de la souffrance et de l’inconnaissable, de cette longue vie qui serait une vie manquée s’il n’y avait les poèmes. Par tout cela, il avançait dans la Voie de la perfection bouddhique, celle qu’il s’était choisie et qui lui était propre.

Le décor désormais n’importait peut-être plus. Le poète avait magnifié sa ville natale, et l’avait réduite en son cœur, en son œuvre, immuable. Comme les vieux marins, du temps des grands voiliers, construisaient des trois-mâts qu’ils enfermaient dans des bouteilles, tout gréés.. Le site, pour jamais à l’image de son cœur, demeurait comme une sorte d’ex-voto de reconnaissance à la vie, tandis que sa pensée plongeait dans d’autres contemplations, hors du temps.

 

Robert Guiette.

 

 

 

 

Hommage de Jean Cocteau

 

 

1er Avril 1962

 

Il est de toute évidence que Guillaume Apollinaire, s’il doit aux « Serres chaudes » doit surtout à Max Elskamp. Il n’y a là rien qui le diminue, au contraire. Et si un grand poète fraternise avec un autre grand poète pour connaître ses œuvres, je m’en émerveille encore davantage. Mais il me semble que notre Apollinaire aimait Elskamp et que, de ces amours, naissent les monstres délicieux de la Poésie.

Ma découverte du poète anversois me laisse le souvenir d’un coup au cœur. Entre chaque page de l’herbier les belles plantes se mettaient à revivre et à embaumer ma chambre.

Je vous exprime toute ma reconnaissance de vous être adressé à moi, le presque belge.

Votre poète Jean Cocteau.

 

 

 

 

Hommage de Paul Neuhuys

 

Je me souviens de Max Elskamp

 

Je me souviens de Max Elskamp comme d’un causeur charmant. Il me parlait de la Chine, de la poésie… Je l’ai connu pendant la guerre 1914-1918. J’allais le voir dans sa paisible maison du boulevard Léopold (aujourd’hui avenue de Belgique) dans la bonne maison qui, dit-il, l’attend sous les arbres « en la blanche façon d’un très gauche évêché ».

Max Elskamp était alors à l’apogée de son activité poétique. J’étais un écolier des lettres, et il y avait dans son accueil quelque chose d’ineffablement bon, mais aussi de cruellement désabusé.

Max Elskamp, né à Anvers en 1862, y est mort en 1931. Toute sa vie il est demeuré attaché à sa ville natale, la ville « très port de mer » où il reçut un jour, en 1893 exactement, Paul Verlaine.

« Il y a là une certitude pour moi, me disait-il, un point sur lequel j’attire votre attention, c’est que malgré toute liberté, le poème est « musique » par nature ». Et il me citait à ce propos le « Pantoum négligé » de « Jadis et naguère » :

 

Trois petits pâtés, ma chemise brûle.

Monsieur le curé n’aime pas les os.

Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule,

Que n’émigrons-nous vers les Palaiseaux ?

 

-Le sens en est exquis à cause du son.

Elskamp parlait volontiers de la rime diminuée par l’assonance, de sa bémolisation (âne et âme) et de sa diézation (Anne et lame). Il m’ouvrait toute grandes les portes de sa bibliothèque, me

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