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Un week-end à barcelone.

 

C’était à Barcelone, Franco était mort. C’est le roi Juan-Carlos qui était en titre le maître du pays depuis qu’il s’était présenté au parlement en disant que le  chef des armées, c’était lui, et que le temps de la dictature, c’était f-i-n-i, fini. Je ne me souviens plus des mots qu’il avait réellement prononcés mais le sens en était celui que je dis,  Esteban me l’a confirmé vingt ans plus tard.

Je retournais assez souvent à Barcelone sans le dire à Esteban. Pour les miens, j’inventais un motif d’affaires. C’était une sorte de respiration dont j’avais le sentiment qu’il m’était nécessaire pour continuer de vivre.

Barcelone est une ville que j’aime pour cet étrange destin que les Barcelonnais ont en commun : les admirateurs de la Sacra Famiglia qui sont persuadés que le travail interrompu y reprendra un jour. Ceux qui disent qu’ils ne sont pas espagnols mais catalans.

- Nous n’avons rien contre les espagnols, nous sommes différents, c’est tout.

Ceux qui ne veulent connaitre de Barcelone que la partie de la ville qui monte et rejoint Montjuich.

- Miro, vous connaissez ?

Ceux qui vont et viennent sur les Ramblas et qui disent que Barcelone, ce sont les Ramblas. L’écrivain Valdez Montalban qui prétend s’y connaitre mieux en cuisine qu’en littérature. Et combien d’autres encore…

 C’est vrai qu’ils sont différents du reste des Espagnols.  Ils disent qu’ils ne sont pas de cette Espagne d’on  ne sait pas très bien si c’est un pays européen ou une partie égarée du continent africain.

Avant de mieux les connaitre, je craignais que de s’opposer à leur dires quels qu’ils soient, mêmes les plus anodins, leur feraient jeter ce masque d’honorabilité qu’ils arboraient pour sortir un couteau. Tuer par orgueil ne constitue pas un meurtre à leurs yeux. Vive la muerte a dit un général de Franco avant de tirer sur les républicains.

Je le répète. J’aime Barcelone même si je n’aime pas les grands boulevards tracés au cordeau qui aboutissent au Barca d’un côté et au Grands Magasins de l’autre. En revanche, moi qui descend toujours à l’hôtel Colon et qui en serai vraisemblablement le dernier client avant qu’il ne soit transformé, je n’y vais pas pour sa proximité avec la Cathédrale mais pour sa proximité avec les ruelles étroites où se trouvent les bars à filles.

Esteban l’avait dit :

- Je me demande si au fond de nous-mêmes nous ne regrettons pas Don Quichotte prêt à mourir pour ses idées.

- Ne me dis pas qu’il vous arrive de regretter le temps de la guerre civile ?

Pour des idées ? Ou pour jouer avec vos vies ?

- Vive la Muerte est une formule qui nous définit bien.

La première fois que je suis venu à Barcelone, c’était clandestinement. Dans un sac de toile, parmi des

vêtements  roulés en boule, se trouvaient cinq pistolets

destinés  à cinq jeunes partisans qui étaient décidés à se battre contre les franquistes, les armes à la main.

L’un d’eux, un futur médecin au visage aigu, aux yeux et aux cheveux  noirs m’avait proposé de les prendre à l’endroit qu’il m’avait désigné et à les apporter à un lieu proche la frontière qui sépare l’Espagne de la France. Là quelqu’un les prendrait en charge pour traverser la frontière. Ce futur médecin, c’était Esteban. Le temps et le hasard avaient fait de nous des amis ‘ à la vie à la mort ’.

J’avais accompagné le passeur. C’est moi qui avais apporté les armes à Esteban et ses amis. Ils étaient cinq. Quatre garçons et Juanita.

C’est durant cette nuit là que l’Espagne de Franco venait de basculer. Personne ne s’intéressa au jeune adolescent qui venait d’être privé d’un acte d’héroïsme auquel il avait rêvé toute la nuit.

Aujourd’hui, vingt ans plus tard, je ne sais pas pourquoi mais je voulais revoir Juanita qui m’avait ramené chez elle cette nuit-là. Cette nuit qui avait été une césure dans ma vie. Est-ce d’ailleurs de moi dont je parle aujourd’hui ? Nous nous étions aimés longtemps. Dieu sait ce que nous voulions oublier. Elle savait, peut-être qu’elle ne voulait pas le savoir, que j’avais une épouse qui n’avait pensé qu’à moi cette nuit là.      

Juanita a été surprise de me revoir. Elle était professeur d’architecture, m’a-t-elle dit. Elle avait un compagnon qui avait dû s’absenter.

- Vous voulez faire sa connaissance ? Vous pouvez dîner avec nous. Oui, je me souviens. C’était une époque étrange.

Je suis rentré à l’hôtel qui m’a paru soudain plus vieillot. Le lendemain, j’ai repris l’avion pour  rentrer. Je n’ai jamais plus mis les pieds à Barcelone.

 

 

 

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Commentaires

  • Encore une excellente nouvelle imprégnée de nostalgie.

    L'ombre d'Hemingway (basta pour l'orthographe) ....y plane en contrepoint.

    Il y a aussi des Catalans Français : ils ne font qu'un seul peuple.

    Bonne semaine. Rolande.

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